Les crises actuelles au Liban (effondrement économique, explosion au port de Beyrouth et pandémie de coronavirus) constituent un défi pour beaucoup. Notamment pour les personnes déplacées qui sont très durement frappées. Elles étaient déjà fragilisées par le fait même d’avoir été déplacées. Elles sont désormais menacées dans leurs conditions de vie, déjà élémentaires. Nous avons déjà eu l’occasion de voir comment le système de protection des droits de l’homme peut parfois adoucir la condition de ces communautés fragilisées. Je vais donc essayer dans ce court article de mettre l’accent sur le fait que, selon notre vision des choses, pour protéger les déplacés à l’avenir, nous ne devons pas occulter le passé du Liban.
Les crises actuelles du Liban coïncident avec le 70ème anniversaire de la Convention sur les réfugiés qui date de 1951. Cette convention constitue un outil juridique et avec son protocole qui date de 1967, elle a longtemps représenté un pivot dans la protection des réfugiés. Pourtant, malgré la reconnaissance de cette convention, de nombreux États ont cherché à la mettre en doute dans leur souci de limiter leurs obligations à l’égard des réfugiés présents sur leurs territoires. La loi internationale sur les réfugiés est donc sérieusement mise à mal en période de crise, surtout celle qui réduit les déplacements comme ce fut le cas avec la pandémie de coronavirus.
A la fin de 2020, 149 pays avaient signé la Convention sur les réfugiés de 1951, ainsi que son protocole datant de 1967. Toutefois, 44 États membres des Nations Unies n’étaient pas partenaires dans ces deux accords. Le Liban fait partie des pays qui n’ont pas signé la Convention sur les réfugiés, ni le protocole qui en a découlé. Malgré cela, son lien étroit avec le système international de protection des réfugiés ne doit pas être sous-estimé ou oublié. C’est justement après la Seconde Guerre mondiale et les crises successives qu’elle a provoquées que le Liban s’est engagé dans le système international de protection des réfugiés.
Contrairement à plusieurs autres pays de la région, le Liban a activement contribué à développer les éléments du système de protection des réfugiés. Même si son engagement à respecter les droits de l’homme laisse souvent à désirer, son attachement aux droits des réfugiés mérite d’être relevé. D’abord, il fait partie des 20 États qui ont constitué le comité chargé de jeter les fondements de l’Organisation Internationale des Réfugiés en 1946, sous la houlette des Nations Unies. Quelques années plus tard, en 1949, le Liban a activement participé à la création du Haut-commissariat pour les réfugiés (UNHCR). De plus, entre 1946 et 1951, le Liban a participé à l’élaboration du brouillon de la Convention sur les Réfugiés. Mais à la fin, il a décidé de ne pas la signer.
De même, le Liban a un important passé dans la participation à l’élaboration de certains outils de protection des droits de l’homme, parmi les plus récents. Par le biais d’une grande figure, le Dr Charles Malek, qui a fait partie de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme pendant deux mandats (1951-1952), le Liban a été un des huit États membres de la Commission qui a rédigé le brouillon de la Déclaration universelle des droits de l’homme (UDHR). Aujourd’hui d’ailleurs, nous constatons la proximité du Liban avec le système de reconnaissance des droits de l’homme, puisque sa Constitution les consacre dans son préambule. Il y est notamment écrit : Le Liban est un membre fondateur et actif de l’ONU et reconnaît la Déclaration universelle des droits de l’homme à la rédaction de laquelle il a participé. Le gouvernement libanais doit respecter ces principes dans tous les domaines et sans exception.
L’article 14 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme reconnaît le droit d’un individu à rechercher et à bénéficier de la protection contre la persécution. De même, le principe de non-refoulement est sous-entendu dans la reconnaissance des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne les personnes qui encourent un véritable risque de torture ou de traitement inhumain et dégradant, ainsi que celles qui risquent d’être sévèrement punies. Toutefois, ces deux principes sont soumis à de fortes pressions en période de crise. Pour plusieurs États signataires ou non de la Convention sur les réfugiés, manifestent le désir de limiter l’arrivée de réfugiés et le droit d’asile est devenu une question politique. Dans des temps comme ceux que vit le Liban actuellement, nous devons nous rappeler que ce pays a été un gardien des droits et de ces instruments juridiques.
Il faudrait donc reprendre le vieil adage qui dit que chaque crise peut cacher une opportunité. Sur cette base, la question qui se pose est la suivante : quelle est la prochaine étape pour le Liban dans le domaine de la protection des réfugiés ? Il y a certes un risque que les gouvernements dans le monde se dirigent vers plus de nationalisme et de crainte au sujet de la perméabilité de leurs frontières. Mais on peut aussi voir les choses sous un angle plus positif. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, bien peu auraient pu concevoir le système de protection internationale qui s’est mis en place. Peut-être que dans le futur, après ces crises successives, il y a aura un nouveau moment d’humanité. Le Liban, à cet égard, a un passé solide d’engagement en faveur des droits de l’homme et il a même un pied dans tous les forums destinés à protéger ces droits.
Tout comme le Liban a participé dans le passé à l’élaboration du système de protection des réfugiés, il est bien placé pour reprendre ce rôle à l’avenir. Au début des années 1960, le Liban était membre du comité exécutif du UNHCR qui conseillait le Haut-Commissaire en charge de ce comité. Grâce à cette fonction, le Liban a activement participé à développer le statut de réfugié, à travers notamment l’élaboration de rapports annuels et de conclusions destinées à interpréter le contenu de la Convention. Ces conclusions et ces rapports étaient adoptés à l’unanimité et ils sont très significatifs au sujet de l’existence d’un consensus international pour apporter une protection légale aux réfugiés.
Le Liban a aussi participé à des forums internationaux pour mettre en place des principes fixes de protection des réfugiés au présent et pour l’avenir. Il a ainsi participé aux débats à l’Assemblée générale des Nations Unies qui ont conduit à l’adoption de la « Nouvelle déclaration sur les Réfugiés et les Migrants » en 2016, laquelle jette les fondements d’une réponse globale au phénomène de réfugiés. De même, le Liban a participé aux débats à l’Assemblée générale de l’ONU qui ont mené en décembre 2018 à l’adoption du « Global Compact on Refugees » (GCR) et en 2019 au forum international destiné à mettre en œuvre le GCR. Dans l’article 5 du GCR, le principe de non-refoulement est repris et constitue la pierre angulaire du système de protection des réfugiés établi par la Convention de 1951 et le Protocole de 1967.
En pensant à la protection des réfugiés à l’avenir, nous devons revenir sur le passé du Liban dans ce domaine et nous en inspirer. Le Liban a eu et a toujours donné des exemples de son engagement dans la protection des réfugiés et il a même contribué à l’élaboration de certains principes et droits fondamentaux dans ce domaine. Il est clair que la protection des réfugiés dépasse désormais le fait de signer ou non la Convention. Le Liban en est le meilleur exemple et l’expérience qu’il offre dans ce domaine montre que la situation est bien plus complexe qu’elle n’y paraît.