Cet article cherche à étudier l’impact de la crise libanaise complexe sur la situation des réfugiés palestiniens, depuis 2019 à nos jours. Il essaie aussi de mettre l’accent sur le rôle de l’Unrwa – en raison de ses responsabilités juridiques dans le soutien et la protection des réfugiés, ainsi que dans le fait de leur assurer des emplois – pour atténuer les effets négatifs de la crise sur les réfugiés ainsi que sur les limites des efforts de cette organisation internationale.
Depuis le début de l’année 2019, le Liban a commencé à souffrir de l’aggravation de la crise économique, financière et monétaire. De plus, la pandémie du Covid-19 est venue compliquer encore plus les choses, ainsi que la tragique explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. On sait que ces trois facteurs réunis ont fait que la crise a touché de façon dramatique tous les Libanais et les résidents sur ce territoire, dont les réfugiés palestiniens. Pourtant, cette dernière catégorie subissait déjà une grave crise économique et souffrait d’une situation de marginalisation sociale et d’un manque de la protection nationale et internationale généralement accordée aux réfugiés à travers les traités et les conventions. Les réfugiés palestiniens bénéficiaient seulement de la protection limitée que leur offrait l’Unrwa, qui était toutefois en dessous des normes internationales. Ce qui avait fragilisé la communauté des réfugiés palestiniens et l’avait rendue plus vulnérable aux effets négatifs de la crise actuelle.
Les conséquences de la crise : ce que disent les données
Deux études réalisées par des agences de l’ONU installées au Liban, l’Unicef et l’Escwa, montrent la profondeur de la crise que les Libanais et les résidents, dont les Palestiniens, vivent actuellement. Selon ces deux études, le taux de pauvreté au Liban est passé de 28 % en 2018 à 55 % en 2020. De même la situation de pauvreté extrême est passée de 8 % en 2018 à 23 % en 2020, c’est-à-dire qu’il a plus que triplé. L’étude réalisée par l’Unicef affirme ainsi que la pandémie de Covid-19 et l’explosion au port ont eu un impact dramatique sur les enfants et leurs familles, qui avaient déjà besoin d’une grande aide. Ils sont ainsi devenus encore plus vulnérables.
Il faut rappeler à cet égard qu’une étude effectuée par l’Unrwa, en coopération avec l’Université américaine de Beyrouth, montrait qu’en 2015, 65 % des Palestiniens au Liban vivaient en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de chômage chez les Palestiniens était de 56 %. Ces chiffres déjà impressionnants ont augmenté avec la dernière crise et on parle désormais de 80 % de chômage et de pauvres parmi les réfugiés palestiniens.
En fait, la communauté palestinienne au Liban est donc devenue plus vulnérable et fragile, la marginalisation s’est aggravée notamment en comparaison avec la situation des autres réfugiés. La situation a encore empiré en raison de la faiblesse des autorités palestiniennes et de l’absence d’une autorité socio-économique unifiée pour traiter la situation des réfugiés palestiniens au moment où les besoins de ceux-ci ne cessaient d’augmenter. En même temps, l’aide fournie par l’OLP et les différentes organisations aux réfugiés palestiniens a baissé, alors que l’Unrwa a elle aussi réduit ses projets quantitativement et qualitativement en raison de ses difficultés financières. Aujourd’hui, les besoins urgents des Palestiniens ont changé. Ils voulaient d’abord des emplois décents, et maintenant, ils ne veulent plus qu’une assistance d’urgence pour assurer les besoins élémentaires de nourriture et de sécurité.
La réponse à la crise : qui est responsable ?
Il est indéniable que le fait d’alléger les effets négatifs de la crise sur les réfugiés palestiniens est une responsabilité collective des Libanais et des Palestiniens avec le soutien de l’Unrwa, qui a pour cela un mandat de l’ONU. Il y a aussi la responsabilité de l’OLP, des organisations de la société civile palestinienne et celle de l’État hôte, concernant notamment la lutte contre la pandémie de Covid-19.
Mais sur la base de la demande qui a été faite, je limiterai cette recherche au rôle et à la responsabilité de l’Unrwa dans la réponse à la crise multidimensionnelle que vivent actuellement les réfugiés palestiniens au Liban.
L’Unrwa a ainsi lancé plusieurs appels urgents à l’aide pour réduire les effets de la crise au Liban sur les réfugiés palestiniens. Le premier appel a été lancé en mars 2020 pour obtenir un montant de 14 millions de dollars. Le second a été lancé en mai 2020 pour obtenir un autre montant de 93,4 millions de dollars. Mais, selon des sources fiables, l’Unrwa n’a pu obtenir que 65 % de la somme requise. Ce qui l’a poussée à lancer un troisième appel en septembre pour atteindre 96,6 millions de dollars.
C’est pour cette raison que le directeur de l’Unrwa au Liban, Claudio Cardone, a affirmé qu’en dépit de la difficulté pour obtenir des fonds, l’organisation internationale a pu aider de façon effective et avec des résultats concrets les réfugiés palestiniens dans le domaine de la santé et de l’éducation. Elle est aussi en contact permanent avec les autorités officielles libanaises pour aider économiquement les réfugiés et préserver leurs droits, tout en ne mettant pas en cause leur droit au retour chez eux.
Il a aussi ajouté qu’en dépit des efforts de l’Unrwa, les perspectives et les opportunités pour les réfugiés palestiniens au Liban restent faibles et vont le rester pour quelque temps encore, surtout si la crise politique et financière libanaise se poursuit. « Dans ces conditions, a-t-il dit, je crains que les taux de pauvreté et de chômage chez les réfugiés palestiniens au Liban, continuent à s’élever ».
Dans ce contexte, il faut préciser que l’Unrwa représentée par l’ancien Haut-Commissaire Pierre Krähenbuhl et l’actuel Philippe Lazarini a déployé d’énormes efforts pour faire face à la crise financière de plus en plus aiguë, à partir de 2018. Ces années ont aussi été marquées par une campagne féroce contre l’agence de la part des États-Unis et d’Israël, pour assécher ses ressources financières et éliminer son rôle, afin de le remettre au Haut-Commissariat pour les réfugiés (UNHCR). Il y avait même une campagne pour changer la définition des « réfugiés palestiniens », adoptée par l’Unrwa, de manière à ce que de moins en moins de Palestiniens puissent être appelés ainsi et profiter par conséquent des services de cette agence. Comme on le sait, cette campagne a atteint son apogée avec l’administration Trump, qui a réduit sa contribution au financement de l’Unrwa à partir du 31/8/2018, d’abord d’un tiers puis de moitié.
Au cours des deux dernières années, l’Unrwa a pris certaines mesures pour répondre à la crise. Dans le domaine de la santé, un comité commun a été formé pour gérer la pandémie du virus. Il regroupait les représentants de l’Unrwa et des autres agences de l’ONU, ainsi que des représentants de l’OLP, du Croissant Rouge palestinien, de Médecins sans Frontières et d’ONG locales. Un mécanisme de coordination a été aussi établi avec le ministère libanais de la Santé. Dans le cadre de la campagne de vaccination contre le Covid-19, l’Unrwa coordonne son action avec l’initiative « Taawon », lancée auprès de donateurs palestiniens pour récolter des fonds qui serviraient à couvrir les frais de vaccination des réfugiés palestiniens, même ceux qui n’ont pas de papiers d’identité, ainsi que les réfugiés syriens. Toute cette opération se fait en coordination avec le ministère libanais de la Santé et le comité de dialogue libano-palestinien.
Mais le grand défi pour l’Unrwa et ses partenaires dans cette opération, c’est le manque d’empressement des réfugiés palestiniens à s’enregistrer auprès de la plateforme lancée par le ministère de la Santé et cela pour plusieurs raisons.
Selon le Dr Abdel Rahman Bizri, président du Comité national pour la gestion de l’opération de vaccination contre le coronavirus, près de 3 % des réfugiés palestiniens se sont enregistrés sur la plateforme du ministère. Ce qui exige donc une coordination plus étroite entre l’Unrwa et les organisations de la société civile palestinienne ainsi qu’avec tous les responsables et vecteurs d’opinion pour convaincre les réfugiés palestiniens d’enregistrer leurs noms.
Dans le cadre des aides aux réfugiés palestiniens en cette période de crise, l’Unrwa a réussi à fournir une modeste contribution financière aux réfugiés palestiniens résidant au Liban en collaboration avec des donateurs dans un programme qui ne fait pas partie du budget annuel. Mais les réfugiés palestiniens venus de Syrie ne figurent pas dans ce programme.
En tout état de cause, les limites des réponses de l’Unrwa à la crise et à ses conséquences sont dues à la crise financière qu’elle traverse et qui n’est pas encore réglée. Certes, l’administration Biden a déjà promis de donner à l’Unrwa une contribution de 150 millions de dollars en avril 2021. Philippe Lazarini a commenté la décision américaine en disant : « La décision américaine arrive à un moment critique où l’Unrwa continue d’essayer de s’adapter aux défis que représente le coronavirus. Cette décision va encourager les autres États membres à contribuer à leur tour à aider l’Unrwa ».
En dépit de ce développement, l’Unrwa reste dans l’œil du cyclone et elle fait l’objet de critiques de la part des représentants des réfugiés palestiniens, ainsi que de la part des ONG palestiniennes. En réalité, les trois appels lancés par l’agence à la suite de la catastrophe qu’a constituée la pandémie de Covid-19 n’ont pas permis de répondre aux besoins minimaux des réfugiés qui ont souffert de l’aggravation de la crise. Sur beaucoup de plans, l’Unrwa peut donc être considérée comme ayant échoué à apporter les soins d’urgence réclamés par les réfugiés palestiniens, ne réussissant pas à alléger l’impact de la crise libanaise sur leur situation.
Pour pouvoir établir un plan d’aide d’urgence efficace, il faut :
- Que l’Unrwa poursuive ses appels à l’aide pour lancer à la fois un plan d’urgence et donner aux Palestiniens les aides de base, mais aussi lancer un plan à moyen terme (au moins un an) pour permettre aux réfugiés palestiniens de tenir le coup face à cette crise terrible. En même temps, il faut pousser les donateurs à inclure les réfugiés palestiniens dans le plan libanais de réponse urgente à la crise.
- L’établissement d’un plan de sauvetage économique à moyen terme pour assurer la protection des droits des réfugiés palestiniens au Liban, avec la participation de l’Unrwa, de l’OLP, de l’Autorité palestinienne et des agences-clés des Nations Unies comme l’Unicef, le Pnud, l’OMS. Le tout en coordination avec l’État libanais.