Ghassan Moukheiber
L'ancien député et avocat Ghassan Moukheiber estime que les conférences, commissions et discours théoriques sont nombreux, tandis que le défi demeure dans la mise en œuvre et l'application concrète des grands droits fondamentaux.
Parmi les défis les plus importants qu’il énumère, le premier est le droit à l'éducation. « Ainsi, dit l’ancien parlementaire, le Liban a instauré l'enseignement obligatoire aux niveaux élémentaire et complémentaire, et s'est efforcé de développer le droit à l'éducation ; des efforts sont déployés en outre pour construire des établissements scolaires et développer d'autres écoles gratuites, semi-gratuites et publiques. Malgré tout, deux problèmes principaux continuent de se poser : premièrement, le gouvernement libanais s’abstient de subventionner, comme il l’a promis, les écoles privées gratuites et semi-gratuites, de sorte que l’accumulation d’années d’impayés en menace le fonctionnement ; deuxièmement, un grave problème existe au niveau des écoles publiques qui, malgré les efforts déployés pour les construire, ne couvrent toujours pas les besoins de la population, sans compter l’absence de toute incitation positive ou d’amendes destinées à pousser les parents à y inscrire leurs enfants. C’est ainsi que de nombreux enfants ne sont pas scolarisés, ce qui menace leur avenir et viole leur droit à l'éducation. »
« Et puis il y a le problème du travail des enfants, notamment le travail de rue, en particulier dans la mendicité. Il s’agit d’un phénomène très répandu qui affecte spécialement les zones les plus pauvres. Certes, des efforts sont faits pour relever l'âge minimum du travail des enfants, mais ces efforts restent quelque peu insuffisants, pour ce qui est d’abord d’en poursuivre les incitateurs, ensuite pour élaborer des programmes qui cibleraient les motivations culturelles, sociales et économiques qui poussent les familles à avoir recours au travail de leurs enfants. »
« Le troisième droit est la protection des enfants en danger. Une loi sur la Protection des mineurs existe à cet effet, qui doit encore être améliorée, mais ses amendements n'ont pas encore été adoptés par les commissions parlementaires, alors qu’elle remonte à plus de huit ans. Cette législation interdit en principe l'emprisonnement des mineurs, mais en réalité, de nombreuses prisons comprennent des ailes pour enfants et les tribunaux continuent de prononcer des peines de prison à l’encontre de mineurs. Il existe également un petit nombre de correctionnelles – surpeuplées – gérées par des associations. »
Et Ghassan Moukheiber d’ajouter : « Pour faire des droits de l'enfant une réalité, nous devons encore mettre en œuvre les trois principaux droits mentionnés plus haut, dont l’existence est une pré-condition à d'autres droits : le droit à l'éducation, qui suppose que l'enfant ne travaille pas durant ses années d’enfance ; le droit à ce qu’il soit protégé, ce qui suppose la protection des mineurs exposés à des violences physiques et sexuelles et à l’exploitation dans la mendicité. Il s’agit là des formes les plus laides de violence subies par les enfants, et ce sont là les étapes pratiques requises à leur jouissance de leurs droits ».
« Les principaux défis à relever à cet égard sont d’abord le manque de financement, et ensuite le défaut d'incitations suffisantes pour les parents, telles que celles de ne pas bénéficier du Programme d’allocations aux plus défavorisés, ou encore le paiement d’amendes, si leurs enfants ne sont pas inscrits à l'école », poursuit l’ancien député.
Les principales recommandations en la matière sont donc les suivantes : « L’instauration d’amendes, le développement des écoles publiques, le paiement par l’État de ses subventions au secteur éducatif, le contrôle strict des établissements qui emploient des enfants, l’élaboration d'une loi pour protéger les mineurs à risque, l’arrêt de tout emprisonnement de mineurs, le développement des correctionnelles, la supervision de leurs programmes et de la qualité de leurs services, non seulement à Beyrouth mais dans toutes les régions, l’accélération de l’adoption d’une loi interdisant le mariage des mineurs – il existe une loi portant l’âge du mariage à 18 ans, et une autre encore en discussion pour porter cet âge à 16 ans, mais avec certaines restrictions et sous la supervision du juge des mineurs – l'adoption d'une loi unifiée sur le statut personnel qui protège les mineurs, en particulier en matière de garde, de surveillance et d'escorte, et enfin le droit des Libanaises à transmettre leur nationalité à leurs enfants, ainsi que tous les problèmes liés à l'état d’apatridie. »
Élie Mikhaël
L'ancien secrétaire général du Conseil supérieur de l'enfance, le Dr Élie Mikhaël, a transformé l'engagement envers le texte et la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 en un débat quotidien et général entre les parties concernées par les droits de l'enfant.
« Quatorze (14) comités relevant du Conseil supérieur de l'enfance, dit-il, ont été créés. Leurs membres représentent les ministères concernés, les acteurs influents, les organisations communautaires, les universités et le secteur privé. Leur tâche est de coordonner le suivi des recommandations de la Convention internationale, de renforcer leurs partenariats et d’élaborer chacun un plan d'action et de le mettre en œuvre. Par exemple, en 2012, le Comité pour la prévention de la violence a pu approuver la Stratégie nationale de protection de l'enfance et de prévention contre toutes les formes de violence, en collaboration avec les parties prenantes et la participation d’enfants, aussi bien au niveau du dialogue entre eux qu’à celui du dialogue avec d'autres acteurs. Cet effort a été salué par le Comité international des droits de l'enfant à Genève, qui a tenu cette initiative du Liban pour un modèle de dynamique d'action pour les enfants. Le Département de la femme, de la famille et de l’enfance de la Ligue arabe a également demandé que l’expérience du Liban soit considérée comme un modèle pour tous les pays arabes. »
Et Élie Mikhaël d’ajouter : « Le Conseil n’est pas administré de façon conventionnelle. Son rôle est plutôt de servir de cadre régulateur, dans un style de travail concerté, aux politiques officielles en matière de protection de l’enfance, de travail des enfants, des enfants de rues, de qualité du système éducatif et de lutte contre le décrochage scolaire, d'intégration sociale, de participation accrue, de protection contre les dangers d’Internet. L'un des programmes les plus importants a été l'achèvement d'une étude juridique comparée entre les lois libanaises et la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, ainsi que d'autres conventions internationales. Grâce à ce travail, il existe actuellement une vingtaine de nouveaux projets de loi visant à garantir la pleine conformité des lois libanaises avec les dispositions des accords internationaux. L’étude a été menée en coopération avec l'Université Saint-Joseph, confortant ainsi le principe d’une participation active du secteur universitaire aux problématiques soulevées par le Conseil. »
Le Dr Mikhaël a évoqué la création d'un « Centre de documentation et d'information » pour l'enfance à Aïn el-Remmaneh, où l’on retrouve les études, les lois et les projets déjà mis en œuvre, ainsi qu’un site interactif pour faciliter l'accès des enfants aux informations désirées.
L'un des projets pilotes concerne la création de municipalités « amies de l’enfant », dont les responsables auraient la capacité de mettre en œuvre des projets et des programmes conçus et exécutés avec l’active participation des enfants. L'un des grands succès de ce Centre a été le rôle efficace qu’il a joué dans le rejet des violations des dispositions de la Convention, et de son suivi auprès des autorités compétentes locales. Le Conseil supérieur a formé un groupe de « Jeunes des médias » aux techniques de communication, de participation et d'interaction médiatiques, avec un programme d’activité hebdomadaire de conférences spécialisées. Cet effort a débouché sur la production de différents produits pédagogiques promouvant la culture de l’enfant et la connaissance de leurs droits, dans une langue facile et compréhensible. Enfin, une éthique de communication sur les problèmes de l'enfance a été établie. »
« Les principaux défis dans ce domaines sont, souligne le Dr Mikhaël, le manque de financement nécessaire à la garantie des droits économiques et sociaux ; le plus grand défi étant le manque de planification, de programmation et d'adoption de politiques sociales intégrées. Le service d’urgence gratuit est l’un des autres défis qui se posent. Une ligne qui permettrait aux enfants de porter plainte. De la sorte, et au besoin, leur protection et, éventuellement leur transfert, serait assuré vers d’autres associations, sans parler de l'importance d'une stratégie globale et intégrée de mise en œuvre des dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant. »
Les principales recommandations à cet égard sont les suivantes : « Une stratégie claire et la mise en place d'une loi spéciale sur les droits de l'enfant ; un suivi assidu pour renforcer les capacités des professionnels travaillant sur les problèmes de l'enfance ; enfin, il faut convaincre les officiels d’accorder la priorité à ces droits. »