L’accès limité à des opportunités pédagogiques et à une réhabilitation post-guerre peut favoriser l’émergence d’une génération découlant de l’absence d’un bien-être émotionnel, d’une marginalisation économique et d’environnements qui tendent à la violence.
Le droit à l’éducation
La Convention des droits de l’enfant (CDE, Nations Unies, 1989) est un instrument contraignant juridiquement, ratifié par l’ensemble des pays à l’exception des États-Unis. La CDE stipule que le droit à une éducation primaire est gratuit, sûr et correspond aux principes de respect mutuel et de moyens de vie durables (article 22). Parmi les enfants les plus vulnérables, ceux qui ont été déplacés par la force et ont été victimes de violence ont droit à une protection et à une assistance spéciales (article 22) et devraient bénéficier d’actions qui les aideraient à se remettre physiquement et psychologiquement de ce qu’ils ont enduré, dans un « environnement propice au recouvrement de la santé, du respect de soi et de la dignité de l’enfant » (article 39). Tomasevski (2001) souligne que les enfants ont droit à une éducation accessible, disponible, acceptable et adaptée. Le Réseau international pour l’éducation dans les situations d’urgence, détaille davantage de pratiques éducatives, comme la résolution de problèmes ou la capacité d’adaptation qui peuvent développer chez l’enfant la faculté de « prendre des décisions éclairées sur les moyens de survivre et de prendre soin aussi bien de lui-même que des autres, dans un environnement dangereux » (INEE, 2010, p.2)
Réponses : systèmes et approches
Les systèmes d’éducation nationale dans les pays d’accueil visent souvent à garantir aux enfants déplacés leur droit à l'éducation en établissant les systèmes de gouvernance, ce qui peut éventuellement favoriser des rapports interculturels entre les réfugiés et les communautés hôtes (Dryden-Peterson et al, 2019). Des efforts considérables ont été déployés au Liban afin de soutenir les initiatives scolaires destinées aux enfants syriens réfugiés et le développement socio-psychologique de ces derniers. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2016) a établi avec le soutien des bailleurs de fonds internationaux et les agences de l’ONU, un programme stratégique : « Reaching all children with education » (Atteindre tous les enfants par l’éducation) (RACE I 2014-16) suivi par RACE II (2017-21). Cette stratégie concerne tous les enfants âgés de 3 à 18 ans au Liban. RACE II identifie trois critères de base qu’il considère comme étant fondamentaux pour la mise en place d’une éducation durable de qualité, à travers le système national d’éducation : un accès amélioré à l’éducation, une qualité d’apprentissage et d’enseignement développé et des systèmes de gouvernance renforcés.
Dans le cadre de la stratégie RACE, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a instauré des cours l’après-midi dans les écoles publiques, ce qui a eu pour effet de développer des formes de scolarisation non formelle. Le nombre d’écoles qui assurent des cours l’après-midi est ainsi passé de 88 en 2013 à 346 en 2018 (HCR, 2019). Dans le cadre de RACE, le MEES a également investi dans des ateliers de formation destinés aux enseignants, la réhabilitation des écoles, le transport scolaire et l’équipement des salles de classe. La société civile et les organisations internationales ont certes fourni un soutien considérable à un système éducatif épuisé à cause de ressources limitées, en assurant une éducation non formelle (ENF) aux petits syriens. Les programmes de l’ENF sont en effet variés. Certains prévoient un soutien scolaire avant que les cours de l’après-midi dans les écoles publiques ne commencent, une formation professionnelle ou même des cours d’expression artistique pour gérer les traumatismes et favoriser le bien-être émotionnel (Akar et Van Ommering, 2018 ; Karam, Monaghan, et Yoder, 2016).
Barrières culturelles
Diverses causes limitent l’accès des enfants réfugiés syriens à une éducation de qualité au Liban comme le climat de survie, la marginalisation et la violence domestique. Les enfants réfugiés sont souvent victimes de violence domestique et de harcèlement à l’école. Une écologie sociale fondée sur une violence structurelle et directe exacerbe le stress chez les enfants ; des niveaux de stress chronique prolongé bloquent les fonctions neurologiques favorisant une réflexion critique et l’apprentissage de langues (Lupien, McEwen, Gunnar et Heim, 2009, National scientific council on the developing child, 2014 {2005}). Pour tenter de régler ce problème, le MEES et l’Unicef ont mis en place une « politique de protection de l’enfance dans les écoles » dont les effets s’étendent cependant aux foyers, puisqu’elle prévoit des mesures de sécurité domestiques.
Une autre cause trouve son origine dans les ressources limitées et les méthodes de gouvernance qui prévalent au niveau du système d’éducation nationale et qui compliquent davantage les problèmes liés à l’adaptation de l’éducation aux enfants vulnérables tels que les réfugiés. L’éducation des enfants au Liban est fondée, principalement à partir du niveau préscolaire, sur des théories de développement par étapes (e.g. Piaget) qui conformément à Walsh (2005) manquent de données suffisantes permettant de comprendre le développement humain durant les premières années de la vie. L’éducation préscolaire au Liban imite largement la première année du cycle primaire, en ce sens qu’elle met l’accent sur l’apprentissage des lettres et des chiffres. Des interviews réalisées auprès d’enseignants du jardin d’enfants et des observations menées en salles de classe suggèrent que le principal objectif de la lecture et de l’écriture est d’encourager des pédagogies qui peuvent ébranler la confiance des enfants dans des connaissance qu’ils ont eux-mêmes développées (Abou el-Haj, Kaloustian, Bonet, Chatila, 2018) et négligent les fondements de l’architecture cérébrale nécessaire pour l’établissement de relations saines, une bonne gestion des émotions, des fonctions exécutives et un contrôle du stress (Akar, Amr et Chen, (2017).
Une troisième cause se rapporte au fait que les enseignants qualifiés sont rares. Dans le secteur public, 23,5 % seulement des enseignants ont un diplôme reconnu qui leur permet d’exercer cette profession (CERD, 2019). Plus encore, le recours à des instituteurs contractuels à court-terme dans les écoles publiques a généré une « importante pléthore d’enseignants sous-qualifiés dans les cycles de base des écoles publiques » (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (Liban, 2016, p.8). Les activités menées dans le cadre de RACE II avaient entre autres pour finalité de régler ce problème à travers la mise en place d’ateliers de développement professionnels.
D’autres défis qui doivent être relevés pour rendre l’éducation disponible et adaptée découlent d’une culture de gouvernance qui est en conflit avec les principes démocratiques. La corruption rampante au Liban a impacté les budgets alloués à l’éducation au Liban. Les tensions sectaires ont également influencé la manière avec laquelle les réfugiés sont traités, et ce même au niveau des structures organisationnelles (El-Ghali, Alameddine, Farah et Benchiba, 2019).
Conclusions et nouvelles orientations
Cependant, le Liban a pu franchir d’importants pas dans sa quête pour améliorer le secteur de l’éducation publique. Des efforts futurs devraient porter sur les moyens d’intégrer davantage les enfants réfugiés syriens au sein de la société libanaise, afin de réduire les tensions sociales et de développer leur sentiment d’efficacité. À titre d’exemple, le MEES pourrait établir davantage de stratégies avec les deux ministères de l’Intérieur et des municipalités et des Affaires sociales, pour consolider les capacités des institutions officielles à réagir à la crise de l’éducation. (El-Ghali, Ghalayini et Ismail, 2016). Ces orientations peuvent soutenir les mesures adoptées aujourd’hui pour assurer de manière générale le bien-être des enfants réfugiés syriens et celui des enfants des communautés hôtes vulnérables. Cela devrait, par voie de conséquence, générer de l’espoir et des ambitions pour l’avenir, préserver le potentiel humain des enfants et éviter une « génération perdue » dans la région.
Références
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