Gagner sa vie : quand le besoin fait face à la peur

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Posté sur août 02 2018 7 minutes de lecture
Gagner sa vie : quand le besoin fait face à la peur
L'un des sujets les plus discutés durant les ateliers consacrés à la paix sociale organisés par House of Peace(1) est la question des moyens de subsistance. Beaucoup d'histoires partagées par certains participants venant d'horizons différents ont mis en évidence le poids des moyens matériels en tant que cause importante de conflits et de tensions parmi les réfugiés et les communautés d'accueil.
De nombreuses discussions et analyses autour de ces histoires partagées ont montré comment les problèmes de subsistance ont affecté – surtout négativement – les perceptions de ces collectivités les unes envers les autres.
Les histoires parlent généralement de « concurrence » par rapport aux opportunités d'emploi. Elles reflètent un sentiment d'injustice et d'exploitation parmi les réfugiés, de la colère, du ressentiment et une sensation de privation parmi les communautés d'accueil.
Outre les impressions générales exprimées tout au long des ateliers, les récits de base ont mis en évidence des incidents spécifiques lors de conflits liés aux moyens de subsistance. Des incidents ont eu lieu entre employés et employeurs, entre les employés eux-mêmes, les propriétaires et leurs associés.
Dans certaines histoires, les incidents se sont intensifiés et ont impliqué plusieurs individus ou groupes. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu d'histoires ou d'expériences positives sur les moyens de subsistance. Cependant, les perceptions négatives générales ne peuvent pas être masquées en citant quelques expériences positives.
En général, la manière dont ces histoires ont été présentées et discutées divise les personnes les plus touchées par la crise des réfugiés – réfugiés eux-mêmes et communautés d'accueil – en deux équipes adverses, plutôt que de susciter un groupe unifié de victimes, confrontées au même système ou à la même situation. Cela renforce l'état d'esprit de « concurrence » et nous laisse face à l’erreur consistant à choisir « l’un ou l’autre ».
Le document récemment publié par House of Peace, « Earning Livelihood : When Needs face Fears »,  visait à démontrer comment les gens voient ce problème de leur point de vue, mais en même temps, présentait les résultats de manière à nous aider à surmonter la mentalité du « nous contre eux » et à tenter d'identifier les principaux besoins et les craintes des populations les plus touchées par la crise des réfugiés au Liban.
En général, le problème illustré par la plupart des participants est que les travailleurs syriens prennent les emplois occupés généralement par des Libanais, ou entrent en concurrence avec eux sur le marché, affectant finalement leurs revenus.
D'un côté, les Syriens croient que les employeurs libanais les exploitent, car ils ne jouissent d’aucun droit ni moyen de se protéger, et ils reprochent au gouvernement de les avoir privés de permis de séjour.
D'un autre côté, les Libanais qui ont totalement perdu leur travail à cause des Syriens ou ceux dont les revenus ont baissé rendent principalement ces derniers responsables de leur infortune et accusent ensuite le gouvernement de ne pas protéger leurs droits ou de ne pas créer de nouvelles opportunités d’emploi.
Au cours des discussions qui ont eu lieu lors des ateliers consacrés à la paix sociale, les participants ont attribué cette « concurrence » évidente à plusieurs raisons :
- La forte augmentation du nombre de travailleurs syriens au Liban.
- Le fait que les Syriens acceptent des salaires moins élevés que les Libanais.
- La cupidité des détenteurs d'emplois et des employeurs.
- La haute compétence des Syriens dans certaines professions artisanales.
Comme déjà mentionné, ces idées ont été obtenues grâce aux comptes rendus et analyses de conflits, menés par tous les participants. La plupart des histoires reflétaient les points de vue syriens, car la majorité des participants étaient des réfugiés. Cependant, les histoires des communautés hôtes ont également été auditionnées. Par exemple, cette histoire d'un homme qui avait l'habitude de vendre du pain dans une certaine région, et qui se battait avec un réfugié qui venait aussi exercer ce commerce dans le même secteur, une situation qui obligeait les habitants à intervenir. De plus, les discussions en table ronde ont apporté davantage d'informations sur la communauté hôte, ce qui a compensé sa modeste représentation pendant les ateliers.
Les histoires recueillies ont été classées en 5 catégories :
Compensation : des histoires au sujet de réfugiés qui ne sont pas payés pour les services qu'ils ont fournis. Dans tous les récits, les réfugiés qui ont été privés de leurs droits n'ont pas pu les récupérer par la suite. Et dans certains cas, ceux qui ont exigé des compensations ont été agressés par leurs employeurs et la plupart de ces agressions n'ont pas été signalés.
Travail des enfants : de nombreux participants ont mentionné une augmentation du travail des enfants au Liban, en particulier parmi les communautés de réfugiés. Les conflits connexes étaient principalement dus à la maltraitance des mineurs, ce qui a entraîné une hausse des tensions entre les différentes familles et les détenteurs d'emplois.
Conditions de travail néfastes : ces conflits concernaient des réfugiés qui se voyaient refuser leurs droits fondamentaux au travail, tels que l'indemnisation pour les blessures liées au travail, l'accès aux toilettes et les pauses-déjeuner.
Grande vulnérabilité : les reportages dans cette catégorie ont mis en évidence des incidents où des travailleurs réfugiés ont été victimes d'abus ou de discrimination parce qu'ils représentaient le maillon le plus faible. Des histoires ont été entendues à propos de personnes innocentes accusées d'avoir volé, ou qui ont été forcées de s'excuser même si elles n'étaient pas fautives, ou encore qui ont été menacées d'accepter un salaire injuste parce que leurs employeurs sont les garants de leur permis de séjour.
Échec des partenariats : comme pour tout partenariat d'affaires dans un contexte normal, il est très important d'avoir un accord global. Ce n'est malheureusement pas le cas lorsqu'il s'agit de partenariats entre des réfugiés et des membres de la communauté d'accueil au Liban, car les Syriens ne sont pas autorisés à créer des entreprises, ce qui a entraîné de nombreux conflits entre anciens partenaires.
Comme mentionné précédemment, les histoires recueillies ci-dessus laissent penser que la question des moyens de subsistance n’est qu’un simple problème entre les réfugiés et les communautés d'accueil. Cependant, en creusant plus profondément dans les analyses de ces histoires, des besoins communs et des peurs ont été identifiés.
Besoins communs
Peurs communes
Améliorer les conditions de vie et maintenir une source de revenu
Une durée prolongée de la crise des réfugiés
Investir dans les capacités des réfugiés pour aider à la fois les réfugiés et les communautés d'accueil
Crainte d'un retour dangereux ou inaccessible des réfugiés
Appliquer les principes et le comportement éthique pour la conduite du travail
Demandes d’emploi supérieures à l’offre
Appliquer une loi du travail équitable et un système judiciaire efficace
Des bandes qui monopolisent certaines zones
Appliquer des lois qui interdisent le travail des enfants, ou du moins qui protègent les enfants qui travaillent
Abus sur mineurs et travail forcé des enfants
Inciter les propriétaires d'entreprises à assumer leurs responsabilités en cas d'urgence
Perte d’emploi ou peur d’être remplacé
Pousser les municipalités à réglementer les entreprises syriennes dans des conditions équitables
Non-paiement des charges légales

Peur d’une augmentation des besoins avec le temps

La prise en compte de ces besoins et de ces peurs dans l'approche du problème des moyens de subsistance pourrait aider à faire évoluer les perceptions prédominantes vers des conceptions plus humaines, compréhensives et réalistes.
Réfugiés syriens et communautés d'accueil libanaises souffrent des effets de la crise des réfugiés. Les deux parties sont de plus en plus incapables de vivre dans la dignité ou de maintenir un accès suffisant aux moyens de subsistance. La soi-disant concurrence est en réalité une exploitation par le système des personnes les plus touchées par cette crise.

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