La paix a été déclarée au Liban en 1990,(1) sans que l’on évoque le drame des personnes disparues ni celui de leurs familles. Ce qui signifie que cette paix était et est encore incomplète et fragile, menacée d’être ébranlée à tout instant.
Ce qui faisait pleurer dans ce processus officiel, qui n’a pas su tourner la page de la guerre, est devenu risible avec la tendance officielle actuelle de considérer les familles des disparus comme une menace pour la paix civile. Chaque fois que ces familles réclament le droit à connaître le sort de leurs disparus, elles sont accusées de vouloir rallumer une nouvelle guerre.
Pourtant, la meilleure preuve de la fragilité de la paix civile actuelle est dans le retour des responsables politiques aux barricades de la guerre et les appels adressés à leurs partisans de descendre dans la rue, dès qu’il y a un conflit politique entre eux. A chaque divergence, ils menacent ainsi la sécurité des citoyens.
29 ans après l’annonce de cette paix « venue d’en haut et de l’extérieur »(2), une loi « venue d’une base populaire et de l’intérieur » était promulguée. Elle était destinée à consolider la paix civile, à travers la nécessité de connaître le sort des personnes disparues pendant la guerre. Ce point fait d’ailleurs partie de ses attendus (3).
On peut dire ainsi que les familles des disparus de la guerre ont réussi à obtenir une reconnaissance légale et juridique de leur droit à connaître le sort de leurs proches. Cette loi est un passage obligé vers la véritable réconciliation interne. Seule la connaissance du sort des disparus, qu’ils soient morts ou vivants, ouvrira la voie au pardon. La reconnaissance de ces crimes de guerre et de l’ampleur de l’injustice qui a frappé les familles peut contribuer à alléger le drame qu’elles ont vécu et les sortir de leur statut de victimes.
La connaissance de la vérité sur le sort des disparus est donc aujourd’hui un droit consacré par la loi, grâce aux familles. C’est une loi sociale par excellence qui couvre la nécessité de connaître toutes les vérités cachées et qui jette les fondements de l’édification de l’État sur la base d’une mémoire unifiée, de l’égalité, de la justice et de la démocratie. La reconnaissance par l’État de la nécessité de dévoiler le sort des disparus en les considérant comme des êtres humains comme les autres, des citoyens égaux sans distinction confessionnelle ou régionale et sans les appréhender comme appartenant à une communauté déterminée, est le premier pilier de la construction de la paix et de la consolidation de la société, et empêche ainsi cette dernière de glisser vers une nouvelle guerre.
Certains peuvent dire : cela suffit de faire des analyses pour rendre hommage à cette loi et la considérer comme une victoire. Y a-t-il un État au Liban pour l’appliquer ? Cessez de rêver !
A ceux-là, je répondrai : Nous avons le droit de rêver d’une patrie, car désormais le plat est sur le feu. Pour bien cuire, il a besoin des informations que tous, les coupables et les autres, doivent nous transmettre. Tous doivent profiter de l’équation que nous avons imposée : les informations sur le sort des disparus, en contrepartie du pardon. C’est la seule voie qui mène à la naissance d’une patrie qui nous rassemble, édifiée sur les bases d’une paix réelle et profonde. Je demande aussi à l’État de nous aider à construire une véritable paix civile, celle qui dure et qui est à la base de la patrie qui unit.
(1) Le Parlement libanais a approuvé en date du 5/11/1989 l’accord de Taëf qui mettait fin aux hostilités dans le pays.
(2) Même source, comprendre : les députés libanais réunis à Taëf, en Arabie Saoudite, pour approuver l’accord du même nom.
(3) En date du 30/11/2018, le Parlement a adopté la loi n°105 (Loi sur les victimes de disparition forcée), au terme d’un combat acharné de 36 ans mené par les parents et proches des victimes.