Tous les jours, les indicateurs de la crise économique qui secoue le Liban se font plus flagrants. Autant les conséquences de la pandémie de coronavirus, notamment les deux mois de confinement qui ont privé des centaines de personnes de leur source de subsistance malgré sa nécessité, que l’impact dévastateur de l’explosion du 4 août au port de Beyrouth, exacerbent une situation déjà sombre. Ils soulignent également le bilan alarmant de l’autosuffisance alimentaire au Liban, telle que définie par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), c’est-à-dire « un pays produisant une proportion de ses propres besoins alimentaires qui approche ou dépasse 100 % de sa consommation ».
Les secteurs agricole et agro-alimentaire au Liban sont sous-développés, et leur contribution au PIB est de seulement 5 % chacun, toujours selon la FAO[i]. En tant que tel, le Liban dépend des importations pour assurer les besoins alimentaires de ses habitants, et 85 % de ses denrées essentielles sont importées, ajoute l’agence onusienne. Même dans les aliments produits localement, il y a généralement un élément importé, qu’il s’agisse du fourrage pour animaux, des graines, des pesticides utilisés dans les cultures, ou encore des conteneurs.
Les articles importés sont le plus souvent réglés en dollars. Par conséquent, avec la hausse soutenue du taux de change des devises étrangères, du coût d’importation et donc du prix, ces articles deviennent de plus en plus inaccessibles pour la plupart des Libanais. Le prix du panier alimentaire moyen a augmenté de 120% en août 2020, par comparaison avec la même période l’année dernière, suivant l’index des prix à la consommation au Liban. Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies rapporte une augmentation des prix de l’ordre de 56 % entre octobre 2019 et avril 2020, et tous les indicateurs vont dans le sens d’une augmentation croissante. Le PAM note également que 49 % des Libanais s’inquiètent par rapport à leur accès à l’alimentation[ii].
Malgré la morosité de la situation, certains n’ont pas abandonné l’idée de trouver des solutions, aussi modestes soient-elles, au problème alimentaire du Liban. « Les grandes idées naissent pendant les crises, parce que c’est là que l’on essaie de résoudre les vrais problèmes de la vie », affirme Ziad Hourani, cofondateur de « From the Villages »[iii], une plateforme de commerce électronique qui connecte 28 producteurs, situés dans plusieurs villages du Liban-Sud, avec des consommateurs à Beyrouth. Suite à l’explosion du 4 août à Beyrouth, « From the Villages » a adapté ses opérations pour les diriger vers l’aide à ceux qui ont été affectés par le drame, et la plateforme revient actuellement peu à peu vers son modèle économique de base, affirme son co-fondateur Hani Touma, qui régit actuellement ses opérations.
Plusieurs initiatives ont vu le jour dans l’objectif de réinventer la relation des Libanais avec les aliments qu’ils consomment, opérant un retour aux fondamentaux, notamment l’appui à la production locale, aux fermiers locaux et aux industriels de l’agro-alimentaire.
Certaines de ces initiatives visent à encourager des individus ou des collectivités à produire une partie de leurs besoins alimentaires. Ce type d’initiatives a trouvé un terreau fertile durant le confinement lié au Covid-19. « Le mélange entre l’ennui chez soi et le souci de l’accès à l’alimentation a provoqué un intérêt grandissant pour l’agriculture à domicile », souligne Salim Zouein, co-fondateur du groupe Facebook IZRAA qui compte plus de 44 000 membres, une plateforme communautaire où les membres discutent de défis agricoles et proposent des solutions. M. Zouein assure que cet intérêt envers l’agriculture individuelle n’a cessé de progresser après le confinement, et que le nombre de membres augmente d’un millier chaque quelques jours.
« A mesure que les gens réussissent dans leurs efforts de plantations à petite échelle, comme celui de faire pousser des herbes sur leurs balcons, ils se lancent dans des projets plus ambitieux, et beaucoup d’entre eux cultivent dorénavant de petites parcelles dans leurs villages », affirme Salim Zouein, se basant sur ses observations tirées du groupe. Il ajoute que les questions posées par les membres vont au-delà des cultures : certains veulent désormais s’informer sur l’élevage d’animaux de ferme, et même de vers à soie (avec l’espoir d’utiliser les fils en vue de créer leurs propres vêtements).
A ce titre, il faut préciser que l’explosion de Beyrouth a poussé davantage de personnes à quitter la capitale pour les montagnes, où ils ont repris leur activité de plantations.
Des municipalités, à l’instar de celle de Choueir-Aïn el Sindyané, s’y mettent aussi, et encouragent la culture de fruits et légumes dans leur périmètre, soit en distribuant des graines aux résidents, soit en mettant à leur disposition des parcelles, qu’ils planteraient eux-mêmes ou confieraient à des professionnels. En ce début d’automne, des produits plantés dans le cadre de cette initiative municipale ont été distribués aux familles à revenus modestes de la communauté.
Parallèlement à ces efforts, certaines initiatives, lancées dès les derniers jours de 2019, visent à soutenir des producteurs locaux. Bien que le concept ne soit pas nouveau au Liban – Souk el-Tayyeb est un exemple réussi de marché fermier qui a récemment déménagé dans des locaux plus vastes à Mar Mikhaël – les consommateurs y adhèrent de plus en plus, parce que les produits locaux sont généralement plus abordables et disponibles que les produits importés.
De plus, suite à l’explosion de Beyrouth et l’aggravation des conditions économiques du pays, l’intérêt international dans le financement de produits agricoles locaux a augmenté, affirme M. Zouein.
Bien que ces initiatives aient du mérite, il est probable que leur impact se limite aux niveaux communautaire et individuel, en l’absence d’un plan gouvernemental national engagé en faveur de l’agriculture et des réformes. Un tel plan inclurait la mise en place et le développement des capacités des coopératives d’agriculteurs, dans le but de réduire leur coût de production (par le partage des machines par exemple), et d’améliorer leur pouvoir de négociation avec les commerçants, estime Salim Zouein. Ce plan pourrait également proposer des exemptions de taxes sur les produits importés utilisés en industrie agro-alimentaire, ou encore un appui aux exportations. Les suggestions sont nombreuses, et la route est longue avant qu’un certain pourcentage au moins de la production agricole libanaise ne puisse être revendiqué comme allant directement de la ferme à la fourchette. Mais au moins, des efforts sincères et percutants vont désormais dans la bonne direction.