Parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, le Liban a eu rendez-vous en moins d’un an avec trois crises majeures successives. L’effondrement a commencé avec la crise économique qui a suivi la chute de la livre libanaise par rapport au dollar. Celle-ci a été suivie par la pandémie du Covid-19 et les mesures strictes de confinement et de fermeture du pays qui ont été prises à plusieurs reprises pour limiter les effets de la contamination. Et enfin, il y a eu la tragique explosion au port de Beyrouth le 4 août, qui a détruit de nombreux quartiers de la capitale. Ces trois crises ont pris en otage tous ceux qui résident sur le sol libanais.
Les travailleurs journaliers, qu’ils soient étrangers ou réfugiés ont constitué la partie la plus lésée par ces crises, simplement parce qu’ils sont les plus fragiles, vivant au jour le jour, sans la moindre assurance financière ou médicale. Ces crises successives ont donc eu rapidement un impact réel sur leur quotidien.
Concernant les travailleurs journaliers libanais, un grand nombre d’entre eux s’est retrouvé sans emploi. Certains parce que les entreprises qui les employaient ont décidé qu’elles n’avaient plus besoin d’eux. D’autres parce que les secteurs dans lesquels ils travaillaient, comme le port ou la construction ont été frappés. Ils se sont donc retrouvés dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins.
Tous ces gens se sont retrouvés devant des options aussi mauvaises les unes que les autres. Surtout que l’État n’a pas accompli son devoir en fournissant des aides sociales et économiques. Au cours des derniers mois, nous avons ainsi assisté à un exode à rebours des grandes villes, et en particulier Beyrouth, vers les villages où la vie est censée être moins chère, notamment le coût de l’habitation. De même, l’émigration illégale vers les pays européens, à travers « les barques de la mort », est réapparue même si elle est restée limitée. Les autorités ont certes pris des mesures rapides pour enrayer ce phénomène, mais il pourrait s’intensifier à tout moment.
Quant aux travailleurs étrangers qui vivaient dans le périmètre de l’explosion du port, ils ont dû faire face aux trois crises en même temps : celle de l’effondrement économique, celle du coronavirus et celle qui a été provoquée par l’explosion. Il n’y a même pas de chiffres exacts sur le nombre de ces victimes. Les survivants d’entre eux ont dû se réfugier chez des proches pour s’abriter dans des conditions très difficiles. Ils sont en tout cas conscients du fait que leurs chances d’être indemnisés sont très réduites par rapport aux Libanais. De même, leurs revenus mensuels ont largement diminué. Ce qu’ils gagnent est devenu insuffisant pour assurer leurs besoins quotidiens. A cause de ces nouvelles conditions de vie, ils ont cessé d’envoyer de l’aide à leurs proches dans leur pays, notamment en raison du fait que leurs revenus ne représentent plus rien par rapport au dollar américain sur le marché noir. Les plus chanceux ont pu rentrer dans leur pays, mais la plupart, notamment ceux qui ont des problèmes de documents de séjour doivent attendre dans des circonstances difficiles que des solutions soient trouvées à leur situation. De telles solutions doivent être trouvées entre l’État libanais et les ambassades de leurs pays respectifs. Dans ce contexte, les autorités libanaises doivent avoir un rôle de facilitateur (par exemple, en acceptant un règlement de leur situation légale ou en les exemptant des amendes prévues par la loi). Pour ceux d’entre eux qui sont soumis au système de tutelle, ils n’ont plus dans une large mesure droit à leurs salaires en dollars, comme le prévoit pourtant le contrat initial, à cause du fait que leurs employeurs ne parviennent plus à assurer la somme nécessaire, et que le dispositif décidé par la Banque centrale qui est censé leur permettre de changer la monnaie au taux de 3 900 LL ne fonctionne pas comme il le devrait. Dans de nombreux cas, les employeurs ont renoncé aux travailleuses domestiques, allant même jusqu’à les déposer devant les sièges de leurs ambassades (notamment les Éthiopiennes et les Nigérianes), avant que des ONG ne cherchent à les aider en leur assurant des abris provisoires. Mais ces associations ne sont pas en mesure de régler seules ce grave problème.
Si la misère des travailleurs journaliers libanais et étrangers s’applique désormais aux réfugiés, notamment syriens, ceux-ci subissent encore un problème supplémentaire : ils sont en plus la cible de critiques de plus en plus nombreuses en raison des aides qu’ils obtiennent des institutions onusiennes. De plus en plus de plaintes de Libanais sont enregistrées au sujet des aides fournies aux réfugiés, alors qu’eux-mêmes vivent dans des conditions dramatiques. Les plaintes portent essentiellement sur les aides alimentaires, médicales et dans le domaine de l’enseignement et les Libanais qui s’en plaignent arrivent à la conclusion que la situation des réfugiés est préférable à la leur.
Les signes d’une grande frustration sociale sont apparus, en particulier à la suite de l’explosion au port. Des cas d’interdiction d’accès aux aides offertes dans les régions lésées ont été recensées parmi les réfugiés, ainsi que des pratiques xénophobes toujours dans ce même contexte ont été signalées sous le label « Pour les Libanais seulement ». Dans le même temps, des cas de pratiques hostiles ont été notées devant les sièges de certaines associations et tentes qui distribuaient des aides aux personnes lésées par l’explosion. Tout cela en plus des dommages subis dans le cadre de l’explosion. Des statistiques ont montré qu’un certain nombre de réfugiés ont été portés disparus, alors que d’autres ont perdu leur domicile et leur emploi à la suite de l’explosion. Notamment ceux qui travaillaient en tant que journaliers au port ou dans des entreprises qui ont été endommagées par l’explosion.
Si en général, les expériences dans le monde montrent une simultanéité entre les périodes de stagnation ou de régression économique et la montée des discours haineux, au Liban, cette escalade dans la haine est aussi le fruit de discours politiques véhiculés par des partis influents qui augmentent le sentiment d’hostilité à l’encontre des réfugiés.
En dépit des efforts déployés par les ONG pour faire face à ce phénomène, ils ne peuvent pas suffire à l’éliminer. Cela exigerait un effort collectif à plus d’un niveau. Sur le plan officiel, il faudrait que les autorités adoptent une politique claire qui condamnerait les discours haineux et les pratiques racistes. Il faudrait aussi que les hommes politiques cessent de chercher à aiguiser les rancunes et l’hostilité à l’encontre des réfugiés. Tout comme il faudrait encore que les médias jouent un rôle en s’opposant à ce discours agressif et s’emploient à démonter les arguments utilisés pour le répandre dans les esprits.
En même temps, il faudrait aussi que les programmes d’aides présentés par les agences de l’ONU et les associations de la société civile tiennent compte davantage des besoins véritables des collectivités locales où se trouvent les réfugiés. Ces organismes doivent s’assurer que leurs programmes d’aides parviennent à tous sans exception, dans le but de limiter les frictions, les frustrations et les tensions sociales.