Vers une réémergence du mouvement ouvrier ?

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Posté sur déc. 09 2020 par Karim Merhej, Chercheur et boursier en politique de Google à IFI GovLab, l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth 6 minutes de lecture
Vers une réémergence du mouvement ouvrier ?
Alors que le Liban est confronté à un effondrement multidimensionnel provoqué par une mauvaise gestion et une corruption délibérées de l'establishment politique au pouvoir, ainsi qu’à une pandémie qui a temporairement suspendu une bonne partie de l'activité économique et s’est propagée à une vitesse alarmante au cours des derniers mois, des voix appelant depuis le 17 octobre 2019 à des « alternatives », se font entendre plus forts.

Alors que le Liban est confronté à un effondrement multidimensionnel provoqué par une mauvaise gestion et une corruption délibérées de l'establishment politique au pouvoir, ainsi qu’à une pandémie qui a temporairement suspendu une bonne partie de l'activité économique et s’est propagée à une vitesse alarmante au cours des derniers mois, des voix appelant depuis le 17 octobre 2019 à des « alternatives », se font entendre plus forts. Les alternatives envisagées vont d’appels à la formation d’un nouveau gouvernement de salut, dirigé par des personnes compétentes et honnêtes, à des changements radicaux dans les politiques financières et économiques néo-libérales devenues la norme au Liban depuis la fin de la guerre civile. Bien que ces voix se soient quelque peu estompées en raison des incertitudes politiques qui ont suivi l’explosion dévastatrice du 4 août à Beyrouth et la démission subséquente du gouvernement, il convient de garder à l’esprit qu’aucun appel à un changement radical ne peut se réaliser sans la participation active des forces ouvrières, pour peu qu’elles soient organisées. Or, depuis la fin des années 90, le mouvement ouvrier libanais, entièrement coopté par l’establishment politique, est anémié et sans initiative. Depuis le soulèvement, plusieurs efforts visant à créer des syndicats alternatifs ont été déployés. Mais s’il faut se féliciter de l’existence de tels efforts prometteurs et les encourager, un mouvement intersectoriel unifié et puissant qui parviendrait à défier efficacement les pouvoirs politiques et économiques établis reste une vue de l’esprit.

 

Un mouvement ouvrier inexistant ?

La période d’avant-guerre avait été marquée par un mouvement ouvrier dynamique et intersectoriel qui avait réussi à engranger des acquis significatifs, et à exercer une forte pression sur l’establishment politique et les élites du monde des affaires. On ne peut pas en dire autant, cependant, du mouvement ouvrier de l'après-guerre. Alors que la première moitié des années 1990, d'importants conflits et contestations opposant l'État aux travailleurs s’étaient manifestés, dès 1997 (1), la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL) s’était vraiment anémiée : l'establishment politique avait non seulement retenu les allocations de l'État dus à la CGTL, mais il avait également réussi à l’infiltrer en autorisant la mise en place de syndicats « fantômes » avec un petit nombre d’adhérents réels, mais qui en vinrent à dominer la centrale syndicale. Au lieu de défier les réseaux bien établis du pouvoir politique et économique et de défendre les droits des opprimés, le mouvement syndical coopté au Liban (2) resta passif durant les deux premières décennies du XXIe siècle, tandis que l'establishment politique adoptait des politiques économiques et financières néo-libérales affectant de manière démesurée les pauvres et les travailleurs.

 

Une réémergence du mouvement ouvrier ?

Il n’est pas surprenant que l’annonce de l’imposition d’une taxe extrêmement impopulaire sur une application de mobile notoirement gratuite – la fameuse taxe WhatsApp – ait été la goutte qui a fait déborder le vase. Des décennies de majoration des taxes allant de pair avec des infrastructures publiques en ruine, des services publics médiocres et une dégradation constante du niveau de vie, avaient débouché sur un soulèvement à l'échelle nationale. Au milieu de ce soulèvement toutefois, le mouvement ouvrier était notoirement, mais finalement sans surprise, absent.

Dans cet état de désintégration du mouvement ouvrier, du soulèvement qui prenait rapidement de l'ampleur, émergèrent plusieurs nouveaux syndicats alternatifs (3). Pour n'en citer que quelques-uns : un syndicat alternatif pour les travailleurs des médias (4) ; un syndicat des travailleurs au sein des ONG (5) ; des collectifs de professeurs d'université non-affiliés à l'establishment politique (6). En outre, des travailleurs des secteurs de l’art et de la culture (7) formèrent un collectif ; un organisme regroupant plusieurs syndicats alternatifs, y compris les syndicats susmentionnés, fut créé et l'Association libanaise des professionnels (8) vit le jour, dans le but de relancer dans le pays un mouvement ouvrier dynamique, capable de lutter pour ses droits et de défier les pouvoirs établis.

Il ne fait pas de doute que ces nouveaux syndicats sont essentiels pour réaliser tout type de changements socio-économiques et politiques systémiques au Liban. De telles formations syndicales se révèlent bien plus capables de défendre les droits de ceux qu'ils représentent que les syndicats officiellement reconnus. La preuve en fut donnée quand, début février, un journaliste apprécié fut attaqué par des voyous émargeant sur les bordereaux de l'establishment politique et financier : un appel à manifester du « syndicat alternatif des employés de médias » fut lancé en février 2020 (9) contre cet acte odieux. Il fit descendre des centaines de manifestants dans les rues, de sorte que l'agression fut débattue sur des médias d’audience nationale.

Certes, ces développements sont prometteurs, mais tout n’est pas rose pour autant. Compte tenu de l'effondrement économique et financier, de l'inflation rapide, de l'aggravation des situations de pauvreté et de l’augmentation du taux de chômage, sans parler de l’explosion du 4 août à Beyrouth qui a accentué le marasme, tous les travailleurs du Liban sont soumis à d’énormes pressions. Qu'ils travaillent dans l'économie formelle ou informelle, qu'ils fassent partie d'un syndicat alternatif ou pas, les travailleurs sont confrontés à un stress et une anxiété extrêmes. De ce fait, ils sont beaucoup moins concentrés sur leurs organisations, que sur les moyens d’assurer leur pain quotidien. Du reste, la création de syndicats prend beaucoup de temps et d'efforts, exige des sacrifices et une disposition à travailler collectivement et à mettre de côté les egos et les différences personnelles. Face à un effondrement multidimensionnel et à une pandémie qui commande que de sérieuses précautions soient prises, y compris en matière de distanciation sociale, l’entreprise n’est pas facile. Néanmoins, si ces nouveaux syndicats alternatifs, fruits du soulèvement, parviennent à croître à la fois en taille et en influence, nous serions au tout début de la réémergence du mouvement ouvrier au Liban, un mouvement non-sectaire, indépendant et puissant, qui mettra effectivement au défi les intérêts politiques et économiques dominants.

 

 

1 https://al-akhbar.com/Community/269858 workers

2 https://thepublicsource.org/did-someone-say-workers

3 https://thepublicsource.org/did-someone-say-workers-2

4 https://nakababadila.com/?fbclid=IwAR1qmxyS3FWIM_8zPK6sQTzJbfR3fpsadIS9mwx9x53hfwNs4ixU0YUx1Kw

5 https://www.facebook.com/ngoworkersleb/

6 https://www.facebook.com/IndependentProfessors/ -7 https://www.facebook.com/WorkersArtCulture/ -8 https://www.facebook.com/LebProAssociation/

-9 https://www.facebook.com/nakababadila/photos/a.115484936560972/167787271330738/?type=3&theater
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déc. 2020
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