Que les armes restent à leur place

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Posté sur déc. 01 2018 12 minutes de lecture
Que les armes restent à leur place
© Drawing by Hassan Youssef
En juillet 2002, Ahmed Mansour a quitté son domicile au Sud, sa mitraillette à l’épaule, et il a fait irruption dans son lieu de travail à la mutuelle des enseignants à l’Unesco où il a tué un groupe de collègues. Le crime avait alors été appelé « massacre de l’Unesco ». Le coupable avait été arrêté et condamné à mort. La sentence avait été exécutée. Ce crime avait été le fruit des armes incontrôlées. Il n’était pas le premier de ce genre et sûrement pas le dernier.
Un retour au passé nous permet de passer en revue des événements déplorables qui ont été causés par le phénomène des armes incontrôlées et des tirs désordonnés qui constituent une menace pour la sécurité humaine. Il sera peut-être alors possible de trouver les moyens adéquats pour un traitement réussi de ce phénomène.
Le 2 octobre 2004, à Hay el-Sellom, un quartier de la banlieue-sud de Beyrouth, un homme a exhibé fièrement son revolver comme s’il s’agissait d’un jouet. Et soudain, le coup est parti et la balle l’a atteint à la tête. Il en est mort. Le 27 septembre 2004, à Btekhnay (Baabda), un conflit familial a abouti à la mort d’une avocate et de sa fille. Les deux victimes ont été tuées par un jeune homme qui a aussi tué un proche, avant de se suicider. C’est dire combien la menace des armes incontrôlées risque de se retourner souvent contre ceux qui les portent. Soit ils deviennent leurs propres victimes, soit ils tuent les plus proches membres de leurs familles. C’est ainsi que le 26 août 2003, un jeune homme a tué son père à Raachine, dans le Kesrouan, pour des raisons familiales. Le 6 août 2003, un autre jeune a tué sa femme et sa fille à Hadath. Dans la nuit du 24 mai 2017, au village de Janata au Sud, Mahmoud a tué sa femme et sa fille mineure avant de se suicider. Le 5 juin 2018, au village de Daoura dans le vieux Akkar, un conflit foncier au sein d’une même famille a causé la mort de Hosni Sahmarani (24 ans) et blessé son père. L’auteur du drame n’est que l’oncle du jeune homme. Le 12 juin 2018, toujours au Akkar, Ahmed Ayache a dirigé son arme de guerre contre sa femme (25 ans) et son fils qui n’avait pas 5 ans. Ce qui signifie que la possession d’une arme peut pousser un individu à chercher une victime et parfois, il devient lui-même sa propre victime. Le fait de posséder une arme peut donc pousser à commettre un crime sous le coup de la colère, celle-ci pouvant provoquer un moment de folie qui peut se traduire par des propos ou des actes violents. Même si l’individu regrette ensuite son acte, lorsqu’il retrouve son calme, la possession d’une arme peut créer des faits irréversibles. Les excuses et les dommages-intérêts ne sont plus suffisants pour revenir en arrière ou rétablir la relation entre les proches, surtout si l’utilisation de l’arme à feu a provoqué un handicap permanent ou la mort. A ce moment-là, il n’est plus possible de revenir en arrière.
Le 28 juillet 2003 à Tikrit (Akkar) un garçon de 8 ans est mort à cause de l’explosion d’une grenade avec laquelle il jouait. Sa sœur a été aussi blessée par l’explosion. De même, le 7 avril 2017, un petit garçon, Khattab al-Thaybich, a été blessé à la main par le revolver de son père avec lequel il jouait dans le quartier de Tyré dans le camp de Aïn el-Héloué (près de Saïda). Le 3 août 2018, Baha’ Hleyhel (12 ans) a été tué à Baalbeck alors qu’il jouait avec le revolver de son père. Cela montre avec quelle légèreté certains traitent le dossier des armes, considérant celles-ci comme des jouets à la portée des enfants.
Non, les armes ne sont pas un jouet, ni pour les petits ni pour les grands. Les armes ne sont qu’un instrument de violence, de mort et de crime. Si nous voulons qu’elles soient un moyen de défense, elles doivent être à leur place. Autrement, elles sont une menace pour la sécurité humaine. L’utilisation des armes dans les conflits individuels est un véritable scandale qu’aucune personne saine d’esprit, dans une société civilisée, ne peut accepter.
On peut ainsi citer de multiples exemples. Le 31 août 2003, il y a eu un mort et un blessé dans un conflit sur l’installation d’un appareil de climatisation. Le 14 juin 2004, il y a eu une personne tuée et 6 autres blessées dans un conflit au sujet de l’irrigation d’une terre, et le 1er janvier 2004, dérangés par le claquement d’une portière de voiture, des inconnus ont tué deux enfants et blessé 5 personnes à Ajaltoun (Kesrouan) avant de prendre la fuite. Le 25 avril 2011, Il y a eu quatre blessés à cause d’un conflit sur une carte téléphonique à Baalbeck. Le 17 avril 2017, Marc Yammine a tiré au moyen de son revolver de service sur Khalil al-Kattan et Talal Hamid Awad, les tuant net à Kab Élias à cause d’une tasse de Nescafé. Il ne faut pas non plus oublier l’affaire de Roy Hamouche, originaire de Mansourieh, qui a rejoint la liste des victimes des armes incontrôlées à la suite d’un banal accident de voiture, le 6 juin 2017. De même, à Baïssour, la musique qui est censée adoucir les mœurs est devenue un facteur de douleur. L’inspecteur de la Sûreté générale Makram Molaeb est ainsi mort des suites d’une blessure à la jambe. Le 7 juin 2018, la fillette Roula Mazloum est décédée des suites d’une blessure due à une balle perdue lors d’un conflit entre des groupes de jeunes sur une priorité de passage à Brital. Un mois auparavant, Lamis Naccouche (6 ans) a eu le même sort, à la suite d’un conflit individuel à Baalbeck. À Adloun (Sud), Alaa’ A. a utilisé une arme de guerre pour tirer sur trois de ses collègues, dans une société dont il avait été licencié. Et la liste est encore longue.
Il apparaît donc que l’utilisation des armes pour évacuer la colère et régler les conflits dans leur diversité est la pratique la plus utilisée, car dans notre société et dans notre culture, les techniques de résolutions pacifiques des conflits et la gestion de la colère ne figurent pas dans notre système éducatif.
De même, l’utilisation désordonnée des armes avec leur lot de victimes sont monnaies courantes à toutes les occasions, dans toutes les régions libanaises. Au point que l’utilisation des armes semble être le moyen d’expression préféré de certains Libanais, qu’il s’agisse de l’annonce des résultats électoraux ou de toute autre occasion.
En 2005, par exemple, le président de la Chambre Nabih Berry s’est excusé de ne pas recevoir ceux qui souhaitaient le féliciter pour son élection à la tête du Parlement à la suite de tirs de réjouissance pour son élection qui ont fait deux morts et dix blessés. Le 11 septembre 2017, Rim Chaker est morte, à Mohammara (caza de Minyé) à cause d’une balle perdue lors de réjouissances après le retour de pèlerins de la Mecque. Encore et encore, les résultats des examens officiels sont l’occasion de tirs désordonnés qui font de nombreuses victimes. La dernière en date a été une fillette de 9 ans, tombée à Abdé, le 22 juin 2018. Un homme de 94 ans est aussi décédé d’une balle perdue, devant sa maison à Mechmech (Akkar).
De plus, au moment du tir, la balle fait un bruit qui peut provoquer la peur et la panique. C’est encore pire pour les grenades et les RPG, qui sont aussi utilisées à certaines occasions. Il faut également évoquer les dégâts matériels causés par les tirs désordonnés, sans parler du coût des balles elles-mêmes, le prix de l’une d’elles variant entre 1,500 et 3,000 LL.
L’utilisateur de l’arme bafoue le prestige de l’État en violant ses lois. D’autant que le plus souvent, il cherche à travers l’utilisation de son arme à montrer sa force, alors qu’en réalité il ne fait que confirmer sa faiblesse et son incapacité à s’exprimer de façon civilisée, en ayant recours à cette pratique qui remonte à près de 8.000 ans avant Jésus-Christ. C’est un peu comme si la cacophonie et le bruit des armes restent le moyen le plus simple et bruyant d’exprimer la joie ou la tristesse, au lieu d’utiliser les arts et les mots. Une fois tirée, la balle peut tuer un homme ou un animal ou encore causer un handicap permanent ; elle peut aussi incendier une voiture ou une station d’essence ; atteindre une maison ou une pierre, briser des plaques d’énergie solaire, des tentes en plastique ou des réservoirs d’eau... pour ne citer que ces dégâts matériels.
On peut ignorer l’ampleur des dégâts causés, mais on ne peut ignorer les dommages provoqués par une balle qui peuvent aller jusqu’à la mort. Si celui qui tire une balle accepte l’idée de tuer quelqu’un, il est donc un criminel potentiel et la société doit traiter avec lui sur cette base.
Sur le plan juridique, avec l’amendement n°71 de 2016, la loi a été adaptée à ces crimes. Désormais, celui qui tire d’une arme à feu, qu’il soit doté ou non d’une licence, est passible d’une peine minimale de six mois de prison en plus d’une amende équivalente à huit fois le salaire minimum. L’arme sera aussi confisquée et il ne pourra plus obtenir une licence de port d’armes, durant toute sa vie ; cette peine sera alourdie proportionnellement à l’ampleur des dommages causés par son acte. Mais il faut préciser que le comportement des gens n’est pas seulement dicté par une loi. Il est aussi tributaire de la culture de la société. Il s’agit donc de faire prendre conscience aux gens de la responsabilité de leurs actes. C’est dans ce cadre qu’il faut inculquer aux gens la culture du règlement des conflits par les moyens pacifiques, loin de toute violence.
Il faut donc que toutes les parties s’investissent pour lutter contre ce phénomène des balles perdues et de l’utilisation désordonnée des armes. Dans ce contexte, le pouvoir exécutif devrait revoir la loi sur les armes et les munitions, publiée dans le cadre d’un décret législatif datant de 1959. Les motivations de l’amendement sont multiples. D’autant que le Liban est passé par une guerre civile entre 1975 et 1990, qui a introduit les armes dans chaque maison. Le Liban occupe aujourd’hui la neuvième place dans la liste des pays où les civils possèdent le plus d’armes, selon la classification des armes légères.
Le Liban pourrait aussi profiter de plusieurs mécanismes internationaux pour accompagner l’évolution dans le monde. Pour en citer quelques-uns, il y a le programme des Nations Unies pour lutter contre le trafic illégal des armes légères, sous tous ses aspects et l’arrêter, la Convention pour le trafic d’armes, le Protocole des armes à feu et l’accord international pour la poursuite du trafic d’armes. La loi a donc pour objectif de faire évoluer et d’organiser la dissuasion et la sanction. Il ne s’agit pas seulement pour le pouvoir exécutif de faire appliquer la loi par le biais des services de sécurité, notamment les FSI. Il doit aussi impliquer d’autres ministères, comme celui de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Santé, de l’Information et d’autres. Les autres composantes de la société ont aussi un rôle à jouer dans ce domaine, comme les associations, les partis politiques, les institutions religieuses et médiatiques, les écoles, les universités, les municipalités, les moukhtars, les syndicats et le secteur privé dans son ensemble. Il s’agit de forger une culture de société à ce sujet.
La responsabilité est donc collective et tout le monde est concerné par l’application de la loi et par l’éducation de la société. La maison doit ainsi être un lieu sûr pour la famille et préservée des armes, si celles-ci ne sont pas nécessaires à la protection. Dans le cas contraire, elles doivent rester cachées, loin des membres de la famille. Elles ne doivent pas non plus être exhibées, surtout qu’elles peuvent alors être utilisées dans un moment de colère et aboutir à des conséquences que nul ne souhaite. Il faut aussi éviter d’utiliser les armes pour exprimer la joie ou la tristesse. Il y a d’autres moyens plus civilisés pour le faire. Il faut également apprendre aux enfants à ne pas s’approcher des armes et à ne pas les toucher, car elles constituent un danger pour eux. A plus forte raison, il faut les éduquer à ne pas jouer avec les armes. Surtout les enfants. En plus de tout cela, il faut travailler pour amender la loi qui aborde ce sujet et coopérer tous ensemble pour l’appliquer.
Le chaos dans la détention des armes et dans leur utilisation entraîne des catastrophes pour les sociétés, partout dans le monde. Le Liban n’est donc pas à l’abri de ce phénomène. Les pays évolués ont réussi à le contrôler et le Liban devrait suivre leur exemple. Il devrait faire son devoir pour contrôler le phénomène et l’endiguer, sans nécessairement désarmer tout le monde. Le Liban peut devenir ainsi un modèle pour les pays de la région. La question n’est pas de retirer les armes ou de les maintenir dans ce désordre. Il s’agit d’organiser le secteur et de le contrôler. Cela peut se faire sous le titre « Que les armes restent à leur place ! ». Il ne s’agit certes pas d’une opération facile, mais il ne s’agit pas non plus d’une mission impossible. Notre réussite sera certaine si nous sommes convaincus de l’importance de cette cause humaine, morale et juridique. Notre réussite sera assurée si nous parvenons aussi à l’isoler de la politique, pour la placer dans le contexte de la sécurité humaine et elle seule.



Bibliographie : al-Balad 3 octobre 2004 ; al-Bayrak 28/8/2003 ; an-Nahar 6 août 2003 ; Lebanon Debate 29/12/2017 ; Enfé pour les informations 13/6/2018 ; ANI 18 avril 2017 ; al-Balad 3 janvier 2004 ; al-Mostaqbal 26 avril 2011 ; Lebanon Debate 29/12/2017 ; LBCI 6 août 2018 ; al-Modon 10 septembre 2017 ; LBCI 14 août 2018.

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