Diaspora libanaise et citoyenneté : au-delà des transferts de fonds

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Posté sur mai 07 2020 par Bilal Malaeb, Économiste du développement, London School of Economics 4 minutes de lecture
Diaspora libanaise et citoyenneté :  au-delà des transferts de fonds
Historiquement, la diaspora libanaise a toujours eu les pieds bien ancrés dans son pays de résidence, et le cœur tourné vers la mère-patrie. Si cette caractéristique n’est pas propre au contexte libanais, ce qui différentie la diaspora libanaise est son ampleur et cette coutume libanaise, vieille de plusieurs siècles, d’envoyer certains de ses enfants les plus brillants à l’étranger.

Historiquement, la diaspora libanaise a toujours eu les pieds bien ancrés dans son pays de résidence, et le cœur tourné vers la mère-patrie. Si cette caractéristique n’est pas propre au contexte libanais, ce qui différentie la diaspora libanaise est son ampleur et cette coutume libanaise, vieille de plusieurs siècles, d’envoyer certains de ses enfants les plus brillants à l’étranger. On pourrait être tenté d’y voir une fuite des cerveaux, mais cela présente également de sérieux avantages : le pays a en fait capitalisé sur sa richesse humaine à l’étranger, en matière de commerce, de transferts de fonds et d’investissements, sans compter le capital social et le rayonnement mondial. En effet, les expatriés font des économies et les investissent au Liban – encouragés surtout par le secret bancaire et les taux d’intérêts supérieurs à la normale. Ils investissent dans les affaires et l’immobilier, et envoient des fonds à la famille et aux amis.

Au vu de l’effondrement actuel de l’économie, il faut rappeler que l’un des piliers du modèle financier libanais est, depuis les années 90, le flux constant de devises étrangères, la plupart provenant de la diaspora. Mais au-delà de ces transferts de fonds, comment la diaspora libanaise contribue-t-elle à la cohésion sociale, à la paix et à l’essor du Liban ?

Les transferts de fonds et leur contribution à la stabilité financière et la reconstruction du Liban dans la période de l’après-Taëf a sans nul doute contribué à mettre le pays sur la voie du redressement et de la réconciliation. Toutefois, ce sont les transferts sociaux qui restent un élément souvent négligé de l’émigration. Les transferts sociaux dépendent de la capacité des expatriés à échanger des idées, des compétences et du capital social (y compris la paix, les droits de l'homme et la démocratie) entre leur pays d'origine et d’adoption. Même s’il n’y a pas de carence dans les bonnes valeurs, les compétences et les cerveaux au Liban, certaines pratiques dans la gestion publique des ressources, les prestations en matière de droits de l’homme et le processus démocratique pourraient être améliorées sur base d’expériences étrangères. La propagation d’idées et d’expériences innovantes crée un nouvel imaginaire socio-politique, soit un ensemble de valeurs, normes, institutions et pratiques à travers lesquelles on peut projeter sa société, le contrat social et la sphère publique. Cet imaginaire par-conséquent sert à promouvoir un sentiment d’appartenance, d’objectif commun et, au final, de citoyenneté.

En cette période troublée que traverse le Liban, le niveau accru d’énergie et de mobilisation au cœur de la diaspora est clairement visible. Alors que le changement semblait impossible au niveau des divisions communautaires dans la mère-patrie et au sein des regroupements politiques et des associations de la diaspora, le dernier mouvement populaire d’octobre 2019 a initié un changement structurel dans l’attitude de la diaspora vis-à-vis de la politique libanaise, en phase avec la mobilisation de la rue au Liban.

Ainsi est né le mouvement global de « Meghterbine Mejtemiine » ou « Émigrés unis ». Ils se sont rassemblés par milliers dans les villes principales du monde, en signe de solidarité avec leurs amis et leur famille au pays, élevant la voix contre la corruption, la mauvaise gouvernance et l’injustice. Ils ont protesté, organisé des collectes de fonds, lancé des campagnes pour encourager de nombreux émigrés à rentrer chez eux pour les vacances, revigoré des associations professionnelles, et entamé de nouvelles initiatives dans leurs pays d’adoption, à l’instar d’Impact Lebanon en Grande-Bretagne, ou de NeoLeb au Canada, entre autres. Ces initiatives de solidarité remontent le moral de leurs concitoyens au Liban et créent un sentiment de citoyenneté partagée, transnationale et déterritorialisée.

A un moment où le Liban a besoin d’emprunter la voie du développement durable et d’encourager les compétences et les talents localement, plutôt que de les exporter, l’appui de la diaspora se révèle essentiel pour améliorer ce processus. Toutefois, en vue d’assurer le succès de cette entreprise, le pays devra faire son possible pour garder sa diaspora engagée et bien ancrée dans sa terre d’origine. Alors que l’ouverture du vote à la diaspora en 2018 (élections législatives) était une mesure bienvenue et allant dans la bonne direction, une manière infaillible de renforcer l’engagement de la diaspora sera d’établir, au Parlement, une circonscription électorale propre aux émigrés.

Les Libanais emmènent leur patrie dans leurs bagages là où ils vont, et leur patrie d’origine aspire à leur appui. Outre le fait qu’ils envoient de l’argent au pays, les émigrés ont prouvé qu’ils sont également source d’espoir, d’énergie et de sentiment d’unité.
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