Ce n’est sans doute pas un hasard si nous choisissons de parler de la femme à l’ère des révolutions. Depuis le 17 octobre 2019, la femme s’est placée sur le devant de la scène, dans cette révolution qui a marqué le Liban moderne. Quelle est donc son influence dans ce mouvement ?
Si l’on part du principe que la femme est une citoyenne au même titre que l’homme, et que par conséquent elle a les mêmes droits et devoirs que lui, une distinction entre eux n’est plus justifiée. Dans ce cas, la femme devient une citoyenne qui participe avec l’homme à la vie professionnelle, sociale, culturelle, politique et nationale. Ce qui signifie aussi qu’elle participe à ses côtés à la vie « révolutionnaire ».
Des fils barbelés
En cette période de révolution, nous ne pouvons plus considérer la question de l’égalité entre l’homme et la femme comme secondaire. Mais si nous la lions au concept global de citoyenneté, elle peut devenir un détail. C’est peut-être ce qui a poussé la Libanaise à s’impliquer de plus en plus dans la révolution, depuis son déclenchement. Elle était aux côtés de l’homme dans tous les domaines et parfois, elle a pris les devants.
L’un des rôles principaux que la femme a joué dans la révolution s’est concrétisé dans la manifestation de Chiyah-Aïn el-Remmaneh, avec le symbolisme de ces quartiers dans la mémoire de la guerre. C’était donc une décision féminine d’organiser cette manifestation pour exprimer le refus de rééditer l’expérience amère de la guerre, en se basant sur la véritable citoyenneté qui donne à la femme une responsabilité nationale au même titre que l’homme et qui considère que ce concept doit aussi renforcer la paix civile et protéger cette dernière de toute forme de violence.
Linda Khairallah est l’une de ces mères qui ont participé à la manifestation de Chiyah-Aïn el-Remmaneh. Elle raconte au quotidien an-Nahar cette expérience : « C’était, dit-elle, un jour extraordinaire. Je n’avais jamais ressenti auparavant cet amour spontané et collectif qui se dégageait de tous les participants. Musulmans et chrétiens, nous étions unis par un même souci, une même souffrance, matérialisés par la difficulté de vivre dans ce pays ».
« Nous sommes toutes des mères, et nous ne voulons pas que nos enfants s’en aillent », poursuit-elle. Linda est mère de trois jeunes garçons et seul l’un d’eux est encore au Liban. « Je suis fatiguée de l’émigration, avoue-t-elle. Même si je ne l’ai pas vécue personnellement. Mais l’expérience avec mes enfants est suffisante pour que je me mette à la détester. C’est assurément le cas de nombreuses mères ».
Selon Linda, la mère libanaise a beaucoup enduré. Ce n’est donc pas surprenant qu’elle soit en première ligne dans cette révolution. « C’est la douleur qui la pousse à agir et c’est pourquoi son expérience dans la révolution est sincère et touchante ».
Ce qui est sûr c’est que ce mouvement féminin a renforcé encore plus le concept de citoyenneté et la logique de la participation de la femme aux côtés de l’homme dans toutes les scènes et dans tous les domaines, même ceux qui sont considérés dangereux.
Le point controversé de l’égalité entre l’homme et la femme est d’ailleurs évoqué dans le rapport de 2019 sur le développement humain, dans le cadre d’un des « aspects de l’inégalité au 21ème siècle ». Ce rapport, publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement précise ainsi que « l’inégalité entre les genres au 21ème siècle est considérée comme une question essentielle, étroitement liée au développement humain. Elle montre des dynamiques de rapprochement et d’autres d’éloignement. Dans plusieurs coins de la planète, la femme continue à être plus ou moins écartée de certaines fonctions essentielles dans la vie. Cela apparaît clairement dans certains domaines, comme la santé procréatrice et les capacités dans le monde du travail et autres ».
Mais le même rapport constate « un phénomène de réduction de l’inégalité dans certains domaines essentiels dans la plupart des pays. Mais il reste lent ». Le rapport confirme toutefois l’existence d‘un message essentiel stipulant que « l’inégalité s’accumule tout au long de la vie et provoque ainsi des failles profondes dans les rapports de forces ».
Cette équation semble pourtant éloignée de l’ère de la révolution que vit le Liban, depuis près de six mois, puisque la femme a pratiquement été en première ligne dans la confrontation et qu’elle a su traduire le concept de citoyenneté réelle sur le terrain. À partir de là, parler de discrimination est devenu inapproprié. Le rôle de la femme est apparu clairement dans chaque affrontement. La femme a en effet joué le rôle de force tampon entre les manifestants et les forces de l’ordre, se transformant pratiquement en « fils barbelés » pour éviter toute friction entre les deux camps. En résumé, c’était donc elle qui protégeait l’homme ! Une fois de plus, elle a ainsi prouvé qu’elle participe avec l’homme à la véritable citoyenneté.
Journaliste ou femme ?
Au cours des derniers six mois, les médias étaient un pilier de la révolution. Dans l’expérience sur le terrain, la journaliste Rachel Karam a couvert le mouvement dans une région sensible : Tripoli.
Elle raconte : « Le rôle diffère selon les caractères de l’homme et de la femme. Cette dernière penche naturellement vers l’apaisement et elle possède une approche plus humaine que chez l’homme. Elle comprend mieux les souffrances. Mais je ne crois pas que les manifestants traitaient différemment les journalistes hommes ou femmes. C’était aussi le cas des forces de l’ordre. J’ai personnellement perçu cela, car la femme n’était pas plus protégée que l’homme dans cette révolution. Les policiers ne faisaient aucune distinction entre l’homme et la femme, surtout quand elles étaient en colère. Elles ne faisaient aucune différence ! ».
Rachel Karam a réfléchi en femme. « Peut-être que pour les forces de l’ordre, dit-elle, l’équation est plus claire avec les hommes : une force contre une autre. Mais avec les femmes, l’approche est différente ». Cependant, elle reconnaît que la personnalité de l’envoyé spécial sur place joue un rôle important dans la couverture des événements. « L’expérience professionnelle, la conception du rôle des médias et du métier en général, sont des facteurs importants dans la couverture des événements et c’est ce qui fait la différence entre un journaliste et l’autre, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme ».
Il reste que les médias affrontent actuellement un grand défi, celui des réseaux sociaux. Tout citoyen devient ainsi journaliste et évalue l’expérience et le travail des vrais journalistes. Ce qui comporte un aspect négatif qui nuit à la profession. Ce phénomène nouveau ne sert pas la véritable citoyenneté. Au contraire, il constitue une menace pour elle et risque de l’éloigner de son parcours véritable. Il est évident qu’on ne peut pas dissocier la citoyenneté de la responsabilité nationale, car ce sont les deux faces d’une même monnaie...
En résumé, la femme libanaise a vécu de nombreuses expériences, en période de guerre et en temps de paix, mais aussi à l’ère de la révolution. C’est pourquoi dire que la révolution est une femme c’est un peu lui rendre justice...