La consolidation de la paix menée par des femmes syriennes au Liban : entre illusions et possibilités

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Posté sur août 01 2019 6 minutes de lecture
La consolidation de la paix menée par des femmes  syriennes au Liban : entre illusions et possibilités
© Artwork by Mona Abi Warde
Quand on m’a demandé d’écrire sur le rôle des femmes syriennes dans l’éducation à la consolidation de la paix dans le contexte libanais, j’ai immédiatement essayé de réfléchir à cette invite en décortiquant la question pour mieux la comprendre. J’ai commencé par me demander ce qu’on entend par « consolidation de la paix »,

lorsqu’on se réfère aux actions entreprises par les femmes syriennes dans le contexte libanais, alors que le conflit lui-même se déroule en Syrie. De quelles femmes parle-t-on spécifiquement ? Est-ce des mères réfugiées syriennes, des enseignantes syriennes ou des femmes actives au sein de la société civile syrienne pouvant atteindre la diaspora syrienne ? Qui est impliqué lorsqu’il s’agit d’éduquer les enfants à la consolidation de la paix dans un contexte de crise et de conflit ? Plus encore, comment pouvons-nous aborder la notion de consolidation de la paix lorsque la paix elle-même n’est pas réalisée dans le pays d’origine de ces femmes ? Surtout, comment est-il possible d’initier un débat sur la consolidation de la paix si nous ne commençons pas par nous attaquer aux causes profondes ayant engendré le conflit en question ? Peut-être que la question porte aussi un message sous-jacent : la paix au Liban est également une matière à débat.

Par souci de concision, cet article se penchera particulièrement sur les femmes réfugiées syriennes, qui selon ONU Femmes représentent 52 % des réfugiés syriens enregistrés au Liban.[1] Jusqu’en décembre 2017, 80,9 % des réfugiés syriens enregistrés au Liban étaient des femmes et des enfants (Yassin, 2018)[2].

En ce qui concerne la notion de « consolidation de la paix », il convient de préciser que c’est l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, qui a, dans son rapport de 1992 intitulé « Un agenda pour la paix », présenté à l’ONU la notion de « consolidation de la paix » comme une « action qui vise à renforcer et consolider la paix afin de prévenir une reprise des hostilités ». Le rapport 2000 de Lakhdar Brahimi s’est attardé sur les activités de consolidation de la paix pour garantir que celle-ci ne se limite pas à l’absence de guerre. Selon International Alert, la consolidation de la paix comprend deux phases de paix : « positive » et « négative ». « Le défi consiste à utiliser les périodes de stabilité, de paix négative, pour construire à long terme la paix positive qui se mesure par l’amélioration de la gouvernance et l’accès équitable aux opportunités économiques, à la justice, à la sécurité, ainsi qu’à d’autres aspects du bien-être, tels que la santé, l’éducation et un environnement décent pour y mener une vie digne. »[3]

Cela signifie que la consolidation de la paix est une initiative extrêmement complexe qui ne se restreint pas à la « stabilité », une condition préalable à l’établissement d’une paix durable. De plus, l’éducation à la paix nécessite une approche globale en matière d’enseignement dans le contexte des conflits et dans les pays d’accueil des réfugiés. Pourtant, d’après l’expérience acquise dans ce domaine, l’éducation à la paix n’est pas un critère retenu dans les interventions éducatives des agences des Nations Unies et des organisations internationales, qui consacrent leur soutien principalement à l’inscription d’enfants réfugiés syriens dans les écoles publiques libanaises dans le cadre des programmes RACE I et II lancés par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Plus encore, les enseignants syriens qui manifestent une empathie naturelle envers les enfants syriens et partagent leur détresse ne sont pas autorisés à enseigner au Liban en raison des réglementations de l’emploi. Cela étant, quel serait donc le rôle des femmes réfugiées syriennes dans l’éducation à la consolidation de la paix, dans le contexte sociopolitique extrêmement complexe du Liban ?

Selon le Dr Zelana Montminy, spécialiste en psychologie positive, la poursuite de simples rêves comme le bonheur ou la paix est difficile à atteindre. Le seul chemin qui puisse aboutir à l’épanouissement personnel nécessite une aptitude à faire face aux défis comme s’il s’agissait d’opportunités et de développer sa force émotionnelle dans des moments difficiles nécessitant une résilience. « La résilience n’est pas uniquement le fait de se redresser », dit Montminy. C’est un changement dans la façon de penser qui mène à un développement personnel et à un changement. En d’autres termes, la résilience ne consiste pas à accepter le statu quo, qui deviendrait dans ce cas un état de subordination, comme avance Paulo Freire.

Cependant, lorsque la sécurité et les moyens de subsistance constituent la principale préoccupation des femmes réfugiées syriennes, qu’elles soient mères, enseignantes ou militantes, les contributions à la consolidation de la paix et au développement deviennent une réflexion a posteriori.[4] Le fait de soutenir les femmes réfugiées syriennes au Liban contribue le plus à augmenter les chances de paix et de développement durables, d’autant que selon ONU Femmes, 83 % d’entre elles détiennent un rôle de décision plus important que celui qu’elles avaient avant le déplacement. Ce soutien consiste à les aider à devenir plus résilientes et à être des actrices de la consolidation de la paix en développant leurs compétences pédagogiques et en leur offrant des moyens de subsistance appropriés. Une étude intitulée « Les réfugiés et la dynamique régionale de la consolidation de la paix » montre que la dynamique régionale de la consolidation de la paix et des situations de réfugiés doit être améliorée et demeure une opportunité inexploitée pour les pays hôtes :

Les pays hôtes ont intérêt à contribuer au développement des moyens de subsistance et des compétences éducatives des réfugiés en exil. Lorsque les réfugiés sont rapatriés, ils retournent dans des environnements fragiles qui risquent souvent de retomber dans le conflit [...] La reprise de la guerre signifie souvent la perpétuation d’une nouvelle situation de réfugiés, avec des pays qui, ayant jadis accueilli des réfugiés, se retrouvent contraints de les accueillir à nouveau. (IPI, 2011).[5]

Une réfugiée syrienne vivant dans les camps informels dans la vallée de la Békaa m’a dit : « Nous savons ce dont nous avons besoin, mais ce sont eux qui doivent être convaincus ». Par « eux », elle désignait la communauté internationale, les donateurs et les gouvernements hôtes. Ces acteurs-clés doivent être convaincus de la nécessité de passer à une approche de développement en travaillant sur une pédagogie globale pour la paix plutôt que sur une simple intervention éducative, mais aussi de la nécessité de « combler l’écart » en associant l’assistance humanitaire au développement à long terme, afin de paver la voie à la réintégration effective des réfugiés dans leur pays d’origine.[6] Dans le cas contraire, la consolidation de la paix restera une initiative décevante si tous les acteurs n’y participent pas. Il faut tout un village pour faire de la paix une réalité.

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