En avril 2020, on commémorera le 45e souvenir du déclenchement de la guerre civile libanaise, l'une des guerres les plus longues et les plus dévastatrices du XXe siècle. Une guerre qui nous a gravement marqués physiquement et émotionnellement, compte tenu de sa brutalité et de son absurdité.
Dans cette guerre dévastatrice, les femmes se sont révélées être de véritables héroïnes, contraintes qu’elles furent d'assumer de nouveaux rôles au sein de la famille, de la communauté et de la sphère publique. On les vit avec constance engagées à réparer et recoudre le fragile tissu social déchiqueté et déchiré par les massacres, les viols, les francs-tireurs, les voitures piégées, les bombardements et les déplacements forcés. En l’absence des hommes – partis se battre, détenus, déplacés, disparus ou morts – les femmes devenaient, entre autres, chefs de famille, pourvoyeurs, infirmières, ravitailleurs, négociateurs et faiseurs de paix, pour ne citer que quelques-unes de ces fonctions de suppléance.
Les Libanaises ont résolument tenté de maîtriser la folie des armes, en participant à des mouvements pacifistes et non-violents tels que des marches, des grèves de la faim, des sit-in, des travaux humanitaires, des efforts de réconciliation et des réunions de prière. Elles se sont portées volontaires et ont travaillé dans des organisations nationales et internationales, organisant des camps de vacances pour enfants au Liban et à l'étranger, aidant à collecter des fonds pour les handicapés et les blessés graves, et les envoyant se faire soigner à l'étranger. Elles ont coordonné les actions de secours en faveur des réfugiés et des familles déplacées, en fournissant des rations alimentaires, des couvertures, des vêtements, des soins médicaux et des abris.
Les femmes du Liban, individuellement ou collectivement, ont joué un rôle majeur dans le maintien d'un semblant de normalité, méritant ainsi le titre de « sauveurs du tissu social libanais ». Tout au long de la période de guerre, elles tentèrent d’en amortir les effets, s’efforçant de défier les lignes de démarcation, combler les fossés et effacer les divisions dans un pays ravagé par un sectarisme socialement dévastateur. Elles ont négocié la paix dans leurs communautés, elles ont été les intermédiaires qui ont protégé leurs hommes et leurs familles en essayant de raisonner les miliciens dans la rue et les factions en guerre, afin de soutenir la poursuite d’un dialogue constructif.
Imane Khalifé fut l’une de ces héroïnes de l’ombre qui, du jour au lendemain, s’est transformée de citoyenne ordinaire en activiste pacifiste quand, autour de la dixième commémoration de la guerre, elle appela à une marche sur le thème : « Pensez-vous que les gens ont besoin d'un permis de révolte ? ».
Finalement, la marche qu’elle s’était efforcée d’organiser n’eut pas lieu, en raison des bombardements intensifs qu’échangèrent ce jour-là les factions belligérantes. Toutefois, son appel déclencha des manifestations à Paris, Londres et New York et son activisme lui valut le prix « Right to Livelihood », encore appelé « Prix Nobel Alternatif de la Paix».
Nehmat Kanaan, alors directrice générale du ministère des Affaires sociales, infatigablement attachée à ses obligations humanitaires, s’exprima courageusement contre les barricades et les cloisonnements imposés par les milices. « Je n'ai jamais toléré que du mal soit dit par une partie quelconque contre l’autre, disait-elle. J’ai toujours défendu les musulmans quand on se plaignait d’eux à Beyrouth-Est et défendu les chrétiens lorsque le contraire se produisait à Beyrouth-Ouest ».
La guerre poussa également à la résistance de nombreuses femmes de lettres libanaises, qui exprimèrent ainsi leur horreur de la guerre. Émilie Nasrallah, Hanane el-Cheikh, Etel Adnan, Evelyne Accad et Jean Makdissi figurent parmi les nombreuses écrivaines qui, parlant d’expérience, transcendèrent leurs souffrances quotidiennes en témoignages émouvants de la capacité de l’humanité à renaître par la compassion, malgré toutes les dégradations.
Dans un appel demeuré célèbre transmis par la radio d’une milice, Wadad Halawani appela tous les Libanais qui avaient vent d’une personne manquante à participer à une marche devant la mosquée Abdel Nasser, pour réclamer l’appui du gouvernement à leurs parents et amis disparus. C’est grâce à elle que le « Comité des familles des personnes enlevées ou disparues » vit le jour – sa marche fut l’une des premières où des femmes descendaient dans la rue pour protester contre la guerre.
Malgré tous leurs efforts, bien que les activistes des mouvements pacifistes au cours de la guerre aient été en majorité des femmes, et malgré l’accroissement de leurs nombre au sein des syndicats et des partis politiques, les femmes furent marginalisées lors des négociations de paix et des efforts de reconstruction de l’après-guerre. Leur absence des tables de négociation et leur confinement à la sphère privée, indiquent que les structures patriarcales peuvent resurgir quand l'ordre est rétabli. En définitive, la guerre au Liban est peut-être considérée comme une guerre sans vainqueurs, mais les femmes en furent les grandes perdantes.
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