Les disparus

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Posté sur avr. 01 2017 5 minutes de lecture
Les disparus
On dit que « les disparus ne sont ni morts ni vivants ». Ils doivent flotter dans un univers intermédiaire en attendant que leur sort soit dévoilé. J’avais 7 ans en 1981, lorsque mon père a été détenu à Beyrouth. Trois jours plus tard, il a été libéré. Plusieurs années plus tard, j’ai compris qu’il a été plus chanceux que de nombreuses autres personnes.
On estime à 17 000 le nombre de personnes disparues et victimes de disparition forcée, dont les familles attendent toujours le retour. Elles ont toutes disparu durant la guerre civile du Liban de 1975 à 1990. C’était des hommes et des femmes, tous âges confondus, de différentes religions et appartenances politiques. Ils ont été kidnappés par les différentes milices libanaises ayant participé à la guerre, mais aussi par la Syrie et Israël.
Depuis 2010, je raconte les histoires des familles de disparus en photographiant leur combat.

Mohammad Abbas
Zahra Abbas est assise sur son lit dans son appartement à Tyr, au Liban-Sud. Son mari, Mohammad, a disparu en 1978 alors qu’il rentrait au Liban en provenance d’Arabie saoudite, au terme de son contrat de travail. Mohammad, qui conduisait sa voiture accompagné de deux autres collègues, a traversé la frontière saoudo-jordanienne, jordano-syrienne, puis la frontière libano-syrienne. Mais il n’est jamais rentré auprès de sa famille à Tyr. Il avait 32 ans.
En Décembre 2015, un mois après l’avoir photographié, Zahra est décédée sans connaître le sort de son époux. Elle a élevé seule ses quatre filles sans jamais cesser de le chercher. En 1978, elle avait 25 ans.
Georges Ghaoui
Une photo déchirée en deux, prise au milieu des années soixante, de Marie Ghaoui en compagnie de son fils Georges tenant une grande bougie, à l’occasion du dimanche des Rameaux. La photo est posée sur l’un des deux lits dans l’appartement où Marie vit seule.
Georges avait 22 ans lorsqu’il a été enlevé à Beyrouth-Ouest. Il s’y était rendu pour un rendez-vous de travail le 30 décembre 1983. Il comptait fuir avec sa fiancée le lendemain.
Marie a déchiré la majorité des photos de Georges pour en retirer les proches et les amis. Les seules photos qu’elle a laissées intactes sont celles que Georges avait prises lors de son voyage à Hong Kong, quelques mois avant son enlèvement. Marie a cherché son fils partout, mais ne l’a jamais retrouvé. Elle poursuit son combat pour connaître son sort.
Kariman Mohammad
Un manteau de fourrure appartenant à Kariman Mohammad est suspendu dans une armoire dans la chambre de sa fille Racha Jomaa, à Saïda, au Liban-Sud.
Un jour de 1986, Kariman a laissé son mari et ses deux enfants dans leur maison à Saïda et s’est rendue chez ses parents à Beyrouth.
Il a fallu près de deux mois pour que son mari et ses parents, qui n’étaient plus en contact, réalisent que Kariman n’était jamais arrivée à Beyrouth ce jour-là et qu’elle avait disparu.
Racha n’avait alors que 5 ans. Depuis quelques années, elle a commencé à enquêter sur les circonstances de la disparition de sa maman.
Kozhaya Chahwan
Nahil est assise dans le jardin de la maison, à Batroun, au Liban-Nord, où son mari Kozhaya Chahwan est né et a grandi et où elle a déménagé après leur mariage puis ont eu leurs quatre enfants.
Kozhaya avait 28 ans, lorsqu’en 1980 des inconnus sont venus le chercher à son lieu de travail soi-disant pour une enquête. Il n’est plus jamais rentré.
Nahil, qui avait alors 25 ans, a dû travailler pour élever ses enfants, les envoyer à l’école et aider ses beaux-parents avec qui elle a vécu vingt-cinq années après l’enlèvement de son mari. Elle l’a cherché partout. Elle a été d’un centre de détention à un autre, jusqu’à ce que finalement, elle l’a aperçu pendant quelques minutes dans une prison syrienne. Depuis ce jour, son sort est inconnu.
Rachid Liddawi
Oum Rachid regarde la télévision dans sa maison à Tripoli, au Liban-Nord. Au-dessus d’elle, une photo de Rachid est accrochée au mur. Le 10 avril 1976, Rachid est sorti acheter des cigarettes, mais il n’est jamais rentré. Il avait 15 ans. Sa mère l’a cherché partout dans le pays, mais elle n’a jamais eu de ses nouvelles. Son cœur lui dit qu’il est toujours vivant.
Plusieurs parmi les personnes disparues et les victimes de disparitions forcées avaient moins de 18 ans.
Wajih Zahalan
Une chaussure dans un immeuble abandonné à Bhamdoun, à l’est de Beyrouth, qui faisait office de centre de détention durant la guerre civile libanaise de 1975-1990. En 1982, une pile de passeports appartenant à des personnes kidnappées par une milice libanaise a été trouvée à l’intérieur du bâtiment. Parmi ces documents, le passeport de Wajih Zahalan, retrouvé un mois après son enlèvement en 1982.
Wajih était sorti de son domicile, à Aley, en un jour pluvieux, très tôt le matin, pour se rendre à son travail, dans la Békaa. Il se trouvait en compagnie d’un collègue de travail. Ce matin-là, il était parti sans réveiller ses quatre enfants. Il ne leur a jamais dit au revoir. Quelques jours plus tard, un ami de la famille a appris que les deux hommes ont été arrêtés en chemin et enlevés de force. Wajih avait 38 ans.
Quand ils ont retrouvé son passeport, sa photo était enlevée, mais son nom et d’autres informations étaient conservés.
En 2014, Ayman, le fils de Wajih, est entré dans l’immeuble pour la première fois après l’enlèvement de son père. Il a commencé à chercher des écritures sur le mur, espérant trouver un message de son père. Il n’a rien trouvé.

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