Guerre du Liban : les référents des constructions mémorielles

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Posté sur avr. 01 2017 8 minutes de lecture
Guerre du Liban : les référents des constructions mémorielles
© Ayman Baalbaki/ Gallerie Saleh Barakat/ Gallerie Agial Art
Un premier recensement des publications couvrant la période 1975-1977 a été effectué par Salam et Sadaka et publié en tirage limité. Le livre doit se trouver certainement à la Japhet Library de l’AUB où Sadaka était bibliothécaire. La question qui se pose à notre mémoire est comment découper cette longue période de quinze ans en tranches et périodes qui partagent une même cohérence des faits, des buts politiques et des démarches mises en œuvre.
Tout en constatant l’existence de nombreuses chronologies, il faut bien se rendre compte qu’il n’existe pas encore une périodisation de cette longue période. Je propose de considérer la période de 1975 à 1982 comme un ensemble qui tient sa cohérence du fait que c’est la guerre de certains Libanais (majoritairement chrétiens) contre la présence armée palestinienne. La seconde période, qui suit l’invasion israélienne de 1982 jusqu’à 1990, tire sa cohérence du fait qu’il s’agit de restructurer un État à l’ombre de la présence militaire syrienne, et en considérant la composante chrétienne comme perdante dans ce nouvel intervalle qui sera parachevé par l’accord de Taëf.
La guerre sur… les noms de la guerre
Dix appellations définissent cette guerre et reflètent simultanément la poursuite du conflit dans la perception même qu’on en a.
1- La guerre civile
Dès 1976, un éminent universitaire, Kamal Salibi, introduit le terme « civile » pour qualifier la guerre qui se déclenchait. Dans un célèbre ouvrage, Crossroads to Civil War, l’historien adopte ce qualificatif et analyse les racines historiques de la guerre à travers les décalages et les disparités sociales inhérentes à la société libanaise. Cette conception de la guerre ainsi que cette dénomination, seront celles que le Mouvement national adoptera, ainsi que les milieux de la gauche et les intellectuels, appelés à l’époque islamo-progressistes (Kamal Hamdane, Fawaz Traboulsi) et beaucoup d’universitaires et de journalistes de culture anglo-saxonne.
2- La guerre incivile
Le terme est d’Ahmad Beydoun (Le Liban, Itinéraires dans une guerre incivile), inventé en 1992, mais couvrant la guerre depuis 1976. Beaucoup de choses se cachent derrière le vocable incivile, en fait, tout le dispositif de la guerre du Liban : les milices, les exactions, les rackets, les vols et surtout les massacres des civils par les incivils et les déplacements forcés de populations. Une guerre se fait toujours contre les civils et contre la civilité.
3- La guerre pour les autres
En plein débat sur les causes internes de la guerre et son caractère civil, tombe en 1984 le livre de Ghassan Tuéni qui établissait une approche de la guerre du Liban fondée sur la théorie de la guerre par procuration. Pour Tuéni, les facteurs externes et régionaux sont les éléments locomoteurs de la guerre du Liban. Ceux-ci financent, arment, fournissent matériel et hommes. Les facteurs internes, les groupes libanais ne sont pas pour autant innocentés, leur complicité est totale, ils ont accepté de jouer en politique ce qu’ils font depuis des siècles dans le commerce : être les représentants exclusifs des acteurs externes.
4- La guerre des autres
Avec un glissement sémantique et une dose généreuse de bonne conscience, la guerre pour les autres deviendra la guerre des autres. Là, on se trouve dans un schéma explicatif tout à fait différent de la guerre, car il disculpe les Libanais devenus par le terme « des autres » des spectateurs passifs dans une confrontation qui les dépasse. Cette appellation de la guerre du Liban prendra une connotation quasi-officielle au cours du mandat du président Élias Hraoui.
a) La guerre du Liban
b) La guerre au Liban
c) La guerre libanaise
Pour les chercheurs et les intellectuels, il fallait trouver un terme neutre pour qualifier cette guerre. C’est pourquoi ce n’est plus l’enjeu qui devrait déterminer l’appellation mais l’identité de l’espace qui l’accueille. Ce sera donc La guerre du Liban (Samir Kassir, Ahmad Beydoun, Antoine Jabre) ou La guerre au Liban (Jonathan Randal).
d) Les guerres du Liban
e) Les guerres des autres au Liban
f) Les guerres libanisées
À mesure que les recherches sur la guerre au Liban avançaient, il devint évident que l’utilisation du singulier (« la » guerre) ne rend pas la réalité du phénomène qui s’est étalé sur quinze ans, attisé par une intervention militaire syrienne et deux invasions israéliennes. Donc, il n’y a pas une guerre mais des guerres. Dans leur ouvrage commun de 1993 en langue française, Boutros Labaki et Khalil Abou Rjeily font le Bilan des guerres du Liban. Le pluriel est aussi la dénomination préférée du chercheur Waddah Charara et du journaliste Hazim Saghiyé. Le premier inventa le terme « Les guerres libanisées » (al-houroub al-mulabnanat) et Saghiyé parle des guerres internes et externes du Liban.
Au terme de cette tentative qui consiste à essayer de définir l’objet de notre mémoire collective, on propose de considérer le terme de guerre civile comme le plus erroné et celui des guerres du Liban comme le plus conforme à la réalité.
Les lieux et leurs dénominations
Les lieux et les acteurs ont reçu des dénominations durant la guerre, indépendamment de leur appellation officielle utilisée couramment.
Beyrouth : à un barrage milicien sur la route, si vous dites « je suis de Beyrouth », ça ne marche pas ! Il faut préciser « Beyrouth-Est ou Beyrouth-Ouest ». Est signifie le secteur Achrafieh sous contrôle des Forces libanaises dirigées par les partis chrétiens du Front Libanais. Ouest, en revanche, signifie la zone opposée contrôlée par les milices du Mouvement national, des partis de gauche et des organisations palestiniennes.
Les régions : Il faut savoir aussi comment chaque partie désigne « sa » région et comment ses adversaires le font de leur côté. La zone qui va de Beyrouth-Est à la banlieue Nord-Est, la moitié du Metn, le Kesrouan, Jbeil, et la région-sud de Batroun est appelée par les Forces libanaises « régions libérées », Manatiq mouharrara. Les partis du Mouvement national et la gauche les qualifient de « zones isolationnistes », manatiq in’izaliyyah, et les partis du Front libanais « les forces isolationnistes », kiwa in’izaliyya. La zone qui va de Beyrouth-Ouest en direction du Liban-Sud et le sud du Mont-Liban est appelée par le Mouvement national « les régions nationales », manatiq wataniyya, et par les Forces libanaises « régions occupées », manatiq muhtallat.
A partir de 1977, le Liban-Nord et la plaine de la Békaa sont devenus les « régions syriennes ».
Lignes de démarcation et voix de passage
La principale ligne de démarcation, khatt tamass, traverse Beyrouth de la région du Port à l’Est jusqu'à la sortie au niveau de Hazmieh, sur la route de la Montagne. Ainsi, elle coupe Beyrouth en deux secteurs bien distincts. Sur cette ligne se trouvent des points de passage appelés ma’aber, qui peuvent être fermés ou ouverts sans que les usagers ne le sachent à l’avance.




Les principales sources imprimées
Mémoires
Amine Gemayel : L’Offense et le pardon, Gallimard, 1988
Camille Chamoun : Mémoires et souvenirs, Imprimerie catholique, 1979
Kamal Joumblatt : Pour le Liban, Stock, 1978
Photos et chronologies
- As-Safir, Centre de documentation, Loubnan 1982 : Yawmiyyat al-ghazou al-Israïli, wathaïq wa souar. Photos et documents sur l’invasion israélienne de 1982.
- Joseph Chami : Le Mémorial de la guerre, 1975-1990. Il couvre les deux mandats Sarkis et Gemayel.
- Joseph Chami : Deux volumes sur la guerre de 1975-1976 et sur la suite de 1977-1982. Photos, documents et chronologies.
- René Chamussy : Chronique d’une guerre, Le Liban, 1975-1977, Desclé, 1978.
- Stavro Jabra: Vie et mort sans légende, 1982, photos.
- Zaven Kouyoumdjian : Shot Twice, 2003. Cet album interpelle directement la mémoire en montrant avec un intervalle de trente, vingt ou quinze ans les mêmes endroits, les mêmes lieux avec les mêmes personnes. Comment ils étaient et comment ils sont devenus.
Les œuvres créatives
- Les pièces de théâtre de Ziad Rahbani, Rafic Ali Ahmad, Roger Assaf et Yacoub Chedraoui.
- Les CD et DVD sur la guerre du Liban produits par la chaîne al-Jazeera.
- Les travaux de Maria Chakhtoura sur les graffiti : La guerre des graffiti et l’exposition Les Murs de la honte (Walls of Shame), 1975-1978.
- Zeina Abirached : Le Jeu des hirondelles, bande dessinée sur la guerre vécue à Achrafieh.
Le cinéma
- Les films de Maroun Baghdadi : Petites guerres, Hors la vie, L’Homme voilé.
- Burhan Alawiyeh : Beyrouth, la rencontre (Bayrout al-Likaa’).
- Le film de Rami Douéri : West Beirut
- Nadine Labaki : Et maintenant on va où ?
Sources sonores : les chansons
- Marcel Khalifé : Rita, Ya Bahrieh, On cultivera des centaines de coquelicots à Chiyah, etc.
- Les chansons des Forces libanaises disponibles en CD à la Fondation Bachir Gemayel, dont le titre phare est : Achrafieh le commencement, Les débuts de Bachir…
- Les chansons de Pascale Sacre, dont le titre principal est : « Un Seul Liban ».
Tous ces titres sont engagés et leurs compositeurs/interprètes sont des militants affiliés à un camp (gauche islamo-progressiste) ou à un autre (milices chrétiennes). On peut aussi mentionner les chansons patriotiques de Feyrouz (Behebak ya Lebnan) et Majida el-Roumi (Rajeh yetaamar Lebnan et Ya Bayrout).
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