La place des us et coutumes dans la relation entre déplacés syriens et communautés hôtes

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Posté sur déc. 01 2017 10 minutes de lecture
La place des us et coutumes dans la relation  entre déplacés syriens et communautés hôtes
© Illustration de Yasmine Darwiche
Les mariages mixtes (ou non), le rôle de la femme, les veilles tardives, les " promenades " dans les jardins publics, le regroupement des chaussures devant la porte du domicile, le style d’habillement… Ces questions relatives aux us et coutumes de nos sociétés, et tant d’autres, ont fait l’objet de nombreux débats autour de ce qui rassemble et ce qui différencie les Syriens et les communautés qui les ont accueillis.

Ces débats se sont déroulés dans le cadre d’ateliers de travail organisés par l’équipe du projet de "Dar el-Salam"[i], qui a réuni des réfugiés, des membres des communautés hôtes et des travailleurs dans les domaines humanitaires issus des communautés locales. Les histoires étaient variées et très significatives pour tous ceux qui sont concernés par le travail dans l’humanitaire ou le développement. C’est ce qui nous a poussés, à Dar el-Salam, à réfléchir à la manière dont nous pouvons transformer ce contenu en recommandations qui contribueront à renforcer la paix civile au Liban et en Syrie. De là est née l’initiative des " Voix syriennes ".

Le premier papier publié par Dar el-Salam sous le titre " us et coutumes " n’était pas un papier académique qui, à défaut d’apporter des réponses définitives sur le rôle de ces us et coutumes comme facteurs de paix ou de conflit pour les réfugiés syriens au Liban, visait à poser ces problématiques en rapport avec la paix sociale sous un angle purement local, à travers le regard spécifique de certaines personnes. Le titre donné à cette série ne signifie pas qu’elle est la voix d’une seule société, celle des réfugiés, mais plutôt qu’elle contribue à offrir une tribune à tous ceux qui n’en avaient pas, quelle que soit leur nationalité. Toutefois, il y a deux raisons principales au fait que l’on se soit concentré plus particulièrement sur les réfugiés : ces personnes appartiennent à la catégorie sociale la plus marginalisée d’une part, et elles forment la majorité des participants à ces ateliers de travail d’autre part. Malgré cela, ces histoires, idées, débats et recommandations reflètent les points de vue divers que se partagent des Libanais, des Syriens, des Palestiniens et tous ceux auxquels nous avons pu avoir accès dans nos cercles de dialogue.

Pour plus de clarté, il convient cependant de noter deux remarques concernant ce travail : d’une part, plutôt que d’effectuer une étude théorique sur la nature des us et coutumes, nous avons choisi de rassembler des histoires dont les auteurs décèlent des liens avec ce concept. De là, nous avons retenu les histoires dont le contenu vient enrichir le débat sur les habitudes de la société. Ainsi, beaucoup d’entre elles portent sur l’emploi, le mariage précoce, le travail des enfants, le rôle des personnalités locales dans la résolution des conflits, etc.

La deuxième remarque porte sur le classement et la généralisation. Ainsi, nous avons noté que, du point de vue des us et coutumes, la société de réfugiés et la communauté hôte ne sont pas nécessairement des sociétés homogènes intérieurement et différentes entre elles. En effet, dans nombre d’histoires, les participants étaient d’accord que les points communs entre certains Syriens et Libanais étaient plus nombreux qu’entre compatriotes. De ce fait, les us et coutumes ont un impact différent selon les cas, pouvant tout autant être un facteur de paix que de conflit.

À titre d’exemple, certains participants considèrent que le mariage mixte syro-libanais a joué un rôle de facilitateur en faveur de l’accueil et du logement de nombre de familles déplacées de Syrie, et en faveur d’une adaptation relativement rapide. D’un autre côté, cette tradition a été considérée comme un facteur de tensions entre les deux peuples du fait de certaines interprétations qui y sont liées, comme la dot relativement modeste exigée par la femme syrienne, ou encore le fait qu’elle accepte sans problème la polygamie.

L’une des participantes a raconté une anecdote significative qui s’est déroulée dans un taxi-service entre deux Syriennes et une Libanaise. Les deux premières discutaient du retour de leurs maris respectifs du travail. La Libanaise est alors intervenue dans la conversation pour accuser les maris syriens de " voler " les emplois des Libanais. L’une des Syriennes lui a alors répondu : " Nous n’allons pas seulement voler vos emplois, mais vos maris aussi ! " La dispute s’est terminée en bagarre, tant et si bien que le chauffeur a chassé ces dames de son taxi… Il semble, de par cet exemple, que cette tradition de polygamie ait connu une recrudescence récemment, ce qui constitue un sujet sensible, notamment parmi les femmes.

Toutefois, selon une chercheuse en sciences sociales qui a participé à l’un des ateliers de travail, il n’existe pas de chiffres précis autour du mariage mixte entre Syriens (les femmes surtout) et Libanais après la crise des réfugiés. Nous ne savons pas si le débat autour de ce phénomène tient donc du sensationnalisme social et de l’exploitation politique, ou s’il reflète une réalité nouvelle.

Sur un autre plan, le changement des rôles au sein de la famille a fait l’objet de multiples débats. La plupart des participants ont convenu que la femme syrienne a trouvé, au sein de la société de réfugiés, une occasion d’entrer sur le marché du travail et de contribuer aux revenus de la famille, à un moment où les hommes n’avaient souvent pas la possibilité de se faire embaucher ou de circuler librement sur le territoire libanais. Or comme le travail de la femme est toujours mal accepté au sein de certaines communautés, ce changement a provoqué des remous au sein des familles.

Dans ce cadre, de nombreuses Syriennes racontent que la participation à des programmes organisés par des organisations humanitaires a affermi leur confiance en elles-mêmes et leur a conféré une indépendance et une force qu’elles décelaient précédemment chez la femme libanaise. Certaines ont même été jusqu’à affirmer que des femmes qui aspiraient au divorce mais n’y avaient pas accès sont devenues plus libres de se libérer de l’oppression qu’elles subissaient. À contrario, nous avons appris que certains hommes ont obligé leurs femmes à se retirer de certaines sessions, et ont demandé aux organisations d’arrêter leurs campagnes de sensibilisation, prétextant que les femmes étaient devenues " plus désobéissantes "…

Se faisant l’écho d’un autre son de cloche, certaines participantes ont considéré que le travail des femmes est vécu par certaines Syriennes comme un fardeau qui leur a fait perdre le privilège de n’avoir d’autre responsabilité que de s’occuper des enfants et de la maison.

Pour ce qui est du sujet du mariage précoce, soulevé de manière récurrente, il est décrit par la majorité des participants comme un des phénomènes aux impacts les plus néfastes, psychologiquement et physiquement, sur les mineur(e)s. En même temps, il est souvent vu comme un mécanisme – même négatif – d’adaptation aux conditions de la vie de réfugiés, puisqu’il permet d’alléger le fardeau économique et de trouver un " garant " local qui soutient la famille. Toutefois, les participants ont fait remarquer que ce phénomène n’est pas nouveau et faisait partie des coutumes locales avant même la crise. Voilà pourquoi il n’y a pas eu de prise de position définitive sur ce sujet. Et bien que ce phénomène soit également répandu au Liban, ce sujet est devenu matière à sarcasme à l’encontre des sociétés de réfugiés, accusées d’être rétrogrades par la société hôte.

Le travail des enfants a également eu sa part des débats. Malgré l’image négative qui l’entoure, le travail des enfants est considéré parfois comme la seule solution possible pour assurer un revenu au foyer, surtout si le principal pourvoyeur est absent ou que sa capacité à se déplacer est limitée. Là aussi, ce phénomène n’est pas nouveau, plusieurs sociétés estimant que le travail est un moyen d’éduquer et de renforcer la personnalité des jeunes. Et bien que l’emploi des enfants allège quelque peu la misère des familles, il n’en reste pas moins un élément de tensions entre les parents et les employeurs qui, souvent, n’hésitent pas à exploiter l’enfant, et à le faire travailler dans des conditions extrêmement dures.

Il est significatif, cependant, que l’un des sujets le plus polémiques soit celui des célébrations lors des occasions. On croirait, à tort, que les us et coutumes liées à cet aspect de la vie soient rassembleuses, mais ce n’est pas toujours le cas. L’une des habitudes que les Syriens ont ramenées de chez eux, et qu’ils ont d’autant plus perpétuée qu’elle répond à un besoin d’économies, est celle de la célébration des mariages et autres grandes occasions à la maison. Or ces célébrations se font en présence d’un grand nombre d’invités, et durent jusqu’à une heure tardive. Plusieurs conflits ont ainsi éclaté avec des voisins, arrivant même jusqu’au point où des familles étaient menacées d’expulsion. Dans d’autres cas, de telles occasions ont, au contraire, rapproché des familles de nationalité différente, notamment autour de la nourriture.

Au registre des histoires positives, il en existe plusieurs où des Libanais ont contribué à régler des problèmes auxquels faisaient face des Syriens. L’une de ces histoires est celle d’une famille syrienne menacée d’expulsion par un propriétaire, bien que l’accord entre eux ait stipulé que les Syriens pouvaient habiter le domicile à condition de s’acquitter de sa rénovation. Ce conflit n’a pris fin qu’après l’intervention d’un cheikh libanais qui a réconcilié les deux parties. Toutefois, les interventions ne sont pas toujours les bienvenues. Ainsi l’intervention d’un Libanais qui a voulu régler un différend au sein d’un couple de Syriens a été considérée par certaines participantes comme une intrusion dans les affaires intérieures familiales. Bien que celles-ci reconnaissent que la violence domestique soit une pratique inacceptable, elles soutiennent cependant que l’intervention d’un étranger a eu, dans ce cas, des conséquences plus négatives que positives, puisque le mari, et par conséquent toute la famille, ont été expulsés du domicile qu’ils occupaient.

En somme, le sujet des us et coutumes est bien trop complexe pour être résumé en une seule recherche. Les traditions peuvent avoir des effets variés sur nos relations en tant qu’individus ou que groupes, et surtout dans un contexte de crise de réfugiés. Voilà pourquoi tout ce qui a précédé constitue une contribution modeste à un débat dont il est souvent question, sans qu’il ne soit mené la plupart du temps de manière critique et analytique. Les médias et les organisations sont invités, à titre particulier, à enrichir ce débat en prenant le sujet au sérieux, afin de mieux sonder l’impact de leurs activités sur les relations humaines des bénéficiaires, à la lumière des habitudes courantes dans les sociétés locales.



[i]  Un projet d’édification de la paix sociale fondé avec le soutien de l’Ordre des jésuites au Liban, en collaboration avec les communautés locales et les organisations humanitaires et de développement

 

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