Les développements au cours des deux dernières décennies ont montré que l’influence des groupes fondamentalistes avec leurs valeurs barbares et leurs pratiques violentes a augmenté. Ces groupes menacent désormais les pays occidentaux, notamment après l’exécution de plusieurs attentats en France, en Belgique, en Allemagne et aux États-Unis et après l’adhésion de nombreux jeunes dans plusieurs pays européens à Daech. De même dans certains pays arabes, plus précisément en Syrie, en Irak et en Libye, les minorités craignent de plus en plus la coexistence avec les musulmans. Cette crainte s’est justifiée après les terribles agressions contre les Zadites à Sinjar (en Irak), l’exode par la force des chrétiens de Mossoul et l’égorgement des coptes sur la côte méditerranéenne en Libye.
Le principal défi des musulmans aujourd’hui réside dans la reconquête de la confiance des autres, en les rassurant et en corrigeant leur relation avec le reste du monde. Le seul moyen d’y arriver réside dans la libération de la religion de l’emprise des groupes fondamentalistes pour l’apaiser. Le chemin le plus sûr pour atteindre cet objectif est la réforme de l’État national à travers la levée de la mainmise des autorités politiques sur les institutions religieuses connues, tout en menant un processus de correction globale des valeurs et des concepts déformés par les extrémistes. L’un d’eux porte sur la relation de l’islam avec " l’autre ".
L’islam, selon les textes sacrés du Coran et selon l’exemple donné par le Prophète lui-même, rend hommage à l’homme en tant que tel, indépendamment de ses croyances, de son genre, de sa langue, de sa civilisation et de sa couleur de peau. La diversité, le pluralisme, les distinctions et les divergences font partie de la volonté de Dieu. Il est d’ailleurs dit dans le Livre saint : " Si Dieu l’avait voulu, il aurait créé les hommes identiques ". Tout comme il est demandé aux musulmans de " coexister avec " l’Autre ", pacifiquement, dans un esprit de coopération et de volonté de le connaître. Il est ainsi dit dans le Livre saint que " Dieu ne vous demande pas de lutter contre ceux qui ne vous combattent pas dans votre religion, qui ne vous chassent pas de vos maisons. Au contraire, Il vous demande d’être justes avec eux et de les aider. Dieu aime ceux qui font du bien ". Dans ce contexte, le Bien évoqué dans le Livre est la forme supérieure de la bienfaisance. Plus loin, il est aussi dit qu’il " faut discuter avec les gens du Livre de la façon la plus aimable possible ", lançant aussi un appel " aux gens du Livre pour s’entendre sur une même approche ". Al-Boukhari a même raconté dans son livre datant de 1312 qu’il est arrivé au Prophète de voir passer un convoi funéraire. On lui a dit qu’il s’agissait des obsèques d’un juif. Il a alors répondu : " N’est-il pas une âme ? ". Plus même, lorsque le Prophète est mort, son bouclier était retenu en gage chez un juif. Le Prophète aurait pu recourir à ses amis pour payer ses dettes et retrouver le bouclier. Ils auraient accepté avec empressement. Mais il a voulu que son bouclier reste entre les mains d’un juif pour que sa " oumma " en tire la leçon.
Concernant l’expérience du Prophète avec les gens du Livre, nous nous arrêterons sur deux documents essentiels. Le premier est civil et comporte une reconnaissance de la réalité sociale pluraliste et de l’égalité des droits entre toutes les parties. Ce document répertorie 20 groupes différents, neuf d’entre eux sont musulmans et onze non musulmans. Aucun groupe n’a été exclu ou exilé, y compris ceux qui ne croient pas en un seul Dieu et qui figurent dans l’article 20 du document. Plus encore, ce document considère les juifs comme faisant partie de la " oumma des musulmans ". " Ils ont leur religion et les musulmans ont la leur ", est-il écrit dans l’article 24. Malgré cela, certains groupes juifs se sont retournés, mais pas tous les juifs, contre les présidents, à des moments très critiques et ils ont coopéré avec les groupes qui ne croient pas en un seul Dieu.
Le second document a été rédigé par le Prophète lui-même à l’an 10 après l’Hégire et il est destiné aux chrétiens de Najrane, qui étaient venus chez le Prophète après sa victoire contre Khoreiche et Khayber. Le premier point de ce document stipule ainsi : " Je vais les protéger avec leurs églises, leurs maisons, leurs prières, leurs hommes de religion. Je protègerai leur religion et leur confession, où qu’ils soient, comme je le fais avec moi-même et avec les gens de l’islam et ceux qui appartiennent à ma confession ". Un autre point de la plus haute importance figure aussi dans ce document : " S’ils ont besoin de restaurer leurs églises et leurs lieux saints, les musulmans doivent les aider à le faire. Ce ne sera pas une dette mais une volonté de les aider à renforcer leur foi religieuse, par fidélité au serment du Prophète ".
Autrement dit, si les chrétiens veulent construire des églises, les musulmans doivent les aider, sans attendre une contrepartie ou considérer cela comme un prêt.
Lorsque le rendez-vous de la fête de Pâques est arrivé, alors que les chrétiens de Najrane étaient encore dans la ville, le Prophète a ouvert pour eux les portes de la mosquée pour qu’ils puissent y faire leurs propres prières. Lorsqu’une délégation des chrétiens d’Éthiopie est venue dans la ville, le Prophète l’a installée dans la mosquée et il s’est lui-même occupé d’eux en disant : " Ils ont été accueillants avec nos frères qui sont partis en Éthiopie avec Jaafar ben Abi Taleb et je dois leur rendre la pareille personnellement ".
Depuis l’époque des omeyyades, les chrétiens célébraient leurs rites religieux dans les rues, dans des cortèges où les croix et les hommes de religion étaient en fête. Ces célébrations ne se déroulaient d’ailleurs pas en l’absence des musulmans. De même, sous le règne de Haroun el-Rachid, la pratique voulait qu’à la fête de Pâques, les rues soient décorées et que les chrétiens défilent dans la rue dans un long cortège. Un grand historien a écrit que la première période abbaside était considérée comme une ère de prospérité, en raison de la tolérance envers les chrétiens qui pouvaient exercer leurs rites religieux en toute liberté, construire des églises et des couvents et qu’ils étaient traités sur un pied d’égalité avec les musulmans dans les fonctions. Des centaines de chrétiens étaient ainsi des fonctionnaires officiels et le nombre de ceux qui ont été promus jusqu’aux plus hautes fonctions de l’État était tellement élevé que cela avait suscité la suspicion des musulmans. Il faut encore relever un événement. Lorsque les Tatares ont enlevé un groupe de citoyens composé de musulmans, de chrétiens et de juifs, des négociations ont eu lieu avec l’émir des Tatares, Katloshah. Ce dernier a proposé de relâcher les musulmans, mais le calife de l’époque a refusé insistant sur la libération de tous ceux qui ont été enlevés.
Même les athées, ceux qui ne croient pas en un seul Dieu, les païens, les perses, les bouddhistes, les hindous et les autres, avaient les mêmes droits que les musulmans. Il n’y avait aucune distinction entre eux. Ils étaient des citoyens comme les autres. Par contre le Jugement dernier était laissé à Dieu. Ils étaient donc traités comme les " gens du Livre ", et la relation avec les musulmans était basée sur le dialogue, la coopération et le respect. Lorsque les musulmans ont conquis la Perse et que ces religions sont apparues, il y a eu des concertations entre eux. Abdel Rahmane ben Off a déclaré avoir entendu le Prophète dire qu’il faut les traiter comme les croyants du Livre.
Mais en dépit de tout cela, il faut reconnaître qu’il y a eu des exactions, pendant les règnes de certains califes, à l’égard des non-musulmans. Cependant ces exactions n’étaient pas, dans la plupart des cas, limitées aux non-musulmans. Elles pouvaient toucher les musulmans et tous ceux qui s’opposaient à l’autorité politique, comme l’imam Ahmed ben Hanbal.
En conclusion, le verset qui dit : " Il n’y a pas de contrainte dans la religion " (sourate de la vache 256) reste l’élément le plus important dans l’approche des religions, selon le Coran. Sur la base de ce verset, les musulmans ne peuvent pas mener des combats ou des guerres pour des raisons religieuses, telles que celles qui sont invoquées par les groupes extrémistes. La seule raison qui donne une légitimité à la guerre et au combat est " la légitime défense ". Il faut donc que l’Autre, quel qu’il soit et même s’il est musulman, attaque pour que la défense soit justifiée. Selon la sourate du pèlerinage, verset 39, " l’autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués de se défendre ". Ailleurs, il est aussi dit : " Ceux qui vous attaquent vous devez les attaquer de la même manière (La vache 194). Si les non-musulmans de Khoreiche n’avaient pas attaqué le Prophète en l’insultant et en cherchant à le chasser de chez lui, Il ne les aurait pas attaqués, et se serait contenté de dire : " Que celui qui veut croire le fasse et que celui qui veut être un kafer le fasse. Vous avez votre religion, j’ai la mienne ". De même, si l’Iran et les chrétiens (les Roums) n’avaient pas commencé à l’attaquer, il n’aurait pas riposté...