Une illustration calligraphique en arabe de Zahed Koubayssi montrant la différence entre les mots " dé- placés " et " réfugiés " dans l’agencement des lettres qui les composent. Le dessinateur établit une étude des caractères calligraphiés et évoque la nostalgie et le désir de retour qui habitent l’esprit des déplacés, alors que les lettres ramassées dans le deuxième mot illustrent le regroupement des réfugiés dans un lieu bien défini, replié sur lui-même.
La discussion débute largement par le débat évident sur l’identification de ces personnes. Celui-ci a conduit à un périple épique et pathétique à travers la formulation et les attentes. Depuis le début de l’afflux des Syriens au Liban, suite au conflit armé, le gouvernement libanais s’est dissocié de la crise. Plus dangereusement, il a transféré cette responsabilité à la myriade d’organisations internationales travaillant au Liban et dans les pays donateurs. Cela s’est accompagné d’une série de communications internes et de messages politiques au niveau national.
Depuis 2012, le gouvernement utilise le terme de " déplacés syriens " pour désigner les réfugiés syriens au Liban. La position est fortement fondée sur l’hypothèse selon laquelle le fait de désigner les réfugiés en tant que déplacés déchargerait l’État libanais de ses responsabilités. Cette approche soulève deux préoccupations principales. La première est le déplacement de la discussion vers un exercice linguistique de brainstorming sur un champ lexical portant sur le mouvement et la mobilité. Les premières années de la crise ont surtout consisté à faire en sorte que la communication relative à la crise humanitaire exclue le mot " réfugiés ". La deuxième préoccupation, plus dangereuse, réside dans les motivations et les intentions. En adoptant de telles terminologies, le gouvernement libanais vise à échapper aux devoirs et responsabilités qui incombent à tout détenteur d’obligations dans le cadre des droits de l’homme.
La question reste de savoir si les gens ont moins de droits s’ils sont appelés " déplacés ". La société libanaise est-elle plus résiliente dans sa perception des réfugiés avec une formulation différente ? Bien qu’il ne soit pas adhérent à la Convention de 1951 sur les réfugiés, le Liban a néanmoins des obligations vis-à-vis des réfugiés syriens et ne peut les maintenir dans un trou noir juridique, même dans le contexte d’un afflux massif. Une série de normes internationales existantes sont en effet applicables en ce qui concerne le non-refoulement des personnes fuyant un conflit, mais aussi leurs conditions de protection dans le pays d’accueil. Ces normes devraient être interprétées de manière à renforcer la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile. Il est primordial de souligner que l’afflux massif ne peut être invoqué par le Liban pour violer le principe de non-refoulement et les obligations internationales fondamentales en matière de droits de l’homme.
D’un autre côté, plusieurs termes, malgré qu’ils soient juridiquement corrects, pourraient aussi alimenter les tensions entre les communautés d’accueil et les réfugiés. Apprendre que de nombreux ressortissants syriens sont " irréguliers " au Liban ou qu’un certain nombre d’entre eux sont détenus pour " entrée illégale " ou " séjour illégal " répand une perception d’insécurité parmi les communautées libanaises. Le Liban a tout intérêt à assurer la stabilité et la sécurité du pays, mais les restrictions fondées sur les catégories, y compris les arrestations et les détentions, ainsi que la stigmatisation et les mauvais traitements persistants de réfugiés devraient être traités dans le contexte du droit. Les politiques rigides mises en place à l’encontre des ressortissants syriens au Liban, en plus des couvre-feux, des raids, des arrestations et des violations de la présomption d’innocence, ont généré une forte impression d’une menace à la sécurité chez les Libanais ayant accueilli des réfugiés. Celle-ci entraîne une plus grande ségrégation et une discrimination affaiblissant la cohésion sociale et constitue de nouveaux défis pour les contributions à la stabilité.
Alors que les médias et les dynamiques sociales jouent un rôle important dans la définition des attitudes, en blâmant ou en ciblant des collectivités spécifiques, les autorités, conjointement avec d’autres organisations pertinentes, y compris la société civile et les acteurs humanitaires, devraient examiner les moyens de construire et de maintenir la cohésion sociale. Changer les perceptions et les attitudes à l’égard des réfugiés afin qu’ils soient vus dans leur réalité sans fard, plutôt que perçus comme une menace inhérente sur les plans socio-économique et sécuritaire, est fondamental pour combattre les impressions erronées qui ont alimenté la jalousie et le ressentiment de l’opinion publique libanaise.
En conclusion, le transfert constant des responsabilités et la création d’un environnement de dépendance et de protection pourraient être contre-productifs au vu des préoccupations du gouvernement libanais et de l’intérêt de la société. Il est donc absolument nécessaire que les débats en cours sur un document de politique officielle compréhensible portent sur ces défis. Il est important que même lorsqu’ils discutent des solutions à la crise, les décideurs libanais se concentrent à la fois sur le retour en Syrie et la protection des droits pour les réfugiés syriens, qui devront de toute façon passer plusieurs années au Liban.