Lorsque le " ghrib " se déplace dans le Kesrouan : haine collective et acceptation individuelle

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Posté sur déc. 01 2017 8 minutes de lecture
Lorsque le " ghrib " se déplace dans le Kesrouan :  haine collective et acceptation individuelle
Les habitants du Kesrouan ne manquent pas, dans leur majorité, d’exprimer leur colère face à l’infiltration des déplacés syriens dans leurs villes et villages. Si le mot " racisme " porte une connotation condescendante envers un groupe de personnes, d’aucuns le poussent à l’extrême. D’autres en revanche n’ont pas honte d’évoquer, non sans " haine ", un " ennemi " qui, à leurs yeux, est et continue d’être à " l’origine des problèmes économiques et politiques du pays ".

Dans le passé, cette région a lutté pour que les Syriens restent hors de ses murs. Pendant longtemps, elle a porté haut l’étendard de la résistance, au même titre que ses voisines de Jbeil et du Metn. Aujourd’hui toutefois, les habitants expriment leur mécontentement face à une politique libanaise en général, et kesrouanaise en particulier, ayant entraîné une infiltration " des Syriens " dans les villages et les quartiers du caza. Leur présence est de ce fait devenue un fait accompli.

Aussi, les Kesrouanais n’attendaient pas les dernières prises de positions politiques appelant au retour des déplacés dans les villes et villages sécurisés en Syrie, pour développer leur mécontentement ou leur opposition. Même si ces prises de positions ont contribué à hausser d’un cran le ton du discours.

Pourtant, la haine collective s’accompagne d’une acceptation individuelle, tantôt en raison d’" intérêts " et tantôt en raison de " relations personnelles ". En effet, certains propriétaires d’entreprises se défendent d’avoir embauché des Syriens, au moment où certains habitants prennent la défense de voisins et locataires syriens. À chaque attitude amicale correspond une autre attitude amicale et tout discours de haine attire une haine similaire.

 

Les Syriens du Kesrouan

Les Syriens ne sont venus au Kesrouan que pour des raisons de travail. Forcément, ils ont eu écho de la notion de " ghrib " (étranger) telle qu’utilisée dans le jargon local. Avant la guerre en Syrie, ils s’étaient installés dans le caza pour travailler dans les chantiers. Ces mêmes ouvriers sont devenus, après le déclenchement de la guerre en Syrie, des ouvriers-déplacés ayant aidé d’autres Syriens à s’installer dans les hauteurs du Kesrouan. Notamment les musulmans d’entre eux. Quant aux Syriens chrétiens, ils ont choisi la région pour des considérations religieuses.

Raghida, qui s’est déplacée avec sa famille en 2013, raconte que son mari n’a pas voulu se réfugier dans d’autres régions à majorité musulmane. Bien que la religion permet à la famille de s’intégrer dans la contrée, plus précisément à Jounieh, " la vie n’a pas été facile au début ". " Jusqu’à une période récente, nous étions ces Syriens qui allaient porter atteinte aux ressources de ce pays ", dit-elle. La situation n’a changé qu’après plusieurs démarches entamées par le couple envers leurs voisins et leurs employeurs. Pour ces raisons, le propriétaire du négoce où elle travaille a multiplié les efforts pour inscrire sa fille dans l’une des écoles de la ville, après que la directrice de l’établissement public ait refusé de la recevoir, parce que le nombre des élèves était au complet.

À l’instar de nombreux Syriens, Raghida n’a pas attendu longtemps avant de décrocher un travail. " Les propriétaires des commerces et des entreprises nous tolèrent tant que les prestations assurées par l’employeur au salarié sont réduites au minimum ", avance-t-elle. Elle connaît de nombreux Syriens qui ont remplacé des Libanais sur le marché de l’emploi, " ce qui renforce l’animosité des Libanais envers nous, sachant que nous n’avons pas forcé l’employeur à nous embaucher ".

Alors que la nature du travail est différente sur les hauteurs du Kesrouan, où les hommes, toutes communautés confondues, travaillent dans l’agriculture et la construction, le regard posé sur eux ne change pas et pousse les Libanais à prendre les plus sévères mesures de précaution. À Hrajel, tout comme à Faraya, Jeïta, Yahchouche et même Safra, ainsi que dans d’autres villages et villes, " chaque Syrien est soupçonné de vol ou de harcèlement sexuel jusqu’à preuve du contraire ". C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux ont reçu leur part de coups, parce qu’ils ont refusé de se soumettre. Toni, habitant de Hrajel, affirme qu’" il n’y a rien de mal à contrer tout acte douteux par l’administration de coups, dans le but de prévenir une rébellion dont nous nous passons ".

 

 

Fardeau économique et social

Des villes côtières du Kesrouan jusqu’aux sommets du mont Sannine, de Nahr Ibrahim au nord à Nahr el-Kalb au sud, il semble que pas un seul Libanais ayant fait appel aux services d’un ouvrier ou d’une ouvrière de Syrie ne soit disposé à se passer d’eux. Dans le bâtiment, dans l’agriculture, comme dans le commerce, les boulangeries et la couture, les Syriens restent la main d’œuvre la moins chère en raison de leur disponibilité et de l’absence de toute prestation sociale ou médicale. C’est ainsi que le Libanais tire un avantage purement personnel de la situation du déplacé syrien.

Cela constitue évidemment une lourde charge qui pèse sur les villes et les villages dont tout le monde est conscient et que les programmes et aides des pays et des organisations internationales n’englobent pas. La situation dans le caza du Kesrouan est ainsi différente de celle observée à Baalbeck, au Hermel, dans le Akkar et d’autres cazas où se trouvent les camps et les rassemblements de réfugiés. C’est la raison pour laquelle certains présidents de conseils municipaux du Kesrouan font état de lourds fardeaux économiques, ainsi que de changements sociaux qui ont altéré l’image des quartiers et des rues. " Depuis quand rencontrons-nous des femmes voilées à Jounieh ou des maisons et des immeubles qui regorgent de familles qui se partagent un même logement ? ", se demande Lynne avec indignation. De telles plaintes parviennent souvent au conseil municipal de Zouk Mikael. À cela s’ajoutent de nombreuses plaintes concernant " le saccage de sanctuaires, le déplacement de certains réfugiés munis de poignards, ainsi que leur rassemblement dans les rues des quartiers et sur les places parmi les groupes fumant le narguilé… ", comme le souligne le vice-président du conseil municipal Pierre Achkar.

Tout comme ses homologues de Jounieh, Juan Hobeiche, et de Faraya, Michel Salamé, Pierre Achkar affirme que les municipalités sont incapables de recenser le nombre de Syriens dans leurs secteurs. Il souligne que Zouk Mikael compte près de 4 500 syriens inscrits, soit une augmentation de 500 Syriens depuis l’été dernier. Il n’a aucune explication sur les raisons ayant conduit à cette augmentation au cours de cette période. Vient s’ajouter un nombre inconnu de Syriens non-inscrits auprès de la municipalité et d’autres qui sont inscrits uniquement auprès du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. À Jounieh également, il n’existe pas de chiffres exacts sur le nombre des ressortissants syriens, " d’autant qu’ils sont en perpétuel déplacement ", comme l’indique Juan Hobeiche.

Alors que ce dernier et Pierre Achkar assurent qu’il n’ont pas imposé de couvre-feu dans leurs régions, Michel Salamé affirme qu’il a interdit aux " jeunes " déplacés de circuler après 19h, mis à part ceux qui sont munis d’une carte de travail nocturne signée par le conseil municipal.

Sur le terrain, la question du déplacement nocturne semble être un simple détail pour les municipalités, comparé au lancement d’entreprises concurrentielles dirigées par des Syriens et le branchement illicite sur le réseau électrique, comme le confient les présidents des conseils municipaux. Juan Hobeiche affirme à cet égard qu’il va fermer soixante-douze entreprises dirigées par des Syriens à Jounieh, " parce qu’ils ne paient pas leurs dus à la municipalité ". De son côté, Michel Salamé veille à empêcher tout Syrien d’ouvrir un commerce à Faraya ou encore à s’acheter une voiture de taxi-service.

Le président du conseil municipal de Faraya souligne que certaines municipalités perçoivent une somme fixe pour chaque chambre ou appartement occupés par des Syriens, et ce pour récupérer " ne serait-ce qu’une somme modique " des importants montants déboursés par elles pour l’électricité, les égouts, etc. Bien qu’il assure ne pas recourir lui-même à ces procédés, il appelle le gouvernement à les légaliser parce que les charges augmentent pour les villages et municipalités.

Les responsables des trois municipalités sont unanimes lorsqu’il s’agit du nombre de plaintes qu’ils reçoivent en signe de protestation contre la présence des déplacés. Toutefois, la majorité des Libanais sont en première ligne pour défendre un Syrien ou une Syrienne travaillant chez eux lorsqu’ils sont visés par un plainte.

Mis à part les intérêts personnels qui lient un déplacé syrien à un citoyen libanais, la vision qu’on se fait de l’exode syrien est sombre et met l’accent sur sa participation directe à l’effondrement de l’économie.

Dans ce cadre, une responsable dans un dispensaire du Kesrouan indique sous couvert de l’anonymat que " les associations et les institutions médicales caritatives du caza ne reçoivent pas d’aide des organisations internationales pour assister les déplacés, ou du moins ne reçoivent pas une aide suffisante ". " De même, le Kesrouan est négligé lorsqu’il s’agit de projets de développement, à l’instar de ceux menés dans d’autres régions qui accueillent des déplacés ", ajoute-t-elle.

Face à cette " pénurie " de dons, la responsable note que " d’aucuns refusent d’aider les déplacés sur le plan médical, parce que ce que nous recevons suffit à peine à venir en aide aux personnes démunies de la région ". Et de se reprendre en précisant que les enfants des déplacés sont par contre pris en charge.

 
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