L’image ambivalente du Mont-Liban dans les arts locaux

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Posté sur mars 24 2021 8 minutes de lecture
L’image ambivalente du Mont-Liban  dans les arts locaux
©Adra Kandil
La représentation du Mont Liban dans sa géographie, son paysage social, ses mœurs, ses caractéristiques culturelles, dans la production artistique libanaise, du moins au cinéma et à la télévision, n'est pas facile à saisir. Définir le concept « Mont-Liban » est à cet égard difficile. Par contre, le percevoir comme milieu rural, avec ses coutumes, ses idées, ses chemins et ses relations humaines, le présenter comme « localité rurale » dont des œuvres raconteraient les histoires, rendraient compte des conditions et montreraient les caractéristiques, rend la recherche plus aisée.

La représentation du Mont Liban dans sa géographie, son paysage social, ses mœurs, ses caractéristiques culturelles, dans la production artistique libanaise, du moins au cinéma et à la télévision, n'est pas facile à saisir. Définir le concept « Mont-Liban » est à cet égard difficile. Par contre, le percevoir comme milieu rural, avec ses coutumes, ses idées, ses chemins et ses relations humaines, le présenter comme « localité rurale » dont des œuvres raconteraient les histoires, rendraient compte des conditions et montreraient les caractéristiques, rend la recherche plus aisée.

Les frères Rahbani, Assi et Mansour, ont joué un rôle-clé dans la promotion théâtrale et lyrique de l’image idéalisée d'un milieu et d’une vie de village. Plusieurs de leurs pièces visent à établir une réalité qu'elles contribuent à incarner et qu’elles s'efforcent d’affermir d’une œuvre à l’autre, aussi bien par le théâtre que par les chansons et les jeux d’acteurs. Une certaine base historique s’y retrouve, mais l'environnement rural (une image irréelle d'un pays, d'un peuple, d’occupations quotidiennes et d’une collectivité) sont là d'une manière ou d'une autre, comme un modèle du triomphe de certaines valeurs sur d'autres : par exemple, la toute puissante Rome s'effondre avant l'attachement de Petra au droit à l’existence et à la vie ("Petra", 1977). C'est une sorte de confirmation subsidiaire de la victoire du bien sur toute injustice et tout mal, malgré la terrible tyrannie de l'injustice et du mal ; où le Bien domine et se situe bien au-dessus de tout le reste, et ne tombera pas, aussi brutal que soit la tyrannie exercée.

La représentation du monde rural par les Frères Rahbani dérive d’un idéalisme qui embellit le village, souligne la modestie de ses habitants, le présente comme un milieu où tout le monde aime et respecte tout le monde, et où ceux qui s’écartent de cette réalité – quoique pour peu de temps – sont combattus et vaincus, confrontés qu’ils sont à la gentillesse, la candeur, la tolérance et les tableaux de la vie quotidienne d'un peuple paisible et calme, dans un environnement naturel qui, la plupart du temps, ressemble géographiquement, culturellement et sur le plan des mœurs à un milieu rural. Parfois, le décor se fait citadin, mais l'environnement humain reste rural, spontané et innocent, et récolte toutes les victoires.

Dans les trois films des années 1960, « Bayya3 el-Khawatem » (Le vendeur de bagues, 1965) de Youssef Chahine, « Safarbarlik » (La conscription dans l’Empire ottoman, 1967) et « Bint al-Haress » (La fille du gardien, 1968) d’Henri Barakat, la profonde aspiration à une beauté introuvable et inaccessible dans la vie quotidienne se laisse deviner. Se manifeste un imaginaire plus puissant que les faits, qui tend même à vouloir l’effacer. La présence du mal dans un environnement pacifique est dans la nature des choses, mais la solidarité des gens de bien en triomphe, ainsi que les valeurs qu'ils ont choisies pour régler leur vie et leurs relations. C’est là une référence à un environnement rural, peut-être typique du Mont Liban, pilier le plus important de l'État du Grand Liban (1920).

Alors que « Bayya3 el-Khawatem » et « Bint al-Haress » sont dramatiquement ancrés dans un environnement purement rural (ou du moins le suggèrent), la montagne dans « Safarbarlik » fait face à une qui est symbole de salut ou de répit des contraintes de l'occupation. La campagne est présente dans la trame du scénario, le comportement des personnages et les coutumes, bien que cela reste difficile à déterminer, tout comme c'est le cas dans « Ila Ayn » (Vers l'inconnu, 1957), le premier long-métrage de George Nasser, basé sur une constante familière aux villes et villages libanais : l’émigration à la recherche de meilleures conditions de vie. Néanmoins, le film – présenté en compétition officielle à la dixième édition du Festival de Cannes (2-17 mai 1957) – en appelle à un attachement humain, moral et de toute une vie à la campagne / mère-patrie, et à ne pas céder à des rêves qui se transforment en cauchemars une fois dans le pays d’émigration.

La réponse la plus critique aux Frères Rahbani et aux mythes qui peuplent leurs pièces et films sur un pays : une campagne, un patrimoine et une beauté qui n'existent pas en réalité, est donnée par Ziad Rahbani, le fils de Assi et Feyrouz, dans sa cinquième pièce, « Chi Fachel » (Quel échec !, 1983), une pièce qui use de sarcasme, démantèle le monde idéal des deux frères, et repose les questions d'identité, d'héritage et d'appartenance, la signification du pays et les relations de son peuple à son histoire et à la leur. Un sarcasme qui culmine dans la confrontation culturelle entre le fils, son père et son oncle, et réaffirme le « réalisme » de Ziad face à « l'idéalisme » de la première génération des Rahbani.

Et si George Nasser choisit le thème de la migration et de la relation avec la campagne libanaise (un village du Mont-Liban) dans ses premiers films, la scène cinématographique libanaise de l'époque (entre la fin des années 20 et le début des années 60, notamment), bien qu’abondante, reste insuffisante en termes de productions dont l'existence permettrait d'une manière ou d'une autre de lire la production locale dans son rapport à la géographie locale. La plupart de ces films n'identifient pas un lieu clair, que ce soit géographiquement ou à travers des personnages, et les noms propres utilisés ne permettent pas de faire référence à un environnement, une religion, une confession ou une classe sociale. En ce sens, le cinéma libanais sortira rarement des lieux communs, avant les bouleversements culturels, artistiques, esthétiques, dramatiques et moraux des cinéastes libanais dans les années précédant immédiatement le déclenchement de la guerre civile (1975-1990), et leurs engagements à ce niveau, de Beyrouth au Sud, des développements proprement libanais aux conditions de vie des Palestiniens.

Plus tard, des films – des documentaires en grande majorité – seront réalisés dans le cadre d'une recherche cinématographique centrée sur les conditions environnementales assignables à la géographie du Mont-Liban. Quelques films s’en détachent qui dénotent un relatif professionnalisme et qui plongent dans les horreurs d'une époque, les conditions de vie et les préoccupations sociales d’une guerre civile, qui s'est soudainement arrêtée (militairement) sans pour autant s’achever. Simon AlHabrein « The One Man Village » (2008) et Reine Mitri dans « In this Land Lay Graves of Mine » (2014) en sont des exemples : le premier évoque le parcours d’un homme qui se rend dans son village du Haut Metn (Mont-Liban) pour rencontrer son oncle, le seul homme rapatrié après le déplacement de ses habitants au milieu des années 80 (guerre de la montagne entre les druzes et les chrétiens de la région) ; le second raconte des épisodes (inspirés de documents et de témoignages d’époque) du changement démographique qui se produisit au cours de la même guerre, en de nombreux endroits, notamment aussi au Mont-Liban.

Mis en rapport avec l'environnement rural libanais des Frères Rahbani, Adib Haddad confirme – dans une œuvre télévisée qui commence à être diffusée à la fin des années 1960 intitulée « Abou Melhem », avant qu'elle ne devienne « Yes3ed Masakom » (Bonsoir) – l'authenticité de la campagne et son importance humaine, ainsi que le grand pouvoir de la tolérance, du pardon, de la gentillesse et de l'ingéniosité innocente face au mal, le mal étant en l’occurrence non cruel, non violent et peu nuisible. La réponse indirecte à cette scénographie est donnée par une œuvre de Mohammed Chamel intitulée « el-Denya Heik » (Tel est le monde), qui a pour décor un quartier de Beyrouth et où l’accent dialectal prédominant (en particulier celui du moukhtar, dont le rôle est joué par Chamel lui-même) est clairement beyrouthin, sachant que le dialecte d'Abou Melhem (qui prononce le « Qaf » comme les druzes du Mont-Liban) reflète plus typiquement celui des régions rurales libanaises plutôt que celui d’une communauté ou confession spécifique. Venu à Beyrouth depuis Tripoli, la capitale du Liban-Nord, Salah Tizani (Abou Salim) aura le mérite de confirmer à la télévision libanaise les caractéristiques d' « Abou Melhem » et de « Yes3ed Masakom », telles que Mohammed Chamel les insère dans l'environnement citadin.

Un article aussi court n’a d’autre objectif que de noter quelques observations qui méritent d’être examinées de plus près, en particulier en ce qui concerne le Mont-Liban. Ces observations ne visent qu’à présenter une ébauche d'un panorama artistique et littéraire libanais plus large et plus complet lié de diverses manières à des milieux spécifiques qui façonnent la fragile entité libanaise.

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