« C’est la première fois que je ressens une légère présence de l’Etat. La première fois où je ne me sens pas complètement livrée à mon sort ». C’est par ces propos que Rita, une femme célibataire de Dbayé atteinte il y a quelques mois du Covid19, exprime sa gratitude à l’égard de la municipalité qui l’a accompagnée durant les deux semaines de son alitement. Au quotidien, un conseiller médical l’a contactait pour s’ enquérir de sa santé et de l’évolution des symptômes tout en veillant à ce qu’elle ne manque de rien et qu’elle puisse passer le cap de cette épreuve pénible.
Un geste de compassion et une écoute bienveillante suffisants pour lui démontrer qu’elle n’était pas seule dans sa guerre contre ce virus pernicieux qui attaquait le moral autant que les organes.
Pourtant, témoigne cette jeune dame de 40 ans ?, je ne vote pas dans cette localité où je suis une simple résidente. Par cette constatation, Rita venait de résumer en quelques mots le phénomène du clientélisme viscéral qui marque depuis des années, l’inconscient des Libanais. Ces derniers ont fini par intégrer le principe selon lequel ils ne peuvent bénéficier d’un service public qui pourtant est leur droit naturel, s’il n’en paye en contrepartie le prix, lors des élections ou par une allégeance quelconque aux Zaïms du coin.
Une déviation que certaines municipalités ont toutefois décidé d’inverser notamment depuis l’avènement d’une pandémie qui n’épargne plus personne et qui a fini par aiguiser chez certains le sentiment de responsabilité collective et citoyenne.
A Dbayé, comme dans d’autres localités du Metn, c’est l’humain face à cette tragédie, qui a repris le dessus. Le temps n’est pas aux marchandages politiques mais au secours des plus vulnérables que l’Etat a depuis longtemps, laissés pour compte et royalement ignoré.
Dans cette localité, toute comme à Roumié et à Kornet Chehwane d’ailleurs, la situation sanitaire mais aussi les cas sociaux ont été très tôt pris en charge. Ici et là ont émergé des cellules de crise pour aider, soutenir et soulager. Et surtout pour s’assurer que la pandémie soit jugulée et ne fasse plus de ravages.
A la municipalité de Kornet Chehwan qui regroupe également les localités de Ain Aar, Beit el-Kiko et Hbous, tous les moyens ont été mis en œuvre : distribution de gel, de gants et de désinfectants à l’ ensemble des habitants. On a même fourni aux malades un kit médical avec toute la gamme de vitamines nécessaires et les médicaments formellement prescrits par le médecin traitant.
« Il fallait éviter à tout prix l’automédication et soustraire les autorités locales à toute responsabilité », confie le président de la municipalité, Jean- Pierre Gebara, un homme très actif et socialement engagé depuis des années. Réélu en 2016 à 90 pour cent des voix – un score exceptionnel – Jean-Pierre Gebara jouit depuis d’une confiance absolue dans son fief, notamment auprès des personnes nanties de la localité qui n’ont jamais lésiné à le soutenir dans sa mission.
A Roumié, la municipalité a même été jusqu’à payer les consultations des médecins dépêchés au chevet des malades. Récemment elle s’est dotée de ces précieuses bouteilles d’oxygène pour les faire circuler chez les personnes atteintes. Depuis que les mesures de confinement ont été décrétées, la police municipale de Roumié a fait preuve de fermeté à l’égard des insouciants et adopté dès le début, une politique de communication dissuasive.
« Tous les soirs et au plus fort de la pandémie on faisait circuler un véhicule armé d’un haut-parleur pour rappeler aux gens les consignes du confinement et les dangers de la propagation du virus », confie le président de la municipalité Adel Bou Habib. Le respect de l’ordre public était tout aussi important que le soutien social à apporter aux plus démunis. A plusieurs reprises, les autorités locales ont fait passer les tests PCR gratuitement à ceux qui le souhaitaient. Le dernier round a été effectué par deux membres de la municipalité que le président du conseil avait envoyé en formation, pour assurer une autonomie locale en matière de tests.
A Dbayé la municipalité s’est chargée d’assurer à domicile les médicaments pour les malades. Ceux qui en avaient les moyens, rembourser la somme due des semaines plus tard. Les plus nécessiteux ont bénéficié à deux reprises de bons d’achats de 100.000 LL pour les provisions et de 300.000 LL pour les médicaments, une mesure destinée à soulager provisoirement les habitants les moins aisés. « Au début on allait même dans les maisons des malades pour récupérer leur poubelle. Mais lorsque nous avions atteint cent trente contaminations, nous n’avions plus le temps à consacrer à cette tâche », raconte Rachid Bou Nader, conseiller municipal affecté à la santé.
Fait notoire, dans les trois municipalités, le politique s’est discrètement effacée pour laisser la place au social et à l’entraide. Aussi bien à Dbayé, qu’à Kornet Chehwane et Roumié, le conseil municipal regroupe une palette de formations politiques. Aucune d’entre n’a jamais pris le dessus même si parfois le président avait une sympathie marquée pour un courant politique précis. « Le crédit revient au chef d’orchestre et à la culture qu’il insuffle au sein de son équipe », commente un analyste politique.
Pour Ziad Sayegh, expert en politiques publiques, ces initiatives personnelles et le succès qu’elle ont réalisé inaugure, quoique timidement, le début d’une décentralisation dans les domaines médical et social, Une percée notoire qui, espère l’analyste, pourra se généraliser à tous les domaines et se répandre aux quatre coins du pays.