La guerre a pris fin au Liban et le chemin de la paix a commencé, mais le sanglant et douloureux passé continue à s’infiltrer dans le présent et à l’influencer directement à travers l’économie, la sécurité, la politique et même la culture.
De nombreuses associations ont cherché à promouvoir la culture de la paix dans le but de lutter contre le lourd héritage de la guerre. Parmi elles, il y a notamment l’association « Combattants pour la paix ».
Cette association a été fondée en 2014 et a travaillé en coopération avec le PNUD pour chercher à neutraliser les effets de la guerre civile sur les nouvelles générations et les empêcher de rééditer cette expérience.
Avec sa diversité populaire et politique et avec les sanglants conflits dont il a été le théâtre, le Mont-Liban a été l’un des lieux privilégiés de l’action de cette association sur le plan de la construction de la paix chez les jeunes générations. En 2020, elle a ainsi lancé une série d’ateliers de discussion ciblant les jeunes du Mont-Liban. Vingt jeunes de Aley et du Chahar el-Gharbi ont été ainsi sélectionnés et formés à la médiation interne, à la construction de la paix et aux techniques de résolution des conflits, dans le but de renforcer leurs aptitudes à communiquer positivement entre eux et avec les autres jeunes pour éviter l’extrémisme et la violence.
L’importance de l’action de l’association « Combattants pour la paix » repose sur le fait de transposer l’action pour la paix du domaine émotionnel vers le rationnel et l’institutionnalisation. Il s’agit donc de mettre à profit les expériences de ceux qui ont vécu et participé à la guerre et aux violences dans leur recherche difficile et pénible du chemin de la paix.
Assaad Chaftari : Combattre pour… un moment d’hésitation
L’importance de travailler avec les jeunes du Mont-Liban, estime Assaad Chaftari (un membre de l’association) repose sur le fait de leur permettre de poser des questions dangereuses sur des sujets épineux. Si ces questions sont posées, cela pourrait mener vers un futur plus sûr et stable, dit-il.
Chaftari résume son expérience du travail avec les jeunes en trois grandes lignes :
1- La prise de conscience et la reconnaissance générales de l’autre ;
2- La réhabilitation pour permettre aux jeunes d’être interactifs au sein de leur communauté ;
3- Transformer les jeunes en messagers de la culture de la paix.
Assaad Chaftari est conscient du fait que l’atmosphère générale du pays va à l’encontre des efforts pour une culture de la paix, car elle renforce le discours de la violence. Mais il est convaincu que si les jeunes ont un moment d’hésitation en écoutant un leader tenir un discours violent, le combat qu’il mène en vaudra la peine.
Badri Abou Diab : Les réconciliations sont importantes mais restent insuffisantes
Badri Abou Diab est un ancien combattant qui a participé à l’organisation des ateliers de discussion avec les jeunes. Il explique que le mécanisme de son action est basé sur le fait de mettre en avant des slogans qui montrent que la violence n’est pas la solution, qu’il n’est pas utile de revivre les mêmes souffrances que celles de la guerre et que le chemin de la solution passe par le dialogue.
Selon lui, le cadre principal de ces ateliers de discussion vise à mettre les jeunes du Mont-Liban ensemble, c’est-à-dire en contact direct entre eux. D’ailleurs, le choix de Aley, du Chahar et de Brih comme terrain de l’action est voulu parce que ces localités ont été le théâtre de violence et représentent les différences religieuses et politiques dans la région.
Badri Abou Diab insiste sur le fait que certains participants ont estimé que « la réconciliation de la Montagne » réalisée en 2000 sous les auspices du patriarche maronite de l’époque, Nasrallah Boutros Sfeir, et du leader druze Walid Joumblatt a créé un climat positif dans la région, qui a permis aux familles chrétiennes de retourner dans leurs villages, dans le cadre d’un projet qui visait à tourner la page du passé et à consolider la coexistence dans la Montagne.
Il estime que cette réconciliation et toutes les autres qui l’ont suivie sont positives. Mais lorsqu’elles sont réalisées sous un parrainage politique et religieux, elles restent insuffisantes tant qu’elles ne s’accompagnent pas d’une volonté de répandre la culture de la réconciliation et de l’entente au sein de la société. Celle-ci reste primordiale pour assurer une stabilité permanente dans les cœurs et les esprits. Or, cela ne s’est pas encore réalisé jusqu’à aujourd’hui et c’est pourquoi de nombreux problèmes et dissensions continuent à émerger régulièrement.
Abdallah Malaeb : Lorsque les jeunes lisent l’histoire des conflits…
Abdallah Malaeb a participé aux ateliers de discussion dans la région du Chahar. Il raconte son expérience. Selon lui, elle a été l’occasion d’une confrontation acérée entre la vision des jeunes et l’histoire, ceux-ci rejetant les idées basées sur les conflits et les affrontements. En même temps, les jeunes n’acceptaient pas les faits historiques. La fracture s’est notamment accentuée lorsqu’il a été demandé aux parties de reconnaître leurs erreurs en guise de prélude à une construction profonde, solide et claire des réconciliations.
Toujours selon Malaeb, la région du Chahar est symbolique de ce qui s’est passé dans tout le Liban, lorsque les conflits sectaires, confessionnels et religieux ont ravagé la diversité. Mais d’un autre côté, il reconnaît la difficulté de composer avec ces faits, d’autant qu’ils n’appartiennent pas à un passé lointain. Au contraire, ils sont relativement récents.
Il explique aujourd’hui qu’il faut donc insister sur la nouvelle expérience des jeunes, de façon rationnelle, en mettant l’accent sur un discours nouveau qui favorise la réconciliation, la coexistence, le rejet de la violence et l’appartenance unifiée. Il faudrait aussi insister sur les techniques de résolution des conflits de façon pacifique et par le biais du dialogue. Abdallah Malaeb précise enfin que cette expérience est un premier pas qui doit être suivi de nombreux autres pour assurer son succès, surtout face à des autorités qui tirent leur légitimité du passé.
Dans sa quête de l’interprétation de l’histoire de la guerre et des conflits, « Combattants pour la Paix » ne veut pas renier les faits ni occulter le passé. Au contraire, cette association cherche à unifier les approches pour éviter les fragmentations et empêcher qu’elles s’arrêtent à des effets de sémantique superficiels, selon le bon vouloir de ceux qui détiennent le pouvoir.
Les anciens combattants ont consolidé leurs histoires personnelles et unifié leurs attitudes par rapport au passé. Transmettre cette expérience aux jeunes peut permettre une approche pacifiée de l’un des problèmes les plus complexes qui entravent la construction de la paix au Liban en général et au Mont-Liban en particulier. En même temps, cela peut permettre de mieux connaître l’histoire qui se perd actuellement dans les méandres des interprétations sectaires et orientées par les autorités en place.