L’histoire orale, une contribution inestimable à la paix civile et au dialogue

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Posté sur avr. 01 2018 5 minutes de lecture
L’histoire orale, une contribution  inestimable à la paix civile et au dialogue
©Une photo de Ramzi Haïdar: dans un chateau à Aley pendant la guerre de la montagne en 1984.
L'histoire orale est une pratique et une théorie. En pratique, l'histoire orale est un enregistrement audio ou vidéo d'informations historiques obtenues à travers une interview qui contribue à la compréhension du passé. Souvent décrite comme la méthode de recherche historique la plus ancienne, l'histoire orale a été utilisée, par exemple, par le « père de l'histoire » dans la Grèce antique, Hérodote, et son étudiant Thucydide, qui ont recueilli des témoignages oraux pour écrire leurs textes.

Mais l'histoire orale ne se résume pas à interroger, « c'est un domaine d'étude et une méthode pour rassembler, préserver et interpréter les voix et les souvenirs des personnes, des collectivités et des acteurs d’événements passés »(1).

 

L'histoire orale telle que nous la connaissons aujourd'hui a émergé dans les années 1960 avec l'invention du magnétophone portable et a été galvanisée par les mouvements de militants féministes, anti-guerre et des droits civiques. En effet, des chercheurs de plusieurs disciplines (historiens, anthropologues, sociologues, folkloristes, etc.) étaient descendus dans la rue pour recueillir les expériences quotidiennes des gens ordinaires, afin d’enregistrer l'histoire du début à la fin, en bravant les récits historiques traditionnels dominés par les « grands hommes » et les « grands événements » du passé. Avec son attrait populaire et son approche pratique, l'histoire orale a fait descendre l'histoire de sa tour d'ivoire, pour en faire un autre type de récit basé sur le dialogue et l'échange.

Ce qui rend l'histoire orale différente

Ce qui rend l'histoire orale différente, c'est son oralité même, sa subjectivité, sa dépendance à la mémoire et les relations qu'elle entretient entre mémoire et histoire, entre passé et présent, entre interviewer et narrateur. Cependant, cette dépendance à la mémoire en tant que sujet et source, contribue aussi à la perception de son manque de fiabilité en tant que source historique. À mesure que l'histoire s'est établie comme une discipline académique formelle à la fin du XIXe siècle, l'objectivité scientifique a été déterminée par des études historiques fondées sur des sources issues d'archives écrites. Mais même dans les archives, les documents sont sélectionnés par les archivistes, traduits à partir des dossiers judiciaires (oraux), et la possibilité d'objectivité ou de pure vérité historique est elle-même inaccessible. En effet, l'historien oral Alessandro Portelli affirme que « ce qui rend l'histoire orale différente, c'est qu'elle nous en dit moins sur les événements que sur leur signification ». L'histoire orale place la question de la subjectivité au centre de l'interview. « Que s'est-il passé ? », mais aussi « comment vous sentez-vous par rapport à ce qui s'est passé ? »(2). La collecte d'entrevues, sujette à analyse et enquête critique, permet de mieux comprendre ce que le passé signifie pour ceux qui l'ont vécu, le rendant ainsi accessible, tangible et pertinent pour la vie des gens.

L’histoire orale au Liban

Alors que plusieurs initiatives importantes ont été mises en place avec des institutions académiques telles que l'Université américaine de Beyrouth, l'Université de Balamand et l'Université Saint-Esprit de Kaslik, l'histoire orale reste une ressource inexploitée au Liban. En effet, ce sont surtout des acteurs de la société civile et des ONG comme ForumZFD, UMAM Documentation and Research et Fighters for Peace qui ont expérimenté les méthodes d'histoire orale pour relever le défi du passé récent du Liban, à savoir la guerre civile. En l'absence d'un programme d'histoire nationale unifié, ces organisations ont joué un rôle vital en s'associant à l'Association libanaise pour l'histoire pour tenter de faire connaître l'enseignement de la guerre dans les écoles publiques et privées. Bien que n'étant pas le seul pays post-conflit sans curriculum d'histoire nationale mis à jour, le Liban ne peut progresser en tant que société si son histoire officielle reste figée en 1943. Comme on le sait, l'éducation historique est essentielle à la construction de l'identité nationale et à la paix civile. Lorsque l'on aborde des histoires contestées, l'intégration d'une approche orale dans un programme d'histoire est une façon d'aborder les questions sensibles.

Comment l'histoire orale peut contribuer à la paix civile au Liban

L'histoire orale consiste avant tout à écouter et à écouter une diversité de voix. S'il y a une caractéristique dont le Liban est fier, en termes régionaux et mondiaux, c'est sa diversité. Dans ce contexte, l'étape logique consiste à s'éloigner des tentatives opposées de s'accorder sur une seule approche narrative du passé libanais et à se concentrer plutôt sur la construction d'une approche narrative multiple qui célèbre la diversité et favorise la compréhension des multiples perspectives du passé. L'histoire orale donne aux étudiants l'accès à des expériences historiques individuelles, et dans le cas de la guerre, met en évidence la futilité de la violence comme moyen de résolution des conflits. En ce sens, l'histoire orale fonctionne non seulement pour empêcher que « l'histoire se répète », mais aussi pour contester la maxime réductrice que « l'histoire est racontée par le vainqueur ». De plus, l'histoire orale permet aux enseignants et aux élèves de travailler ensemble en partenaires et participants à la fabrication de l'histoire. Fondée sur la compréhension et le respect mutuels, l'histoire orale peut apporter une contribution inestimable à la paix civile au Liban et servir de plateforme pour encourager le dialogue, l'acceptation et l'histoire de la diversité.


1. Oral History Association: www.oralhistory.org/about/do-oral-history/

2. Alessandro Portelli, The Death of Luigi Trastulli and Other Stories (CUNY, 1991), 2.

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