Le rôle de la loi électorale dans la consolidation de la concorde civile et l’édification de la paix

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Posté sur avr. 01 2018 8 minutes de lecture
Le rôle de la loi électorale dans la consolidation de la concorde civile et l’édification de la paix
© Aziz Taher
Il ne fait pas de doute que la périodicité des élections constitue l’un des principaux indicateurs de l’ouverture d’un système politique et de la démocratie d’un pays. Indépendamment des questions de manipulation et de fraude qui peuvent accompagner un scrutin, la périodicité des élections, organisées dans les délais fixés par la Constitution, montre que le pouvoir politique est le fruit d’une consultation du peuple sur ses options politiques et économiques à partir desquelles il le gouverne.

Les pays démocratiques sont fondés sur le principe de la primauté du droit et de l’arbitrage des institutions démocratiquement élues. En revanche, les États répressifs ou autoritaires ne tiennent pas compte de ce principe, sauf rarement, dans la mesure où ils ne reconnaissent pas le droit de la population à demander des comptes à ses gouvernants par le biais des urnes.

Ces pays se distinguent des démocraties par le fait que leur stabilité politique repose sur la répression ou l’élimination de l’opposition, sous prétexte que celle-ci menace tantôt la stabilité publique, tantôt la sécurité et la paix intérieures. Le résultat est que dans ces pays, la stabilité reste fragile et n’est maintenue que grâce à la capacité de l’autorité politique à réprimer les volontés sociétales d’un changement pacifique du système au pouvoir.

Non seulement la périodicité des élections illustre donc le degré d’ouverture démocratique d’un système politique, mais elle contribue également à renforcer la culture de la citoyenneté et de la bonne gouvernance puisque les forces sociétales ont la capacité, à travers les urnes, de demander des comptes aux gouvernants et de les changer, si jamais leurs vœux ne sont pas satisfaits. Cet instrument à travers lequel il est possible de réclamer des comptes aux gouvernants fait que ces derniers restent soumis à l’autorité civile des électeurs. Il s’agit dès lors d’un genre de contrôle permanent de la mise en place de politiques publiques appropriées.

L’influence d’un système électoral sur la stabilité politique

Il est mondialement connu, au niveau académique, que le système électoral a une incidence directe sur le système politique et le système de partis. Lorsque le législateur opte pour « la proportionnelle » comme mode de scrutin aux élections parlementaires, son objectif est principalement de faire en sorte que toutes les composantes de la société puissent être représentées au Parlement, en fonction chacune de son poids populaire.

Parallèlement, le recours au mode majoritaire dénote une volonté de faire accéder à la Chambre, la partie représentant la majorité populaire pour que celle-ci détienne le pouvoir législatif et forme, par voie de conséquence, un gouvernement majoritaire. Autrement dit, tout le contraire de la proportionnelle qui, de par sa nature, débouche souvent sur la formation de gouvernements de coalition, rassemblant un groupe déterminé de partis, issus parfois d’une entente entre partis de droite, de gauche et du centre.

Au niveau partisan, le système électoral contribue à la consolidation des chances d’élection d’un seul parti suivant le mode majoritaire, comme c’est le cas, à titre d’exemple, en Grande-Bretagne où le système bipartite prévaut, alors que la proportionnelle favorise l’émergence de plusieurs partis politiques, ainsi que certains leaderships régionaux ou locaux, comme c’est le cas en Italie.

La nature du nouveau système électoral libanais

Plus de 80 ans après l’application de systèmes électoraux fondés sur le mode majoritaire, permettant à un même parti de rafler tous les sièges dans les différentes circonscriptions électorales, le législateur libanais a approuvé une nouvelle loi électorale prévoyant la proportionnelle comme mode de scrutin. C’est sur base de la proportionnelle que les prochaines législatives auront lieu. L’expérience vécue par le Liban au cours des dix dernières années, montre à quel point le choix du mode électoral approprié est important, l’échéance électorale ayant été ajournée pour plus de cinq ans, en raison de l’absence de consensus sur un système électoral qui satisfait tout le monde.

Il est vrai que la proportionnelle dont les résultats vont être testés le printemps prochain assure « une justice au niveau de la représentation », meilleure que les formules électorales précédentes, mais ce niveau de justice reste en deçà des limites inférieures. Non pas à cause du volume ou du nombre des circonscriptions par rapport à la surface du Liban, mais parce que certaines de ces circonscriptions ont été divisées pour former plusieurs autres, plus petites qui correspondent aux cazas. En d’autres termes, il s’agit de l’application du vote préférentiel strictement au niveau du caza, (Saïda, Jezzine, Tyr, Zahrani, Bint Jbeil, Marjeyoun, Hasbaya, Nabatiyé, Chouf, Aley, Kesrouan, Jbeil, Batroun, Koura-Zghorta, Bécharré, Tripoli, Minié, Denniyé).

Plus encore, le seuil d’éligibilité sera élevé. Il variera entre 10 et 20 % du nombre de votants. Les forces qui ne parviendront donc pas à obtenir le coefficient électoral fixé par la loi, ne pourront pas faire leur entrée au Parlement, alors qu’à l’échelle internationale, le seuil d’éligibilité ne dépasse pas les 5 % pour que le plus grand nombre d’orientations politiques et sociales puissent être représentées à la Chambre.

Parallèlement, le moyen prévu par la loi pour le décompte des voix préférentielles est de nature à exacerber les susceptibilités confessionnelles d’une part et à donner aux leaderships locaux la latitude de faire pencher la balance en faveur de telle ou de telle autre liste. Pourtant, normalement, le vote préférentiel est appliqué dans le système de listes ouvertes afin de faciliter les alliances politiques, du moment que ce sont les électeurs qui déterminent le classement des candidats sur une liste, à travers leurs voix préférentielles, par opposition au système de listes fermées. Dans ce système, c’est le parti fort au sein d’une alliance qui décide comme on le sait, du classement des noms des candidats sur sa liste.

A tout cela, il faut ajouter le fait qu’en raison du maintien de la répartition communautaire au niveau des sièges parlementaires, le vote préférentiel va immanquablement transposer la concurrence électorale au sein d’une même liste, ce qui est de nature à compliquer la formation d’alliances électorales homogènes.

La loi électorale n’a pas prévu de surcroît les réformes à même de consolider la présence des femmes et des jeunes dans la vie politique. Ni le quota féminin a été adopté pour que les femmes soient représentées à la Chambre ni la majorité électorale a été ramenée à 18 ans, en vue d’une représentation des jeunes. Ces deux catégories de la population sont restées par voie de conséquence marginalisée au niveau du pouvoir de décision au sein de l’institution législative.

Comment la formule libanaise de la proportionnelle affectera-telle la stabilité politique et sociale ?

Pour toutes les raisons citées plus haut, il est possible de soutenir que le nouveau système électoral adopté a « défiguré » la proportionnelle et l’a rendue plus proche du mode majoritaire. Dans sa forme actuelle, la proportionnelle n’est pas non plus dans l’intérêt des forces politiques qui ne sont pas représentées actuellement au pouvoir et qui ne pourront rafler qu’un nombre très réduit de sièges parlementaires, qui se compterait sur les doigts d’une main. Le changement qui sera induit par la proportionnelle libanaise se limitera aux forces politiques actuellement au pouvoir, en ce sens que ce mode électoral renforcera la présence d’une partie politique au détriment d’une autre.

Si les législatives sont considérées comme une occasion donnée aux citoyens et aux forces de l’opposition pour demander des comptes aux responsables à travers les urnes, les mécanismes prévus par la nouvelle loi ne permettront pas à celles-ci de former une alliance nationale élargie lui permettant de rafler des sièges parlementaires et de constituer des blocs parlementaires capables de transposer les voix opposantes de la rue à l’Hémicycle. Les alliances scellées jusque-là ont, au contraire, montré que la proportionnelle a renforcé, grâce à sa formule déformée, les alliances « pragmatiques » fondées sur la volonté de gagner davantage de voix et non pas celles qui devraient regrouper des forces homogènes ayant des programmes politiques bien déterminés.

Les législatives libanaises renforceront-elles la paix civile ?

La proportionnelle aura pratiquement pour seul effet de consacrer des leaderships locaux à la place de ceux qui représentaient le nerf du pouvoir durant l’histoire moderne du Liban. Les rapports et l’équilibre entre les composantes de cette autorité ne reposaient pas sur le principe du partage du pouvoir entre les communautés. Et pour cause : celles-ci suivaient naturellement les leaderships locaux, bien installés sur l’ensemble du territoire libanais. Il est vrai que des partis « modernes » ont fait leur entrée au Liban avec le début d’édification de l’État, mais ils avaient toujours été tenus en marge de la composition du pouvoir et de la reconstitution des centres de force en son sein.

La loi électorale, que certains responsables avaient désignée comme étant hybride et qui avait été le fruit des négociations de dernière minute, est satisfaisante pour les grands blocs politiques d’une part et les leaderships locaux d’autre part. Les prochaines élections feront que le pouvoir politique restera composé des leaders traditionnels qui ont puisé leur puissance dans leur ancrage local d’abord et confessionnel ensuite. Les nouvelles forces sociales seront laissées en marge du pouvoir, comme dans le passé, laissant ainsi la voie libre aux forces traditionnelles qui n’ont pas été en mesure ou qui n’ont pas voulu propulser le pays vers la stabilité politique et sociale requise. Le conflit communautaire actuel persistera, voire s’accentuera du moment que la proportionnelle sous sa forme actuelle ne favorise pas des alliances politiques qui transcendent les communautés et les régions et qui reposent sur des programmes bien précis.

Et parce qu’une paix civile permanente est fondée sur le règlement des conflits à travers les institutions de l’État, notamment les deux autorités exécutive et législative, celle-ci restera tributaire des tiraillements politiques actuels.

 

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