L’extrémisme, les institutions religieuses et les sociétés civiles

salam wa kalam website logo
trending Tendance
Posté sur avr. 01 2018 8 minutes de lecture
L’extrémisme, les institutions  religieuses et les sociétés civiles
L’extrémisme religieux a bien entendu précédé le terrorisme. Son évolution est passée par trois étapes : la première consistait dans la peur de l’occidentalisation au sein de la société et de l’État ; la seconde a consisté dans la recherche de la légalité ; et la troisième est celle où la religion a été considérée comme la source de cette légalité.

Au cours de cette dernière étape, qui s’est déroulée dans les années 60 et 70 du siècle dernier, une division est apparue au sein des islamistes dans les modalités de l’obtention de cette légalité. Certains ont prôné la réalisation de l’État islamique légal progressivement, alors que d’autres ont favorisé l’usage de la violence pour aboutir à sa formation. La base de l’extrémisme est dans le fait de considérer l’islam comme une religion et un État pour dire ensuite qu’on ne peut imposer la religion qu’à travers le pouvoir de l’État, qui doit être dirigé par des islamistes. C’est pourquoi, on peut dire que les deux camps, ceux qui veulent une action progressive et ceux qui prêchent la violence, ont le même point de départ théorique.

 

Où étaient les institutions religieuses pendant cette évolution et où étaient les penseurs qui prétendaient à la modernité ou qui prêchaient en faveur des sociétés civiles ?

Les « modernistes » ont évoqué « l’héritage religieux » dont il faut se débarrasser pour entrer dans la modernité. C’est pourquoi, ils considéraient, avant l’apparition de la violence religieuse, que les institutions religieuses étaient soit lâches soit de connivence avec ceux qui refusaient la modernité. En tout état de cause, ces institutions avaient à leurs yeux échoués à gérer les questions religieuses et il fallait donc les moderniser radicalement ou ne plus miser sur elles.

Quant aux institutions religieuses, elles n’ont pas tranché la question, notamment au sujet de la question fondamentale de la séparation de l’État et de la religion. Elles ont ainsi favorisé l’émergence en parallèle d’ulémas non-traditionnels. C’est pourquoi elles ne se sont pas fermement opposées à la thèse défendue par les partisans de l’évolution progressive. Au contraire, elles l’ont même abordée avec une sorte de soulagement. Elles ont ainsi proposé de réduire la charia, avant de l’appliquer. Par contre, ces institutions ont paru très inquiètes « de la violence religieuse », qui a commencé à se répandre dans les années 70 du siècle dernier, à travers les questions sociales. Elles ont donc pris position en faveur des institutions étatiques nationales, qui ont fait face à cette violence, sans chercher à revenir à ses causes. La situation est restée ainsi jusqu’aux attaques d’el-Qaëda contre les États-Unis. A partir de là, le « terrorisme islamique » est devenu un problème international. Les extrémistes partisans de la violence ont été placés devant un choix, celui de la foi ou du blasphème. Depuis ce moment, et pour la première fois, affronter la violence faite au nom de l’islam est devenu une priorité pour les institutions, qui auparavant passaient leur temps à courtiser les laïcs.

Ensuite, la politisation effrénée de la religion s’est imposée, surtout après l’annonce par les extrémistes de Daech de la création du califat. C’est pourquoi, pour la première fois, les institutions religieuses ont estimé que la politisation est nuisible à la religion. Tout comme elles ont considéré que la dualité entre la religion et l’État ouvrait la voie aux conflits et à la division, au lieu d’être un facteur d’unité.

Selon les ulémas relevant des institutions religieuses, l’extrémisme aujourd’hui signifie considérer l’autre musulman et le non-musulman comme un mécréant. Il signifie aussi que l’État est un des piliers de l’islam et tire de lui sa légitimité. En raison de l’aspect idéologique qui prévaut dans l’islam, il peut donc pousser à l’usage de la violence pour affronter les États, les sociétés et le monde en général. C’est pourquoi, il faut le combattre sous tous ses aspects, qu’il soit violent ou isolationniste.

Lorsque nous parlons des institutions religieuses dans le monde arabe, nous entendons particulièrement al-Azhar en Égypte, l’institution religieuse en Arabie saoudite et celle du Maroc. L’institution religieuse de Jordanie a suivi la tendance. Au cours de la dernière décennie, ces institutions travaillent à l’intérieur et à l’extérieur et coopèrent entre elles. Elles organisent des congrès et des ateliers de réflexion, tout en cherchant à corriger les principes qui ont été déviés, comme la religion, la charia, le jihad, les relations entre la religion et l’État. Elles ouvrent des centres de formation d’imams et de formateurs et cherchent à modifier les programmes d’enseignement, tout en essayant de pousser les institutions religieuses à s’ouvrir sur le monde moderne. Elles ont trois objectifs principaux : combattre les signes d’extrémisme et de violence pour éviter que les nouvelles générations grandissent dans ce climat, retrouver l’apaisement et la continuité dans les sociétés, et changer l’image de l’islam répandue dans le monde, laquelle est à l’origine de l’acceptation du phénomène d’islamophobie.

Toutes ces activités exigent une réforme structurelle interne à ces institutions. Elles sont en effet désormais vieilles et dépassées, sur le plan du savoir et sur celui de l’organisation interne. Elles ont aussi subi des pressions de la part des autorités au cours des dernières décennies.

J’ai divisé les réformes nécessaires en deux concepts : se donner les capacités et procéder à une réhabilitation. Dans le premier concept, il s’agit de reconstruire le savoir et l’organisation. D’ailleurs, il faut préciser que sur le plan de la reconstruction du savoir, les ulémas des institutions ont été surpris par les signes d’extrémisme et de violence qu’ils n’escomptaient pas et ils n’avaient pas de réponse à ces phénomènes. C’est pourquoi, ils s’emploient actuellement à essayer de mieux connaître les sociétés, avec une approche rationnelle et scientifique. Ils cherchent ainsi à multiplier les délégations envoyées dans le monde pour se spécialiser dans les sciences sociales et dans la théologie, tout en cherchant à se familiariser avec les autres religions et avec leur expérience de la modernité, ainsi qu’avec la pratique du dialogue. Elles doivent aussi se familiariser avec les nouveaux moyens pédagogiques et de communication. Al-Azhar a même fondé un grand observatoire pour suivre le mouvement du monde, islamique en particulier. La réhabilitation, elle, se concentre sur les formations et les moyens d’entrer en contact avec le public, les étudiants et les jeunes. Il s’agit de créer des instituts spécialisés ou de recherche, dans les facultés de théologie traditionnelles et d’instaurer une coopération avec des instituts similaires dans le monde. Il faut préciser que les extrémistes et les terroristes n’ont pas été formés dans les facultés et les instituts religieux. La plupart d’entre eux sont issus d’écoles religieuses privées relevant de ces groupes quels que soient leurs noms. Malgré cela, la question importante demeure la suivante : quelle est la capacité d’influencer les jeunes ? Cette question exige de nouvelles connaissances et de nouvelles méthodes, ainsi que de nouvelles organisations.

Les institutions continuent à avoir des manques dans le renouvellement du discours, pour le rendre plus efficace. Elles ne coopèrent pas, sur ce plan, suffisamment avec les intellectuels et les journalistes. Ces deux catégories restent assez éloignées des institutions religieuses considérées comme conservatrices et figées. C’est là un indice négatif dont il faut se débarrasser ou qu’il faut éviter. Car les défis sont immenses et il y a un véritable besoin de coopération, de solidarité et d’échange des expériences pour faire face aux menaces qui pèsent sur la religion et sur l’État.

Au cours d’un congrès contre l’extrémisme organisé par al-Azhar et la Ligue du monde musulman, trois objectifs ont été énumérés avec la mention qu’il est nécessaire de travailler pour les réaliser : le retour à l’apaisement au sein de la religion, le retour et le sauvetage de l’État national et la correction des relations avec le monde.

Ce qui a été accompli au cours d’une décennie est important et riche. Mais les défis de la révolte religieuse qui menace les États et les sociétés demeurent. Le feu continue de couver sous la cendre. C’est pourquoi, il faut continuer à lutter contre l’extrémisme et le terrorisme. C’est ainsi que l’on redonnera aux gens confiance dans leur religion et en eux-mêmes dans les pays arabes, d’Occident et d’Orient. Le concept-clé dans ce domaine est l’apaisement et la sérénité. C’est la signification la plus claire lorsque nous parlons d’islam modéré. Pour atteindre cette sérénité chez les gens susceptibles face à cette question, et dans les sociétés locales, il faut adopter un discours nouveau qui porte sur de nombreux sujets (selon les annonces d’al-Azhar), comme la condamnation religieuse du takfir et de la violence, la dénonciation de la politisation de l’islam par tous les moyens, répandre l’esprit de fraternité parmi les gens et travailler avec eux pour mettre en place des régimes éclairés, qui cherchent le bien de l’individu.

A+
A-
share
Les plus vues ce mois-ci
décembre 10, 2024 par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 10, 2024
par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 07, 2024 par Naya Fajloun, Journaliste
décembre 07, 2024
par Naya Fajloun, Journaliste
Charger plus