Souad croyait avoir trouvé le salut dans son mariage, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Avec Sélim, elle n’avait pas tardé à souffrir le martyre. Il la battait, l’insultait et la violentait. Après quatre ans de vie commune, il l’a menacée de prendre une deuxième épouse « si elle ne lui donnait pas un garçon ».
Le mariage des mineures reste donc chose acceptable dans nos sociétés. Plus encore, il a lieu avec la bénédiction des parents, des religieux et de la société. Cette pratique est dotée au Liban d’une structure règlementaire constitutionnelle et juridique. L’article 9 de la Constitution stipule que « l’État respecte toutes les religions (…) et garantit aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». Du point de vue juridique, cela signifie que toutes les décisions de mariage et de divorce et ce qui en découle sont du ressort des hommes de religion. Ce sont ces derniers qui déterminent l’âge minimum pour le mariage. Ils comptent le plus souvent pour cela sur leur propre appréciation de la maturité de la jeune fille et de son aptitude à se marier.
Parmi les communautés chrétiennes et musulmanes, aucune n’a fixé à 18 ans l’âge du mariage, à l’exception des grecs-orthodoxes, dont les chefs religieux ont quand même la latitude, dans certains cas, de ramener à 17 ans l’âge minimum pour les adolescents et à 15 ans pour les adolescentes. La communauté chiite a fixé en théorie à 15 ans l’âge de mariage pour les garçons et à 9 ans pour les filles, sachant que la condition principale à une union matrimoniale reste pour les chiites la puberté de ces dernières, même si celle-ci intervient à l’âge de 8 ans !
Les Libanais se sont acclimatés depuis les années trente du siècle dernier à ce phénomène qui a commencé à être réglementé dans les années cinquante, à travers les lois régissant le statut personnel des différentes communautés.
Curieusement, le « mariage précoce » est subitement devenu « un problème » depuis quelque temps seulement. Un problème évidemment attribué « aux autres » parce qu’ils sont différents. Entendre les réfugiés syriens. Aux yeux de l’opinion publique, ce sont eux qui posent problème et ce sont eux qui marient leurs filles, très jeunes, pour les « protéger », ou pour alléger le poids du fardeau socio-économique qui pèse sur eux en raison d’une situation anormale, née de leur exode. Quoi qu’il en soit, le plus important est que ces mariages sont organisés sans tambour ni trompette.
Lorsque Souad a essayé de recourir au tribunal pour obtenir justice, elle s’est vite rendue compte que les choses ne se passaient pas comme elle le croyait. La décision de divorcer et son exécution dépendent strictement du mari. Elle n’a pas non plus pu compter sur le soutien de ses parents. « Pas de femmes divorcées chez nous ». Telle a été la réponse de son père lorsqu’elle lui a fait part de sa volonté de se séparer de Sélim.
Le mariage au Liban tombe sous le coup de plusieurs législations religieuses, puisque la majorité des unions sont scellées par le biais d’une autorité religieuse, à travers une quinzaine de tribunaux qui en régissent tous les droits correspondants : la succession, la garde des enfants, le divorce, la pension, la tutelle et autres. Mais parce que les autorités religieuses n’ont pas la même conception de la gestion de ces dossiers, les femmes, selon les communautés auxquelles elles appartiennent, se voient soumises à des jugements qui varient d’une communauté à l’autre, ce qui les expose à différentes formes de discrimination. Celle-ci se manifeste notamment lors des litiges relatifs à la garde des enfants, la violence conjugale, les mariages forcés ou précoces, entre autres.
Quand le problème de Souad et de Sélim a-t-il débuté ? Qu’est-ce qui a fait qu’ils se sont retrouvés chacun sur sa planète, avec ses propres attentes et ses propres espoirs, vis-à-vis de l’institution du mariage ? En cherchant bien les racines du problème, on se rend vite compte qu’elles remontent à l’enfance. Au Liban, comme dans plusieurs autres pays, les enfants grandissent dans un contexte d’idéologie sociale, mais aussi de genre, qui se manifeste à travers les jeux, la répartition des rôles et toutes formes d’identification, consciente ou inconsciente, à l’entourage dans les deux secteurs vitaux que sont la famille et la société. Cette identification s’articule principalement autour d’une thématique liée au rôle « plus noble » attendue des filles et des garçons, par la société, au sein de l’institution matrimoniale.
Et c’est ainsi que progressivement, les petites filles sont préparées de façon méthodique par l’industrie des jouets, du cinéma, ainsi que par leur milieu social, aux rôles d’épouse et de mère, par la moyen de poupées, de Barbies, et des ustensiles de cuisine.
Les jeux des garçons en revanche portent sur le défi, la force, la violence et la victoire, retrouvés dans l’espace public. Ils les préparent progressivement à devenir des pères et des époux.
Et c’est ainsi que filles et garçons grandissent avec des visions différentes du rôle social qu’ils sont appelés à jouer, comme s’ils venaient de deux mondes différents. Ce qui est sûr, c’est que l’image qu’ils se font du rôle qui les attend au sein de l’institution du mariage n’a rien à voir avec la réalité. Dans le cas des jeunes filles, cette vision est souvent rêveuse et en rupture avec la réalité. Elles attendent souvent le « sauveur » sur son cheval alors que les jeunes gens ont le sentiment que tout leur est dû et s’attendent à ce que leur conjointe gère le domicile conjugal et se limite à ce cadre précis.
Pour ce qui est du divorce et de l’éclatement des relations conjugales, les chiffres et les registres des tribunaux religieux et chériés, répercutés par le quotidien an-Nahar, révèlent qu’en 2014, les tribunaux chrétiens et musulmans ont enregistré 41 717 contrats de mariage contre 7 180 divorces, toutes communautés confondues, soit 17 % de divorces durant cette année[1].
En psychologie, on définit la dynamique de la relation conjugale par la formule suivante : un plus un font trois. En d’autres termes, cette dynamique est déterminée par les deux partenaires mais aussi par l’ensemble de positions, de concepts et d’attentes que chacun des deux introduit à leur relation, ce qui en fixe sensiblement le cours, la forme et le statut.
Une enquête au sujet des causes des divorces ou de la fin des contrats de mariage mène immanquablement à une multitude de points de vue savants formulés par des psychologues et des hommes de religion, au sujet « des obligations et des droits conjugaux » ou « des relations virtuelles », compte-tenu du développement technologique. Sauf que le divorce ne trouve pas son origine dans ces causes fallacieuses. La raison principale est que le mariage est édifié sur une relation dynamique inégale qui rend pratiquement impossible son maintien. S’il dure, c’est essentiellement pour des considérations en rapport avec les enfants. L’inégalité au niveau de cette relation dynamique est donc l’une des causes fondamentales du divorce, parce que les épouses ne sont pas perçues, (religieusement et culturellement) comme des citoyennes ayant des décisions et une volonté autonomes au sein de l’institution du mariage. Et c’est ainsi qu’avec la hausse de la proportion de séparation de couples, nous constatons que la capacitation économique des femmes, devenues plus conscientes d’elles-mêmes et de la diversité des choix devant elles, sont devenus deux éléments fondamentaux qui conduisent au choix qu’est la séparation.
Il serait intéressant de relever dans ce cadre que cette catégorie de relations n’entre pas forcément dans un cadre communautaire précis. Que le mariage soit civil ou pas, la séparation d’un couple n’est pas forcément classée comme un divorce, mais comme la fin d’un contrat nuptial, décision à laquelle les femmes ont apporté une contribution déterminante.
En faisant des recherches sur des statistiques et des chiffres relatifs au divorce au Liban, nous sommes tombés sur un rapport qui attribue une partie de la responsabilité de la hausse des divorces dans le pays aux réfugiées syriennes. Dans ce cas précis, c’est peut-être l’expression « c’est la faute aux Italiens » qui s’applique le plus… ou plutôt aux Syriens, dans le cas du Liban.
[1] Un article de Jean Sadaka, an-Nahar, 2015