Une lecture intersectionnelle du racisme : la politique de droite et ses répercussions sociales au Liban

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Posté sur août 01 2017 9 minutes de lecture
Le monde aujourd’hui paraît sombre. L’année qui s’est écoulée a connu des développements politiques inquiétants en Occident, marquant la montée de l’extrême-droite et menaçant d’effondrement les valeurs du système libéral qui était censé prêcher la liberté, la diversité, le multiculturalisme et l’inclusion. Le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni et l’augmentation des crimes de haine contre les migrants qui a suivi ; l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis malgré sa politique manifestement raciste, sexiste et misogyne ; et la montée des mouvements contre-révolutionnaires régressifs dans le monde arabe… autant d’indicateurs sur la période « noire » par laquelle nous passons.

Les réussites progressives des dernières révolutions et des mouvements des droits civils semblent être en danger avec cette vague déchaînée de haine, de racisme et de xénophobie.

 

Pourquoi cette récidive ? Serions-nous en train de témoigner des conditions similaires à celles observées en Europe au tournant du XXe siècle, qui ont mené à la montée du fascisme et du nazisme ? Comment expliquons-nous cette montée de l’extrême-droite et quelles sont ses répercussions sur les sociétés dans le monde ?

De nos jours, la mondialisation et les valeurs libérales sont en crise. L’idée selon laquelle le monde est un « petit village » où les principes de liberté, de diversité et d’inclusion doivent être respectés est en difficulté. La montée de l’extrême-droite et la propagation d’un discours raciste et xénophobe souligne la vulnérabilité du système libéral qui prêche « les libertés » sans pour autant accorder une attention aux inégalités structurelles. La fragilité de ce système, qui essaie d’aborder les problèmes sociaux par la politique de « la culture » et de « l’identité » loin des conditions économiques, est ressentie avec chaque effondrement économique qui déstabilise rapidement ces valeurs libérales de liberté, de multiculturalisme et d’inclusion, et qui permet la montée du conservatisme social et politique. En effet, depuis le crash financier de 1929 jusqu’à nos jours, chaque crise économique était accompagnée d’une montée de la politique populiste de droite et d’une vague de racisme et de xénophobie exacerbés. Cette observation historique pose d’importants défis aux idéologies poststructuralistes et libérales. Que signifient la liberté et la diversité dans un monde capitaliste où les inégalités sont frappantes, l’exploitation est flagrante et la migration est nécessaire, sinon problématique (notamment avec les histoires coloniales) ? Comment peut-on maintenir et respecter les libertés et la diversité dans une période de difficultés économiques, où la compétition devient encore plus féroce  sur les marchés du travail qui connaissent déjà une discrimination sexuelle et raciale ?

En ces temps de crises, « le politiquement correct » s’estompe et les vraies dynamiques du pouvoir et des hiérarchies sociales deviennent plus claires, prenant souvent la vilaine forme du racisme. Par conséquent, on ne peut pas comprendre le racisme et la xénophobie sans une vision large du contexte socio-économique et des conditions structurelles qui facilitent leur montée dans la société. En effet, les répercussions de la crise financière de 2008 continuent de se faire ressentir sur le plan social. Les taux croissants du chômage, l’insécurité économique, l’instabilité politique, les guerres qui se poursuivent, la crise des réfugiés qui a atteint l’Europe et le discours mondial sur la « guerre contre le terrorisme »… sont autant de facteurs qui ont créé un sol fertile au racisme, à la xénophobie et au populisme d’extrême-droite qui a prospéré et accédé au pouvoir dans certains pays occidentaux. Toutefois, le racisme n’est pas récent et sa montée récente en Occident indique son passage d’un état latent et contenu à un état véhément et généralisé à travers des campagnes politiques et une couverture médiatique. Plus encore, le racisme et les politiques populistes d’extrême-droite se sont manifestés dans différents endroits du monde avec des intensités variables en fonction de leur contexte local. En temps d’instabilité et de troubles, les slogans populistes en rapport avec la « sécurité », le leadership « fort », « la guerre contre le terrorisme », « le nationalisme » et le « contrôle des frontières » peut paraître attrayant partout dans le monde. Cela est évident dans le contexte libanais.

Aujourd’hui, le paysage politique libanais est dominé par la politique d’extrême-droite qui varie selon le spectre communautaire entre les libéraux et les conservateurs. Bien que les principaux partis politiques au Liban aient des positions différentes vis-à-vis des causes syrienne et palestinienne, il est clair que leurs politiques d’extrême-droite convergent lorsqu’il s’agit du traitement qu’ils réservent aux ouvriers réfugiés et migrants. Tous les principaux partis politiques au Liban sont complices dans leur façon soit de propager soit de permettre que la culture raciste à l’encontre des ouvriers migrants et des réfugiés se propage sans pour autant essayer vraiment de la contrer. Par conséquent, il est important d’insister sur le fait que ce racisme et cette xénophobie ne sont pas des caractéristiques innées de certaines sociétés ou une conséquence naturelle de la diversité culturelle, raciale ou ethnique. Ce sont des attitudes et des comportements qui se développent à travers un processus actif d’« altérité » qui essaie de dépeindre « l’autre » comme une menace et qui a recours à des boucs-émissaires dans le cadre d’une stratégie qui vise à détourner la responsabilité en la faisant assumer à la société. Le racisme est souvent le résultat d’un discours qui est activement propagé par la classe au pouvoir et ses supports médiatiques d’une manière à détourner la responsabilité de l’État vers les catégories les plus faibles qui sont souvent les réfugiés/migrants. Par conséquent, il est facile de blâmer les réfugiés pour la majorité des problèmes dans le pays comme le manque d’opportunités de travail, la coupure du courant électrique, la congestion routière, la crise du logement, le taux élevé de la criminalité, etc., plutôt que de s’interroger sur le rôle et la responsabilité de l’État. Au contraire, dans un tel contexte de racisme exagéré et de politique populiste, les mesures répressives de l’État à l’encontre des réfugiés sont accueillies et soutenues par certains citoyens qui perçoivent les réfugiés comme une menace politique, économique et sécuritaire. C’est dans de pareilles conditions que le discours sur la « sécurité nationale » devient une priorité et l’emporte sur toute autre cause sociale ou économique aussi pertinente soit-elle.

Ainsi, le racisme est une forme de politique identitaire qui établit une discrimination à l’encontre de certains groupes de la société basée sur la hiérarchie des « identités ». Alors que « l’ancien racisme » était axé sur la couleur de la peau ou sur des caractéristiques phénotypiques, « le nouveau racisme » est de nature plutôt culturelle que physique. Il établit des discriminations en se basant sur la nationalité, la culture, la religion, etc. Alors que l’ancien racisme était lié à l’esclavage et la colonisation, la montée du nouveau racisme est intrinsèquement liée à la mondialisation, la migration et la montée de l’idéologie nationaliste et celle de l’État-nation qui ont contribué à renforcer les frontières de certains groupes d’identités en opposition aux « autres ». À l’instar de nombreux autres types de politiques identitaires, le racisme réussit souvent à masquer des conditions matérielles et structurelles en mettant l’accent sur des stéréotypes et des boucs-émissaires. Il réussit à opposer les pauvres aux malchanceux en jouant la carte de la politique identitaire et du nationalisme. Cela est clair au Liban où, au lieu de faire assumer à l’État la responsabilité des conditions de vie méprisables, un discours raciste s’est propagé reprochant aux réfugiés de « prendre nos emplois », de « menacer notre stabilité politique », de « changer notre culture » et de « menacer notre façon de vivre ». Toutefois, bien que la logique raciste essaie de représenter les réfugiés comme un seul groupe homogène et décrit une hiérarchie claire des identités lorsqu’il s’agit de droits sociaux, politiques et économiques, nous ne devons pas tomber dans le piège consistant à comprendre le racisme d’une manière unidimensionnelle. Un examen plus approfondi des dynamiques du racisme au Liban suggère que celui-ci ne peut être lu que d’une manière intersectionnelle puisqu’il est interprété différemment selon la classe sociale, l’emploi, le sexe et la position politique du réfugié.

 

Aujourd’hui, les Syriens au Liban ne sont pas perçus et traités sur un pied d’égalité. Le contexte historique de la situation syro-libanaise et les relations sociales sont cruciaux pour comprendre les dynamiques de ces relations aujourd’hui et les conditions qui ont rendu le terrain fertile au racisme et à la discrimination. Toutefois, ce qui semble être le plus intéressant dans l’analyse du discours de racisme à l’encontre des réfugiés syriens du Liban reste le chevauchement entre l’esprit de classe et le racisme. Les couvre-feux imposés aux réfugiés syriens par plus de quarante-cinq municipalités au Liban sont une excellente illustration de ce que je veux dire. Une lecture des termes utilisés dans la majorité des banderoles sur les couvre-feux souligne une discrimination claire et spécifique contre les ouvriers « syriens » ou « étrangers » et non pas contre les réfugiés syriens en général. Cela en dit long sur les dynamiques du bouc-émissaire qui considèrent que les ouvriers pauvres parmi les réfugiés sont ceux qui représentent une réelle menace, et non pas les riches investisseurs étrangers ou les « déplacés » syriens appartenant à la classe moyenne. Par conséquent, ce discours n’est pas un simple discours xénophobe clair contre des « étrangers » ou des réfugiés en général. Il s’agit plutôt d’un discours spécifique contre la classe ouvrière parmi les réfugiés qui est perçue comme un fardeau économique et une menace sécuritaire. Un autre détail intéressant : bien que l’État libanais n’utilise pas le mot « réfugié » vu ses implications légales pour ce qui est de la reconnaissance des Syriens au Liban comme étant des réfugiés, les médias et les discours publics ont commencé à utiliser le mot « réfugié » en référence aux pauvres Syriens des camps, alors que d’autres mots, comme « visiteurs », « investisseurs » ou « déplacés » sont utilisés pour faire référence aux Syriens du Liban appartenant à la classe moyenne ou supérieure. Une telle analyse simple du cadrage utilisé dans les banderoles à propos des couvre-feux montre la nature intersectionnelle du racisme et la place centrale qu’occupe la classe sociale dans la compréhension de la discrimination identitaire comme le racisme.

Enfin, malgré l’analyse pessimiste de la montée du populisme d’extrême-droite et du racisme flagrant, il y a toujours une place pour l’optimisme aujourd’hui. Un examen plus approfondi des dynamiques politiques dans le monde le montre : la montée des nouveaux mouvements de gauche en Europe (et la popularité inattendue de Jeremy Corbin au Royaume-Uni), l’organisation contre le sexisme et le racisme aux États-Unis, les mouvements antiracistes au Liban et les mobilisations renouvelées des communautés pauvres et marginalisées à Hirak dans le Rif du Maroc constituent tous des indicateurs montrant que l’optimisme de la volonté est toujours vivant !

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