Les avantages économiques de la présence massive des réfugiés syriens

salam wa kalam website logo
trending Tendance
Posté sur août 01 2017 7 minutes de lecture
Les avantages économiques de la présence massive des réfugiés syriens
© Oeuvre de l’artiste Hamza Al Hariri
Loin des sentiers battus et des analyses souvent faites au sujet des réfugiés syriens et de l’impact négatif de leur présence sur l’économie du pays, une chose est certaine, quoique peu médiatisée : cette présence revêt également des avantages, et pas des moindres.

Si la présence de près de 1,5 million de réfugiés dans un pays de quatre millions d’habitants constitue indéniablement un fardeau aussi bien pour la société que pour l’économie, les analyses et couvertures médiatiques ainsi que les discours politiques souvent tenus à ce sujet au Liban dressent un tableau très sombre, faisant assumer de manière peu objective, à des fins électorales ou par xénophobie, tous les problèmes que vit le pays aux seuls réfugiés syriens.  

Les dimensions négatives sont en effet souvent mises en avant, tandis que sur le plan économique, par exemple, l’impact de cette présence est bien plus nuancé que ce qui est généralement véhiculé. En termes nets, le résultat serait même « positif », quoiqu’aucune étude quantitative n’ait encore été élaborée à cet effet.

Marché de l’emploi : une aubaine pour les sociétés

L’un des principaux avantages – souvent occulté – de l’existence de plusieurs centaines de milliers de travailleurs syriens se situe au niveau de l’importante offre de main d’œuvre bon marché ayant permis à de nombreuses sociétés libanaises de réduire leurs charges salariales et leur coût global dans un contexte particulièrement difficile – lié davantage à des facteurs exogènes qu’à la seule présence massive de réfugiés – et de survivre ainsi aux crises successives que traverse le pays depuis 2011, mais aussi de doper en parallèle la compétitivité de certaines compagnies. Selon l’OIT, 88 % des réfugiés sont payés 40 % de moins que le salaire minimum au Liban (soit près de 280 dollars/mois)[1] tandis que des enfants, certains âgés de six ans, sont payés 4 dollars la journée[2] dans certaines régions du Nord.

Outre la dimension liée aux multiples abus commis à ce niveau – ces employés ne bénéficiant, par ailleurs, d’aucune couverture médicale ou assurance de travail, ce qui représente des économies supplémentaires pour les patrons concernés – les travailleurs syriens sont souvent sur des marchés où l’offre d’emplois locale est déjà très faible (construction, agriculture, services à domicile, supermarchés, etc.). La concurrence a lieu ainsi davantage avec d’autres employés étrangers sous-qualifiés qu’avec des Libanais, ce qui exerce par ailleurs une pression à la baisse sur les salaires propres à ces créneaux. Cela bénéficie, encore une fois, à l’employeur libanais, en termes de coût de production. Le niveau d’éducation de la population réfugiée est en effet structurellement incompatible avec toute configuration compétitive sur les secteurs convoités par une majorité de Libanais, en sus des restrictions légales qui rendent l’accès à ces secteurs déjà extrêmement limité. 

En effet, plus de la moitié des réfugiés sont âgés de moins de 24 ans, dont le tiers sont analphabètes, 40 % ont achevé le cycle primaire et 3 % suivi un cursus universitaire[3]. À cela s’ajoute le fait que 92 % des personnes actives[4] travaillent au noir. Pour ce qui est des Libanais, le taux de scolarisation dans le cycle primaire s’élevait en 2012 à 106,6 % et dans le cycle secondaire à 86,3 %, tandis que plus de 46 % avaient suivi des études universitaires[5]. Ce décalage structurel est d’autant moins propice à une concurrence réelle sur le marché du travail que plus de 83 % de la population active libanaise (formelle) travaille dans le secteur privé[6].

Consommation locale : 1,5 milliard de dollars par an

Outre le marché du travail, les réfugiés syriens consomment localement à hauteur de 106 dollars par personne en moyenne (chiffres de 2016), ce qui représente – sur la base du nombre officiel des réfugiés enregistrés auprès de l’Onu – près de 1,5 milliard de dollars par an. Cela a permis de doper la consommation privée, qui constitue l’une des principales composantes du PIB, et de contribuer ainsi à la croissance économique, aussi modeste fut-elle au cours des dernières années. Le marché locatif génère, à lui seul, près de 50 millions de dollars[7], sans compter les loyers payés aux propriétaires de tentes dans les camps informels qui varient entre 100 et 160 dollars en moyenne par ménage. L’achat de produits de consommation de base sur le marché local par plus d’un million de réfugiés a par ailleurs dopé les recettes provenant des taxes sur la consommation. Les revenus de l’État ont ainsi progressé d’environ 600 millions de dollars entre 2011 et 2016[8], dont une partie conséquente provient de l’imposition indirecte sur les biens et services. Les réfugiés alimentent également le Trésor public à travers le secteur des télécoms, notamment via la téléphonie mobile, dont le nombre d’abonnés a augmenté d’environ 400 000, à 4,3 millions, entre 2013 et 2016.

Autre source de recettes publiques : les frais des permis de séjour imposés à partir de début 2015, à hauteur de 200 dollars par an, à chaque Syrien âgé de 15 ans et plus. Si seules 20 % des personnes concernées[9] renouvellent désormais leurs papiers, cela a permis à l’État, en grande partie grâce aux réfugiés, d’augmenter ses recettes provenant des frais de séjour (toutes catégories d’étrangers confondues), de 35 à 50 millions de dollars entre 2011 et 2015[10].

Aides étrangères, investissements

Par ailleurs, le Liban reçoit chaque année environ 1,5 milliard de dollars[11] d’aides humanitaires de divers organismes régionaux et internationaux pour venir en aide aux réfugiés tandis que plusieurs conférences d’aide aux pays voisins de la Syrie ont eu lieu depuis 2011, du Koweït à Londres en passant par Genève. Lors du dernier sommet international tenu en avril, le pays du cèdre a réclamé une enveloppe de dix milliards de dollars étalés sur sept ans, dont le déboursement reste en revanche encore soumis à étude par les bailleurs potentiels.

Enfin, une partie de la bourgeoisie damascène et aleppine s’est installée à Beyrouth au début de la crise, tandis que certains transferts d’argent vers le système bancaire libanais ont contribué dans une certaine mesure, aussi minime soit-elle, à la croissance de la base des dépôts. Si beaucoup de riches hommes d’affaires syriens ont préféré quitter Beyrouth pour s’installer dans le Golfe ou dans certains pays du Maghreb, ou encore en Europe et aux États-Unis, une minorité se maintient encore et dépense au Liban : location, voire achat d’appartements de luxe et de voitures, scolarisation d’enfants dans des écoles privées, investissements dans des PME et des start-ups, etc.

Failles structurelles et incompétence de l’État

Si d’autres avantages économiques de la présence massive des réfugiés peuvent encore être évoqués, il est surtout judicieux et légitime de rappeler – au-delà de l’ensemble des arguments cités ci-dessus, dont certains appuyés par des chiffres – que le problème du chômage au Liban, ainsi que toutes les failles infrastructurelles dont souffre la population locale existaient bien avant le début de la crise syrienne, et cela en raison de l’incompétence de l’État. Certes, le chômage atteint désormais 20 %[12], selon les estimations du FMI, mais cette dégradation est davantage liée à la conjoncture, aussi bien locale que régionale – laquelle a fait chuter la croissance à 1 % en moyenne au cours des trois dernières années, contre plus de 9 % entre 2007 et 2010 – qu’à la présence de réfugiés. Personne ne cherche à nier les retombées négatives de cette présence. Mais ce qui est dangereux et vicieux est que celle-ci est désormais devenue un outil de propagande, parfois surexploité à des fins iniques, loin du discours scientifique, honnête et constructif, ainsi qu’un prétexte pour voiler l’incapacité chronique de l’État. Cette même logique avait été utilisée à l’époque de la tutelle syrienne. On a bien vu le progrès après 2005…

 

 

 



[1] http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_240126/lang--en/index.htm

 

[2] http://www.ilo.org/beirut/media-centre/fs/WCMS_496725/lang--en/index.htm

 

[3] Assessment of the Impact of Syrian refugees in Lebanon and their employment profile http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---arabstates/---ro-beirut/documents/publication/wcms_240134.pdf

 

[4] Assessment of the Impact of Syrian refugees in Lebanon and their employment profile http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---arabstates/---ro-beirut/documents/publication/wcms_240134.pdf

 

[5] Analysis of Lebanon’s Education Sector https://www.bankmed.com.lb/BOMedia/subservices/categories/News/20150515170635891.pdf

 

[6] http://investinlebanon.gov.lb/en/doing_business/labor_force/profile

 

[7] http://jadchaaban.com/blog/should-the-lebanese-government-get-more-financial-support-for-hosting-refugees/

 

[8] Public Finance Monitor for November 2016 http://www.finance.gov.lb/en-US/finance/ReportsPublications/DocumentsAndReportsIssuedByMOF/Documents/Public%20Finance%20Reports/Monthly/Public%20Finance%20Monitors/2016/Public%20Finance%20Monitor%20for%20November%202016.pdf

 

[9] Vulnerability Assessment of Syrian Refugees in Lebanon 2016 http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/VASyR2016.pdf

 

[10] Public Finance Annual Review 2015 http://www.finance.gov.lb/en-US/finance/ReportsPublications/DocumentsAndReportsIssuedByMOF/Documents/Public%20Finance%20Reports/Annual/YR_2015.pdf

 

[11] Lebanon Crisis Response Plan 2017- 2020 http://www.3rpsyriacrisis.org/wp-content/uploads/2017/01/Lebanon-Crisis-Response-Plan-2017-2020.pdf

 

[12] http://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2017/01/24/Lebanon-2016-Article-IV-Consultation-Press-Release-Staff-Report-and-Statement-by-the-44572

 

A+
A-
share
Les plus vues ce mois-ci
décembre 10, 2024 par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 10, 2024
par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 07, 2024 par Naya Fajloun, Journaliste
décembre 07, 2024
par Naya Fajloun, Journaliste
Charger plus