Cette page comporte trois histoires vraies rapportées par des travailleuses et travailleurs syriens, qui racontent leurs souffrances quotidiennes dans leur pays d'asile sur les plans social et juridique, ainsi que leurs rapports avec la communauté hô

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Posté sur août 01 2017 12 minutes de lecture
Cette page comporte trois histoires vraies rapportées par des travailleuses et travailleurs syriens, qui racontent leurs souffrances quotidiennes dans leur pays d'asile sur les plans social et juridique, ainsi que leurs rapports avec la communauté hô
© Oeuvre de l’artiste Ahmad Ghaddar
Pour Safia qui a fui l’oppression de Daech, l’Onu est une source d’espoir

Les yeux couleur miel de Safia sont tristes. Son regard en dit long sur la peur, l’oppression et l’injustice dont elle a été témoin et qui émaillent des récits puisés, dirait-on, de tragédies grecques ou de films indiens.

La jeune femme dont l’époux est cloué chez lui à cause d’un accident de la route, ne s’est pas résignée à son sort, même si le destin semble s’être lui-même incliné devant la guerre et les combattants de l’organisation État islamique (Daech), « qui n’ont de respect ni pour les femmes, ni pour les enfants et encore moins pour eux-mêmes », comme le souligne Safia, âgée de 29 ans.

La jeune femme et son époux ont dû payer tout l’argent qu’ils possédaient pour fuir l’enfer de Daech et l’injustice « brûlante, diabolique, inimaginable de ses milices », qu’elle décrit comme tels, en tremblant comme à chaque fois qu’elle se souvient de cette époque sombre précédant sa fuite avec son mari et son fils âgé de deux ans. « Nous avons survécu au périple de la mort, cette mort que nous avons pourtant vue de près… Nous avons marché pendant trois jours, traversant les bois de Deir el-Zor pour arriver jusqu’à la frontière libanaise. Je portais sur le dos mon fils, le lait et l’eau, pour qu’il ne meure pas de faim et de soif. Nous nous étions entendus avec des passeurs, par le biais d’un intermédiaire que nous connaissions, pour traverser cette longue distance plantée de bombes et jalonnée d’explosions et de terreur. J’avais le sentiment de me mouvoir dans un film, voire un cauchemar ».

À chaque fois que Safia évoque ces journées, la sueur couvre son corps qui se met à trembler. Elle étreint son fils aujourd’hui âgé de trois ans. « Je veux qu’il ait un bel avenir, mais je n’ai pas les moyens de ce vœu. Nous avons fui la mort, mais la pauvreté nous a rattrapés. Je travaille dans l’agriculture, ici à Rmeich où mon mari avait lui-même travaillé pendant quinze années, avant qu’il ne soit blessé à la jambe et qu’on lui implante des tiges en acier. Il connaissait à Rmeich une famille propriétaire de terrains agricoles. Il a pris contact avec elle et elle nous a aidés à reprendre notre vie, à renaître ».

Safia travaille dans la culture du tabac, près de six heures par jour. Son mari l’aide lorsqu’il le peut à payer le loyer et les frais domestiques. « J’enfile les feuilles de tabac et je suis payée 1 000 livres par fil, une somme modique comparée à la fatigue que cet emploi me procure, mais c’est le seul que nous avons. Le loyer de notre maison, composée d’une chambre, d’une cuisine et d’une salle de bains, est de 150 dollars par mois. Il nous arrive parfois de gagner moins par mois, ce qui nous pousse à acheter nos aliments à crédit de chez l’épicier. Il nous arrive aussi de dormir sans dîner », raconte Safia, aujourd’hui à son sixième mois de grossesse.

La jeune femme espère que l’Onu les aidera à trouver une solution provisoire, mais le rendez-vous qu’elle a pris auprès du HCR a été déjà ajourné deux fois….

Safia attend un enfant et n’a toujours pas enregistré son aîné à l’école. Elle ne sait d’ailleurs pas comment s’y prendre. Elle place, dit-elle, tous ses espoirs en l’Onu.

 

Abou Youssef bâtit des maisons, mais ne parvient pas à se construire un avenir

 

Son pantalon en jeans a vu des jours meilleurs. Sa chemise usée en coton, aussi. Et son chapeau a été pendant plus d’un an et demi le témoin de nombreux levers et couchers de soleil. La fumée qui se dégage de sa cigarette masque à peine les marques de soucis qui creusent le visage d’Abou Youssef, père de trois enfants (deux filles et un garçon).

Ce quadragénaire qui a fui Deir el-Zor avec sa femme et ses deux filles (avant la naissance de son fils, aujourd’hui âgé d’à peine huit mois) mélange énergiquement le béton avec sa pelle. Abou Youssef est un ouvrier chevronné qui connaît bien son métier, un métier qu’il a hérité de son père et qui passe de père en fils dans sa famille.

La sueur perle sur son front. Il s’empresse de lécher goulûment les gouttelettes qui lui tombent sur les joues et le bout du nez. « Le prix d’une petite bouteille d’eau est de 500 livres. Je suis payé 4 000 à 5 000 livres l’heure. J’ai donc droit, plus que la terre, à la sueur que produit mon corps ». 

Abou Youssef a bonne réputation dans le village de Rmeich (caza de Bint Jbeil) où il est installé. Les habitants des localités voisines lui font également confiance parce qu’il est « honnête, pauvre et discret ». C’est en ces termes que l’un d’eux le décrit. « Mais ici, la réputation ne permet pas de gagner sa vie et ne donne pas le droit de travailler sur cette terre d’asile », affirme Abou Youssef, avant d’ajouter : « En Syrie, je pouvais détruire des montagnes et construire des immeubles et des palais avec ces mains. J’ai bâti la majorité des maisons de Deir el-Zor. Je me tuais à la tâche, mais j’étais au moins tranquille. Je n’avais pas des soucis de nationalité, de cartes de séjour ou de sécurité… ».

Abou Youssef s’exprime avec une amertume qui lui coupe presque le souffle. « Non seulement nous avons dû fuir la mort, les massacres et la guerre, mais nous devons aujourd’hui souffrir le martyre pour pouvoir gagner notre vie à la sueur de notre front. Nous ne voulons prendre le boulot de personne. Nous voulons seulement vivre en paix, honnêtement. Si la guerre en Syrie prend fin aujourd’hui même, je retournerai chez moi avec pour seul bagage ces vêtements maculés de béton. Croyez-moi, personne n’aime se sentir étranger, loin de chez lui. Personne n’aime l’humiliation… ».

Abou Youssef préfère vivre en Syrie, mais « pas avant le rétablissement de la sécurité ». « Nous avons côtoyé la mort. Nous ne sommes pas prêts à risquer encore une fois notre vie et celle de nos enfants, même s’il est difficile de qualifier de vie notre existence ici », confie-t-il. Abou Youssef touche près de 150 dollars par mois. Une somme qui ne lui permet pas d’acheter du lait à son fils et du pain à ses filles et à sa femme et qui le pousse à s’interroger de savoir si un Libanais accepterait de vivre avec 150 dollars par mois.

La femme d’Abou Youssef continue d’allaiter le petit, mais elle l’aide à subvenir aux besoins de la famille, en faisant le ménage dans certains foyers. « Tous les habitants du village n’acceptent pas cependant de m’engager comme femme de ménage. Certaines personnes sont xénophobes et n’aiment pas les Syriens, et d’autres sont au contraire pleines de bonté. Elles nous aident à nourrir nos enfants. Je prie Dieu pour que mon lait abonde afin que mon fils grandisse et qu’il puisse aller à l’école. Mon lait est gratuit. C’est un don de Dieu, alors que le lait industriel en poudre est plus cher que l’or au Liban… ».

Abou Youssef n’a aucun problème avec les habitants du village. Son problème est avec l’État qui lui demande de payer sa carte de séjour, alors qu’il n’arrive pas à subvenir à ses besoins. Il exhorte les organisations internationales de plancher sur les cas de milliers de personnes comme lui et affirme : « Il est vrai que dans la plupart des régions, le Syrien est traité avec condescendance, mais Dieu nous envoie de bonnes gens qui nous aident. Sauf que ces aides ne permettent pas de fonder une famille ou d’assurer une stabilité matérielle. Elles nous font sentir inférieurs et humiliés. Nous ne voulons de pitié de personne. Nous souhaitons que nos salaires soient relevés pour pouvoir manger à notre faim et vivre dans une habitation constituée d’une chambre, d’une cuisine et d’une salle de bains, sans qu’on n’ait à devoir à qui que ce soit… ».

Le deuxième problème auquel Abou Youssef est confronté est sa peur pour ses deux filles qui n’ont pas été encore à l’école. « On nous a dit que les écoliers syriens n’ont pas de place à l’école publique. Il n’y a plus suffisamment de places pour le nombre d’écoliers qui a augmenté avec l’exode de nombreux Syriens vers la région. Cela me terrifie. Je ne veux pas que mes enfants soient analphabètes parce que l’illettrisme génère l’ignorance et la pauvreté et ces deux éléments produisent la violence et les guerres ».

 

Catapultée de Hassaké vers le Liban, Nahrein attend le salut à Sydney

 

Nahrein a tout le temps la tête ailleurs. Elle travaille en silence et avec professionnalisme. Elle lime les ongles des dames de la haute société, enlève la peau morte qui les entoure puis masse les mains et les pieds avec des crèmes hydratantes avant de s’occuper de nouveau des ongles et de poser dessus un vernis d’une couleur aussi fraîche que son rire plein d’espoir.

C’est au centre de Beyrouth que travaille la jeune brune qui avait fui Hassaké pour le Liban avec sa tante et son frère, lorsque les batailles se sont intensifiées dans la région où elle est née, où elle a été élevée et où elle avait décroché un diplôme en art dramatique de la faculté des Beaux-arts. « Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, je rêvais de devenir comédienne. J’ai commencé à enseigner l’art dramatique aux enfants dans les écoles, dans l’espoir de décrocher un bon rôle dans une série divertissante. En attendant ce rôle cependant, la vie m’a projetée dans le drame le plus horrible de ma vie », raconte la jeune fille de 28 ans qui reste aussi solide qu’un roc. C’est malgré elle qu’elle fait face au tourbillon mortel de la guerre qui l’a poussée à l’exode. « Ils ont enlevé mon frère alors qu’il n’avait que 20 ans. Les ravisseurs n’ont pas été identifiés et nous ne savons rien de lui jusqu’à présent. Nous avons tous été menacés de mort. Toute notre grande famille. Des groupes islamiques menaçaient tous les chrétiens. Ils disaient qu’ils allaient brûler nos maisons, violer nos femmes et égorger nos hommes… L’aube venait à peine de se lever lorsque nous avons pris la route. Nous avons fui, laissant tout derrière nous. Nous avions juste emporté l’or et l’argent que nos parents avaient rassemblés toute une vie durant ».

Nahrein ne soupire pas. Ses yeux restent sans larmes. Si ses propos trahissent cependant son affliction, elle ne tire pas profit pour autant de son statut de réfugiée et ne laisse personne avoir pitié d’elle. Elle gagne sa vie à la sueur de son front. « L’esthétique et les soins de beauté n’ont jamais été ma profession. Lorsque je suis arrivée à Beyrouth, j’avais peur. Nous sommes restés mon père, ma tante et mon autre frère dans la maison que nous avait débrouillé une connaissance syrienne qui travaille depuis vingt ans au Liban. Nous avions peur que les éléments armés ne nous localisent. Nous étions prisonniers de notre phobie, mais nous n’avons pas tardé à nous adapter à notre nouvelle vie. Nous avons loué une maison à Sabtiyé et comme au Liban il est important qu’une femme s’occupe de sa beauté, j’ai trouvé que le mieux était de travailler dans ce domaine. J’ai été alors engagée dans un institut de manucure/pédicure que ma voisine m’avait indiqué ».

Nahrein n’avait pas pensé à amener son diplôme avec elle. Elle était trop tendue lorsqu’elle s’était enfuie. Elle ne pensait ni au travail, ni à l’éducation. Son seul souci était de se sauver et d’échapper au viol et à la mort aux mains des groupes islamistes. « Je ne connais pas de langues étrangères. Je me débrouille en anglais. Quelle école pourrait m’engager pour y enseigner, comme en Syrie, l’art dramatique, surtout là où j’habite, où tout le monde s’exprime en français, une langue dont je ne connais pas un seul mot ? Le métier que j’exerce est loin d’être celui dont je rêve ou qui répond à mes aspirations, mais j’étais obligée de travailler parce que l’argent que nous avions amené avec nous s’était rapidement volatilisé. Ma tante est âgée et mon père est plus tard parti en Allemagne, en compagnie de sa deuxième femme qu’il avait épousée après la mort de ma mère. Ma belle-mère avait de la famille en Allemagne. Elle l’a aidé à partir avec elle. Nous sommes restés ici ma tante, mon frère et moi, à attendre que notre sort soit déterminé ».

Nahrein ne voulait pas passer sa vie au Liban, même si elle y a développé des amitiés et trouvé un emploi qui lui rapporte 600 dollars par mois. « Honnêtement, je me suis habituée à la vie à Beyrouth. J’organise des activités avec mes amis et mes voisins. Chaque dimanche, nous allons à la montagne où nous visitons de belles régions. J’y ai même un copain qui s’occupe de moi et qui ne me laisse rien payer. Mais la vie au Liban est dure. Tout y est cher. Je ne veux pas passer ma vie à nettoyer les ongles des bourgeoises. Aussi, ai-je décidé de voyager ». La jeune fille, élégante, gentille et très correcte dans sa façon de s’adresser aux clientes, a alors présenté son dossier à l’ambassade d’Allemagne. Elle a attendu deux ans, sans obtenir la moindre réponse. Elle voulait s’installer en Allemagne, mais quelqu’un lui a conseillé d’aller en Australie qui délivre rapidement des visas d’entrée sur son territoire. La jeune fille s’est empressée de se rendre à l’ambassade australienne pour déposer une demande d’émigration. Au terme d’une longue attente, elle a fini par obtenir une réponse positive. Sa demande a été acceptée. « J’ai sauté de joie. J’ai senti que la vie me souriait à nouveau. Peu importe ce que je ferai là-bas, ce que je mangerai… Tout ce qui m’importe, c’est d’être traitée comme un être humain qui mérite le respect, qui a sa dignité, qui peut manger, boire et être soigné quelles que soient sa religion, son ethnie et sa nationalité », affirme Nahrein qui retient difficilement sa joie. Elle doit bientôt se rendre à Sydney pour tracer sa voie dans le monde de l’art dramatique et non pas dans le drame cauchemardesque qu’elle a vécu cinq ans durant.

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