Politique du travail et pratique

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Posté sur août 01 2017 11 minutes de lecture
Politique du travail et pratique
Bien que le Liban soit classé comme un pays à revenu intermédiaire, près d’un million de Libanais continuent de vivre dans la pauvreté (28,5 % de la population) et quelque 300 000 personnes vivent dans une situation d’extrême pauvreté, se trouvant dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins alimentaires et non-alimentaires les plus élémentaires (8 % de la population). Les mohafazats du Liban-Nord et du Mont-Liban comptent près de 65 % de l’ensemble des pauvres du Liban .

Aujourd’hui, les réfugiés syriens se concentrent dans les régions les plus pauvres du Liban. Les intersections entre la distribution géographique des réfugiés et les poches de pauvreté au Liban sont perceptibles, notamment au Liban-Nord. L’un des principaux facteurs derrière la persistance de la pauvreté et l’absence de croissance économique inclusive reste le faible potentiel de création d’emplois et les emplois de qualité médiocre. Récemment, le conflit syrien et le grand afflux de réfugiés a eu des impacts sur la pauvreté et les emplois[1]. Dans le contexte de la crise prolongée des réfugiés syriens, cet article a pour objectif de décortiquer la politique du travail et la pratique concernant les réfugiés syriens au Liban depuis le déclenchement de la crise en 2011. Les sections suivantes retracent brièvement la situation actuelle du marché du travail, ainsi que le code du travail, les règles qui réglementent le travail des réfugiés syriens, la tension liée aux questions de travail entre les réfugiés et les communautés hôtes, et enfin les initiatives susceptibles de créer de meilleures conditions de travail.

Informations sur le marché du travail

Le Liban est marqué par un taux d’activité professionnelle faible et stagnant de 49 %, qui reflète un taux faible de participation des femmes à la vie active. Celui-ci frôlait les 26 % en 2009. Près de la moitié des employés libanais (46 %) sont dans les services, suivis par près d’un tiers d’entre eux (27 %) qui sont dans le commerce (2009)[2]. La demande de travail est marquée par la prédominance des micro et petites entreprises. En effet, près de 90 % des établissements ont moins de cinq employés, alors que moins de 0,5 % des sociétés emploient plus de cinquante employés[3]. Selon l’enquête sur l’emploi menée par la Banque mondiale, 40 % de la main-d’œuvre au Liban est informelle (2010)[4]. Le chômage est élevé parmi les jeunes, ce qui peut être expliqué par l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois[5].

Les Syriens viennent travailler au Liban depuis les années soixante, lorsque l’essor économique s’est accompagné d’un recrutement élevé d’ouvriers syriens. En 1972, les ressortissants syriens mâles représentaient 90 % de l’ensemble des ouvriers travaillant dans la construction au Liban[6]. Durant la guerre civile (1975-1990), l’émigration libanaise a entraîné une pénurie de travailleurs. Après la guerre, le début de la reconstruction a conduit au recrutement massif d’ouvriers syriens mâles peu qualifiés qui ont travaillé essentiellement dans la construction et l’agriculture. Dans les années 90, le nombre des ouvriers syriens était estimé entre 400 000[7] et 1,4 million[8]. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), on estimait à 300 000 le nombre des ouvriers syriens qui étaient basés au Liban avant le déclenchement de la crise syrienne[9].

Selon l’édition 2016 de l’Évaluation de la vulnérabilité des réfugiés syriens (Vulnerability Assessment for Syrian Refugees – VASYR), 36 % des adultes en âge de travailler ont travaillé dans le mois qui a précédé l’enquête. Ce pourcentage est plus faible au Akkar (28 %), à Zahlé (29 %) et à Baalbeck (32 %). Inversement, Bint Jbeil (47 %), Batroun (46 %) et Bécharré (44 %) ont enregistré des taux plus élevés. La main d’œuvre syrienne se concentre essentiellement dans le secteur de la construction (33 %), les activités agricoles (22 %), les services (26 %), les magasins (6 %) et le ménage (6 %). Le sous-emploi est prédominant, vu que les ouvriers syriens sont employés en moyenne quatorze jours sur trente[10].

Les hommes luttent pour pouvoir trouver des opportunités économiques qui leur permettent d’avoir une rentrée régulière au Liban et faire face à une insécurité physique sévère et un taux élevé de discrimination. D’autres membres de la famille comme les femmes, mais aussi les enfants, ont été obligés de compenser le manque de revenu familial. En plus de s’occuper de la famille et de remplir les tâches ménagères, plusieurs femmes syriennes ont été obligées de travailler pour subvenir aux besoins financiers de leurs familles. Les femmes ont pu décrocher plus d’emplois dans le secteur informel comme les petits emplois, un travail saisonnier agricole et le ménage[11]. Le travail des enfants parmi les réfugiés syriens au Liban est également critique. En raison des normes sur les genres qui prévalent, les garçons travaillent plus que les filles, y compris dans les services comme l’électricité, la mécanique, les salons de coiffure, les restaurants, les supermarchés, ainsi que dans les secteurs de la construction et de l’agriculture[12]. Contrairement aux garçons, les filles travaillent essentiellement dans les secteurs agricole et domestique[13]. Finalement, tant les filles que les garçons sont vulnérables au mauvais traitement, au harcèlement et à la violence.

Législations et politiques du travail

Avant la crise des réfugiés syriens, les conditions des ouvriers syriens au Liban étaient régies par plusieurs accords bilatéraux dans le respect du code du travail libanais. Conformément à ce code, les ouvriers étrangers ont besoin d’un permis de travail dans les dix jours qui suivent leur entrée. Ce document leur donne accès à la Sécurité sociale et leur accorde le droit au salaire minimum et à des protections sécuritaires. En pratique, la majorité des « étrangers » travaillent illégalement.

À la suite du déclenchement de la crise syrienne et la hausse du nombre des réfugiés syriens, l’environnement législatif et politique concernant les questions de travail a changé. Depuis le déclenchement de la crise en Syrie, le gouvernement libanais s’appuie sur des politiques ad hoc. En février 2013, le ministre du Travail a publié une circulaire donnant aux ouvriers syriens accès à un nombre d’emplois qui étaient auparavant réservés aux ressortissants libanais. Au nombre de ces emplois, la construction, les travaux d’électricité et la vente. Les Syriens effectuaient déjà ces activités, bien avant la prise de cette décision, toutefois sans permis[14]. Récemment, le  gouvernement libanais a publié une décision privant les réfugiés syriens du droit au travail. Plus encore, le gouvernement considère que les « déplacés » perdent leur statut humanitaire de réfugiés dès qu’ils commencent à travailler, puisqu’ils bénéficient déjà de l’aide de l’UNHCR, l’agence de secours de l’ONU.

Néanmoins, les réfugiés syriens continuent à chercher du travail pour pourvoir aux besoins de leurs familles. Malheureusement, la violation de la décision du gouvernement a exacerbé la vulnérabilité des réfugiés syriens sur le marché du travail libanais : les employeurs ont tendance à recruter des Syriens pour des emplois de courte durée ou privent les ouvriers d’entre eux de rémunération puisqu’ils sont incapables de recourir à la justice ou à la police pour réclamer leurs droits. Les employeurs ont tendance à confisquer tous les documents personnels des ouvriers syriens y compris leur carte d’identité, leur passeport et leurs permis de séjour.

Une autre conséquence à ces restrictions de travail reste le fait que les ouvriers syriens travaillent sans bénéficier d’une protection légale ou d’une sécurité sociale. Au cas où ils sont blessés sur les lieux du travail, ils sont incapables de poursuivre leur employeur[15] en justice pour réclamer une compensation.

Conflit et tension relatifs aux questions de travail

Malgré la tension entre les communautés hôtes et les réfugiés syriens en raison des problèmes économiques et sociaux, aucun incident violent n’a été rapporté, mis à part quelques rares cas. La carte des conflits gérée par Lebanon Support montre une hausse de 31 % du nombre des incidents[16] entre 2015 et 2016 : 3 502 incidents ont été enregistrés en 2015 contre 4 605 en 2016. Toutefois les conflits relatifs à la « discrimination sociale » et le « développement socio-économique » constituent les deux catégories où le nombre d’incidents le plus bas a été enregistré, avec respectivement 45 et 18 incidents recensés en 2016. Récemment quelques protestations ont été organisées contre les syriens au Liban à cause du chômage et de la compétition injuste dans le marché du travail (15 incidents en 2017)[17].

Selon le Plan de réponse à la crise libanaise, quelques incidents dangereux se sont produits en 2015, similaires à ceux ayant eu lieu en 2014 à Ersal et à Tripoli, et qui avaient sévèrement affecté la stabilité des relations entre les communautés hôtes et les réfugiés syriens. Toutefois, selon des sondages d’opinion, les tensions restent élevées, accompagnées d’un risque de propension à la violence et à la confrontation entre les réfugiés syriens et leurs hôtes libanais[18].

Programmes et initiatives

Deux ans après le début de la crise syrienne, le gouvernement libanais a souligné la création d’emplois comme une priorité pour la stabilisation des conflits syriens dans les ménages, les entreprises et les communautés[19].

En effet, dans le Plan libanais de gestion de la crise syrienne (LCRP) 2016, le chapitre relatif aux moyens de subsistance adopte une approche indirecte pour l’accès aux revenus et à l’emploi. Au lieu de mettre en place des activités génératrices de revenus, la réponse aux moyens de subsistance entraîne des investissements dans des projets du secteur privé et des institutions publiques qui, à leur tour, mèneront à la création d’emplois. En prenant en considération les priorités et les préoccupations du gouvernement telles qu’indiquées dans le document politique, les interventions cibleront essentiellement les groupes libanais vulnérables, ce qui constituera « un point d’entrée à toutes les interventions visant à assurer des moyens de subsistance ». Indirectement, ces interventions cibleront les réfugiés syriens et palestiniens conformément aux dispositions légales qui permettent actuellement aux Syriens de travailler dans l’agriculture, la construction et le ménage.

L’intervention la plus récente est la création d’emplois dans des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, principalement à travers le Programme d’emplois temporairement subventionnés (STEP). Ce programme de trois ans a pour objectif de soutenir plusieurs centaines de PME (petites et moyennes entreprises) à travers des subventions de contrepartie, des services d’aide au développement des entreprises et des subventions salariales. Ce schéma fournit des incitatifs financiers aux entreprises pour créer de nouvelles possibilités d’emploi pour les ressortissants libanais et syriens.



[1] Banque mondiale. 2015. Lebanon - Promoting poverty reduction and shared prosperity: a systematic country diagnostic. Washington, D.C. : Groupe de la Banque mondiale.

 

[2] Administration centrale des statistiques.2010. Multiple Indicators Cluster Survey 2009. Beyrouth : Administration centrale des statistiques.

 

[3] ERF. 2004. Micro and Small Enterprises in Lebanon. Research Report Series No 0417. Le Caire: Economic Research Forum (Forum de recherche économique).

 

[4] Banque mondiale. 2012. Lebanon-Good jobs needed: the role of macro, investment, education, labor and social protection policies (MILES) - a multi-year technical cooperation program. Washington, D.C. : Groupe de la Banque mondiale.

 

[5] OIT. 2010. Review of Labour Market Information. Beyrouth: Organisation internationale du travail.

 

[6] Chalcraft, John. 2009. The Invisible Cage, Syrian Migrant Workers in Lebanon, California: Stanford University Press.

 

[7] Balanche, Fabrice. 2007. « Les travailleurs syriens au Liban ou la complémentarité de deux systèmes d’oppression », Le Monde diplomatique, mars 2007.

 

[8] Gambill, Gary. 2001. « Syrian Workers in Lebanon: The Other Occupation », Middle East Intelligence Bulletin, février 2001.

 

[9] OIT. 2015. Towards Decent Work in Lebanon : Issues and Challenges in Light of the Syrian Refugee Crisis. Beyrouth: Organisation internationale du travail, Bureau régional des pays arabes.

 

[10] WFP/UNHCR/UNICEF. 2016. Syrian Refugee Response: Vulnerability Assessment of Syrian Refugees 2016.

 

[11] Centre for Transnational Development and Cooperation. 2015. “Syrian Refugees in Turkey: Gender Analysis” [Online] Available at: http://ctdc.org/analysis.pdf

 

[12] UNHCR. 2016. « Children at work: A bigger Issue For Boys » [Online] Available at: http://unhcr.org/FutureOfSyria/children-at-work.html

 

[13] Ibid.

 

[14] Akram Susan et al.. 2014. “Protecting Syrian Refugees: Laws, Policies, and Global Responsibility Sharing”. Boston: Boston University School of Law.

 

[15] Ibid.

 

[16] Le Projet d’analyse des conflits définit la violence comme suit : « En allant au-delà de la vision du conflit à travers un cadre de sécurité associé à la belligérance et à la violence, Lebanon Support soutient que le conflit est d’une nature socio-politique. Par conséquent, elle met l’accent sur les dynamiques sous-jacentes à un large éventail de luttes violentes et non-violentes y compris des mouvements sociaux, des conflits opposant les minorités (ethniques, religieuses ou sexuelles entre autres), ainsi que des acteurs politiques locaux, nationaux et régionaux. » Disponible en ligne : http://civilsociety-centre.org/article/conflict-analysis-bulletin-issue-6-march-2017?language=en

 

[17] Lebanon Support. 2017. Civil Society Knowledge Centre, The Conflict Analysis Bulletin, Issue 6, Mars 2017. Disponible en ligne : civilsoceity-centre.org

 

[18] Gouvernement libanais et Nations unies. 2015. Plan de réponse à la crise du Liban 2015-2016, deuxième année, Beyrouth : GL/ONU.

 

[19] Gouvernement libanais. 2013. Feuille de route des interventions prioritaires pour la stabilisation du conflit syrien. Octobre 2013. Beyrouth: Gouvernement libanais

 

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