La confusion qui sur le plan officiel a marqué la gestion de l'explosion catastrophique du port de Beyrouth le 4 août 2020, montre à l’évidence qu’elle n'a pas été conduite selon les exigences de l'accord de gestion des risques de catastrophe « Sendai », signé par le Liban en 2015, vu le manque de coordination entre tous les services opérant sur le terrain.
Cette évidente confusion n'était ni nouvelle, ni limitée à quelques ministères et départements publics, qui se sont tous empressées de s’exonérer de toute responsabilité à l’égard d'une catastrophe nationale de cette ampleur. Malgré le remarquable travail international de préparation de plans nationaux de gestion des catastrophes au cours des cinq dernières années au Liban, l’échec de l’activation de l'Unité de gestion des risques de catastrophe a eu un impact négatif sur la réponse à la catastrophe, entraînant un retard dans la délégation « à l'armée libanaise le lendemain de la gestion de la catastrophe », selon un rapport des médias locaux.
Le manque de coordination entre les services a eu un impact négatif sur le travail des équipes de secours travaillant sur le terrain. De même source, on ajoute qu’au cours des « 48 premières heures, les équipes de la Défense civile ont manqué de lampes de poche et de matériel de sauvetage, ce qui a constitué un obstacle majeur à la recherche de survivants dans les décombres, obligeant les équipes à arrêter leurs recherches à la nuit tombée, et à secourir les survivants à l'aide de méthodes primitives et des balises de téléphones portables ». Par ailleurs, « le manque d'instructions préventives sur l'émergence du coronavirus Covid-19, a contribué à augmenter le nombre de contaminations chez les hommes et femmes volontaires dans les opérations de déblaiement ».
Un certain nombre de facteurs ont conduit à l’explosion, et les manquements aux devoirs des services de sécurité, qui sera établi par les enquêteurs, n'ont pas atténué les risques. Selon la source citée « personne n'a fait preuve de négligence dans la réponse au désastre, mais la confusion des prérogatives entre les services officiels et le défaut de mise en œuvre des plans de réponse conçus pour faire face aux catastrophes, ont eu un impact négatif sur toutes les opérations, à commencer par l’absence de répartition des rôles dans l'établissement du périmètre de sécurité, la détermination des mécanismes de recherche et de sauvetage des survivants, l'identification des corps, l'obtention d'échantillons d'ADN, ainsi que l'absence d’un centre de communication ».
Une autre source ajoute que « l'État n'a pas encore achevé son évaluation des ‘risques multiples’ , pour déterminer si l'explosion s'est produite naturellement ou s’il s’agissait d’un acte délibéré », en raison de « l'absence d'une salle d'opérations conjointe entre les agences de secours, la commission scientifique et les services de sécurité ».
La source souligne également qu’il aurait été possible d'améliorer la réponse à la catastrophe « si des équipes formées aux catastrophes dans tous les secteurs avaient été utilisées », d'autant plus qu’une « simulation en réponse au désastre provoqué par une explosion dans un établissement public », avait été organisée il y a quelques années. Mais la réponse confuse des services officiels devait rappeler celle qui avait marqué l'effondrement d’un bâtiment quartier Fassouh, dans la nuit du 15 décembre 2012, à Achrafieh, et la mort de 27 personnes cette nuit-là en raison du manque de coordination. »
La municipalité de Beyrouth assume-t-elle une part de responsabilité ?
Au niveau local, effectivement, la municipalité de Beyrouth assume une part de responsabilité dans l'explosion du port, avec d'autres administrations officielles. L'article 49 de la loi sur les municipalités précise qu’il relève de la responsabilité du conseil municipal « de surveiller le fonctionnement des services publics et de préparer des rapports sur l'avancement de leurs travaux à l’adresse des services compétents » (y compris le port de Beyrouth), comme le souligne André Sleiman, le représentant de l'organisation « Democracy Reporting International » au Liban, dans une interview exclusive. Il ajoute que la tâche « du chef de conseil exécutif de la municipalité de Beyrouth, à savoir son président, est de se concentrer sur les moyens de prévenir les incendies, les explosions et les fuites d'eau, d'organiser la lutte contre les incendies, de surveiller les zones de stockage des matières explosives et du carburant, d’en déterminer les quantités et la manière de les stocker en respectant les normes de prévention, conformément à l'article 74 de la même loi ».
André Sleiman souligne que le Fonds mondial pour la prévention des catastrophes et le relèvement (GFDRR) a déjà formé certaines des autorités municipales compétentes sur la façon de faire face aux catastrophes, dans le cadre du programme « Plan directeur global de résilience urbaine pour la ville de Beyrouth »[1] en 2018, avec un financement de 1,1 million de dollars, pour la formation sur la flexibilité et la résilience urbaine, mais cette formation « n'a pas été appliquée lorsque la catastrophe s'est produite ».
L'Ordre des ingénieurs et architectes mène une enquête sur les dommages
Les organisations et les syndicats ne sont pas restés passifs, face à la dévastation de Beyrouth. C’est ainsi que 1 200 ingénieurs de l'Ordre des ingénieurs et architectes se sont portés volontaires pour aider l'armée libanaise à recenser les bâtiments résidentiels et les ponts endommagés. L'ingénieur Firas Mortada, président de l'association des urbanistes de l'Ordre, a expliqué dans une interview exclusive que « 40 équipes d'ingénieurs ont aidé l'armée à enquêter sur les dommages causés aux installations, et qu'elles ont été réparties sur 97 zones, dont plus de 1 500 bâtiments ont été inspectés, sans compter l'inspection des ponts. Les informations correspondantes ont été téléchargées via une application mobile sur un serveur privé d’Internet géré par l'Ordre et l'armée, tandis qu’une salle d'opérations conjointe était établie entre eux », ce qui facilitera aux parties prenantes locales et internationales, la reconstruction des bâtiments détruits.
Que faire ?
Après la catastrophe, il devient impératif de travailler à « mieux reconstruire », selon la source bien informée citée plus haut, qui ajoute qu’il est « nécessaire, d'indemniser les victimes économiques et psychologiques à long terme de l'explosion, et d'aider à relancer l’économie, en soutenant les petites et moyennes entreprises émergentes et en recréant des emplois pour toutes les personnes qui ont perdu leur travail et/ou leur lieu de travail ». Et d’expliquer que « les bâtiments résidentiels, les centres gouvernementaux et privés, doivent être reconstruits selon des critères d’ingénierie plus rigoureux, étant plus vulnérables aux tsunamis et aux tremblements de terre ».
[1] https://www.gfdrr.org/en/comprehensive-urban-resilience-masterplan-city-beirut-phase-ii-curmcb-ii