Après la tragique explosion du 4 août qui a dévasté Beyrouth, nous nous sommes tenus debout, traumatisés au milieu des décombres d'une ville que nous aimons. Nous avons pleuré nos morts en même temps que les bâtiments en ruine et les rues autrefois animées. Il était difficile d’envisager un possible redressement après un tel cataclysme, mais au fur et à mesure que les besoins de la population pour des abris et pour des quartiers de nouveau habitables se faisaient de plus en plus sentir, la marge de souffrance diminuait. Une reconstruction rapide s’imposait d’autant qu’elle est susceptible de rendre justice aux victimes de cette destruction massive. D'un point de vue technique, nous voyons qu'une reconstruction verte de Beyrouth permet d’améliorer la vie de la population consécutivement à l'explosion.
En raison de la grave crise financière qui accable le Liban, un recours aux matériaux de construction importés et coûteux est supposé être réduit. Une stratégie de reconstruction verte accorderait la priorité à une réparation des éléments d’un bâtiment endommagé au lieu de les remplacer totalement. Cela contribuera sensiblement à réduire les besoins en termes de matériaux nouveaux tout en réduisant les coûts de réparation.
Les matières toxiques éventuellement présentes dans les vieux immeubles, comme l'amiante (dans les revêtements de sol, les tuyauteries, les toitures), ainsi que les lampes CFL qui contiennent du mercure, devraient être manipulées avec beaucoup de précaution. Le port de masques avec des filtres et des gants épais s’impose. Les espaces dans lesquels des matières toxiques auraient pu se trouver doivent être bien aérés, au moins un jour avant le début des travaux pour s'assurer qu'aucune composante présentant un danger pour la santé ne se trouve dans l’air. Les lampes CFL ainsi que tout équipement électronique inutilisable doivent être envoyés au recyclage.
De nombreux bâtiments ont subi des dommages structurels. Le bois ou l'acier recyclé peuvent représenter un substitut écologique lors des travaux de rénovation. Des poteaux électriques en bois peuvent, par exemple, être utilisés pour soutenir un toit s'ils sont en bon état. Sinon, l'acier recyclé est disponible en quantité et au même prix que l’acier non recyclé proposé par plusieurs fabricants.
Certains matériaux, en revanche, tels que le verre ne peuvent être qu’importés. Le choix d’un double vitrage contribuera à réduire les factures de chauffage et de climatisation des appartements, tout en assurant une isolation au bruit dans les quartiers bruyants. Ceci est particulièrement important dans les espaces climatisés où les baies vitrées sont exposées au soleil. Les façades ensoleillées peuvent être recouvertes de verre réfléchissant – même s'il s'agit d'un simple vitrage – ou de persiennes pour atténuer les besoins en chauffage et en climatisation.
Parallèlement, il est conseillé de choisir des peintures à base d'eau à faible teneur en COV (composés organiques volatils) plutôt que des peintures à l'huile qui sont à la fois toxiques et cancérigènes. Ces peintures sont fabriquées localement dans la même marge de prix et ont l’avantage d’assurer un environnement intérieur sain. Pour une finition respectueuse de l'environnement, les murs peuvent être recouverts d’un revêtement composé de terre crue et de paille pour la première couche, puis d’une petite couche de ciment pour consolider ce plâtrage, le rendant plus durable. La terre ainsi utilisée comme revêtement de mur est une technique utilisée dans les vieilles maisons à Beyrouth. Elle réduit la demande de ciment (trabeh) qui est coûteux et les travaux peuvent être effectués par les locataires eux-mêmes.
De nombreux systèmes mécaniques et électriques ayant été endommagés, il est important aussi de tenir compte de l'efficacité énergétique durant le processus de reconstruction et de recourir à l’énergie renouvelable. Dans ce contexte, il est possible d’installer des unités de climatisation qui permettent de contrôler la chaleur (inveters), des ampoules LED pour l’éclairage et des appareils électroménagers qui favorisent une économie d’énergie. Ces équipements contribuent à réduire la facture électrique, et fonctionnent même lorsque le courant est assuré par un générateur.
Avec l'augmentation des pannes d'électricité à l'échelle nationale, les systèmes d’énergie renouvelable deviennent un bon investissement, promu d’ailleurs par le gouvernement. Des panneaux photovoltaïques ou des chauffe-eau solaires peuvent être facilement installés dans les écoles et les hôpitaux reconstruits d’autant que la facture électrique de ces établissements est élevée. Les chauffe-eau solaires sont fortement recommandés également dans les immeubles qui ont suffisamment d'espace sur le toit. L’avantage de ces systèmes ne se limite pas à la réduction des factures d’électricité. Ils favorisent la résilience de la population et sa capacité à s’adapter à d’éventuelles pannes futures au niveau du réseau électrique central.
Parmi les conseils avancés dans cet article, certains présentent un coût supplémentaire, qu’il est difficile certes de justifier, compte-tenu de la crise économique dans le pays. Cependant, si on tient compte de la durée de vie de ses installations, on se rend à l’évidence qu’ils permettent à long terme de faire des économies. Les coûts les plus élevés pourraient également être réduits si les fonds d’aide à la reconstruction couvrent la réparation des éléments préexistants. Le mécanisme de cette compensation financière doit être cependant précisé le plus tôt possible, afin de permettre aux propriétaires de prendre la décision adéquate au sujet des montants à investir dans les choix des bons matériaux.
Nous espérons que la reconstruction de Beyrouth sera rapide et adaptée aux besoins et aux moyens financiers de la population. Ceci est essentiel pour que justice soit rendue à la population affectée par le drame.