Les combattants de la guerre civile écrivent l’histoire du Liban dans un message de paix

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Posté sur déc. 01 2016 10 minutes de lecture
Dans une démarche qui vise à réduire les distances historiques entre les générations, le site électronique de l’association « Combattants pour la paix » a décidé de donner la parole à ceux qui ont participé à la guerre civile.
Il a voulu de cette manière écrire une page de l’histoire du Liban qui continue à constituer un sujet de division entre les différentes parties libanaises. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été jusqu’à présent impossible de publier un manuel d’histoire unifié.

Cette expérience, qui est en harmonie avec l’époque moderne que nous vivons, revêt une grande importance dans la mesure où elle porte sur un sujet particulièrement délicat et sensible pour le Liban et la région, à savoir la guerre et la paix civile. Elle intervient à un moment particulier où de nombreux pays arabes traversent une guerre civile. Dans ce contexte précis, qu’une personne ayant participé à une guerre civile puisse raconter son expérience et les leçons qu’elle en a tirées, surtout quand elle se transforme de « combattant de la guerre » en « combattant de la paix » est de la plus haute importance. C’est pourquoi, le fait de réunir des témoignages audiovisuels de combattants venus de tous les courants et ayant des allégeances différentes permet de définir l’histoire de la guerre, ainsi que les contours de l’avenir, surtout si cette expérience se renouvelle sans que les parties concernées n’aient tiré les leçons des événements passés.
« Arriver au savoir est facile avec la multiplication des moyens d’informations, mais il est bien plus difficile d’atteindre la vérité ». C’est par cette phrase que le président de l’association « Combattants pour la paix » Ziad Saab, qui est lui aussi un ancien combattant, présente cette expérience unique. Il précise qu’il travaille avec tous les Libanais dans leur grande diversité pour que chacun puisse exposer son expérience, dans le but de parvenir à se transformer « de combattant de la guerre en combattant de la paix ». Il ne se contente pas de recueillir les témoignages, il cherche aussi à en faire profiter les jeunes. Il organise pour cela des rencontres avec des élèves de différentes écoles. En un an et demi, 85 rencontres de ce type ont été organisées et elles ont pu réunir 6.000 élèves. Il mise aussi sur ce site web qui vise à attirer le plus grand nombre de Libanais, tout en permettant de partager des expériences similaires, afin d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé.
Ce site, (http://fightersforpeace.org/) qui a été précédé par l’ouverture de plusieurs comptes appartenant à l’association sur les réseaux sociaux, a pour objectif de briser le barrage existant entre les anciens combattants et les citoyens libanais. Ces derniers pourront ainsi, à travers ces témoignages, apprendre l’histoire de la guerre racontée par ceux qui l’ont faite. De plus, le site vise à enrichir cette expérience et à élargir le cercle de ceux qui la connaissent, non seulement au Liban mais aussi au sein de la diaspora ainsi que dans les pays arabes. Christina Forch, responsable du contenu du site qui a été créé avec l’appui du projet de « construction de la paix » dans le cadre du programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) et de l’ambassade de Norvège au Liban, espère d’ailleurs que cette expérience servira d’encouragement aux pays déchirés actuellement par la guerre à la reproduire. Selon elle, cette tribune constitue une présentation de l’association et de ses « 25 combattants » et elle aspire à devenir dans des étapes ultérieures une tribune ouverte à tous et en particulier à ceux qui souhaitent raconter leurs souvenirs de la guerre civile, qu’ils aient été des combattants, des volontaires, des secouristes ou des citoyens ordinaires, indépendamment de leurs appartenances politiques, régionales ou religieuses.
« Ce projet est appelé à évoluer, ajoute encore Christina Forch. Nous voulons qu’il devienne un outil pour écrire la mémoire collective de la guerre civile au Liban, en l’absence d’un manuel d’histoire unifié. Et cela, à travers le fait d’exposer des points de vue et des versions différentes ». Elle a toutefois précisé qu’il ne s’agit pas de faire la promotion de la violence, mais de raconter les expériences pour appeler au changement.
De son côté, Ziad Saab estime que la richesse de cette expérience est justement dans le fait qu’elle reflète des points de vue différents, en raison des divergences entre les combattants eux-mêmes, alors qu’il est impossible de publier un manuel d’histoire unifié parce qu’il exige justement une logique unifiée pour l’écrire en toute neutralité. Il a toutefois rappelé que les témoignages des combattants de la guerre civile et les parcours différents qu’ils ont vécus après la fin de la guerre ne figureront pas dans un manuel d’histoire quel qu’il soit.
Ziad Saab ne cache pas le fait que ce site place l’association devant un grand défi : celui de casser l’image banale du combattant ainsi que les préjugés qui l’accompagnent. Il ajoute qu’après avoir dépassé cette première étape, les jeunes adressent des messages positifs aux anciens combattants. Ces messages touchent énormément les anciens combattants, beaucoup plus que les commentaires des personnes plus âgées. Parce qu’ils leur donnent le sentiment d’avoir réussi à expliquer aux jeunes la réalité de ce qu’ils ont vécu et les raisons qui les avaient poussés à prendre les armes et à tuer d’autres combattants, dans un souci de leur éviter de se lancer dans une aventure similaire.
« En dépit de cette volonté de faire profiter les jeunes de notre expérience, nous ne considérons pas que nous détenons la vérité, explique Ziad Saab. Nous voulons simplement les pousser à la rechercher eux-mêmes, en semant le doute dans leurs esprits sur les versions uniques qu’ils peuvent recevoir. Nous voulons éveiller leur curiosité pour qu’ils aient eux-mêmes envie de partir en quête de la vérité. Nous y parvenons dans une certaine mesure grâce à nos contacts directs avec les jeunes ou à travers les réseaux sociaux et maintenant à travers ce site web.
Face à la division verticale de la société libanaise ces derniers temps, que ce soit sur le plan partisan ou confessionnel, ce site a constitué, selon Ziad Saab, une sonnette d’alarme adressée à de nombreuses parties libanaises et en particulier aux écoles. Celles-ci ont d’ailleurs commencé, par le biais de leurs directions, à contacter l’association pour organiser des rencontres avec les élèves. Des rencontres se sont ainsi tenues dans plus de 85 établissements scolaires en 18 mois, alors que le plan initial ne prévoyait que 35 rencontres pendant cette période.
Pour Christina Forch, il y a plusieurs façons d’écrire l’histoire, mais celle qui se base sur la reproduction des expériences personnelles par le biais des témoignages de ceux qui les ont vécues, notamment s’ils sont enregistrés visuellement et auditivement, a un impact très important dans les esprits et ceux des jeunes en particulier. C’est donc ce que cherche à offrir la tribune des combattants pour la paix. « Ces combattants s’en iront dans quelques années, affirme-t-elle, mais leurs témoignages constitueront la mémoire de ce pays et ils se transmettront aux générations futures pour que celles-ci en tirent les leçons pour l’avenir. La responsable du contenu du site souhaite aussi que cette expérience ne se limite pas uniquement aux Libanais mais s’élargisse au monde arabe et en particulier aux pays de la région qui sont actuellement secoués par des guerres civiles où les fils d’une même nation s’entretuent.
Christina Forch affirme que cette tribune sera ouverte à tous, quelles que soient les orientations et qu’elle ne sera pas tendancieuse. Par conséquent, les expériences qui y seront racontées seront basées sur des histoires personnelles, loin des accusations lancées entre partis, responsables politiques ou religieux. L’objectif est donc d’éloigner la violence qui ne peut en aucun cas constituer une solution aux conflits.
Ziad Saab développe la même idée, assurant que « la divergence dans les points de vue ne modifie pas le message principal que nous voulons adresser à la société ». « Nous, dans cette association, nous avons commencé par être un noyau de cinq personnes. Nous sommes aujourd’hui 25 et nous représentons un exemple clair de ces divergences. Nous nous sommes combattus les uns les autres, chacun à cause de ses appartenances partisanes ou de ses croyances et nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’une même idée, celle du refus de la violence. Cela ne signifie pas que nous avons les mêmes visions et opinions politiques. Ce que nous voulons dire aux jeunes et à la société en général, c’est que les divergences ne sont pas nécessairement des conflits et que quelles que soient leur importance, il y a encore beaucoup de points sur lesquels nous pouvons nous entendre et qui doivent nous éloigner de la guerre et de la confrontation. Cela s’applique parfaitement à la situation actuelle », ajoute le président de « Combattants pour la paix ».


Il y a trois ans, la ville de Tripoli a été déchirée par des affrontements entre les communautés sunnite et alaouite. Ces accrochages ont réveillé dans les esprits le spectre de la guerre civile qui s’est déroulée entre 1975 et 1990. Le Liban a eu un moment peur de voir ces combats s’étendre à d’autres régions du pays, plongeant celui-ci dans une nouvelle guerre civile. C’est alors qu’un groupe d’anciens combattants dans des factions politiques et religieuses adverses ont choisi de se réunir et de marquer leur ferme opposition à la violence et l’hostilité. C’est comme cela qu’est née l’association « Combattants pour la paix ».
Cette association, la seule au Liban qui regroupe d’anciens combattants appartenant à des horizons politiques et religieux différents, ne cherche pas seulement à faire participer les jeunes et les activistes de la société civile à son action, elle veut aussi intégrer dans ses rangs le plus grand nombre possible d’anciens combattants pour parvenir à une paix civile durable et réussir une réconciliation véritable au Liban. « Les combattants pour la paix » affirment aussi qu’ils souhaitent dépasser les frontières du Liban pour élargir leur expérience aux pays voisins qui traversent une guerre civile et connaissent une violence terrible, comme la Libye, l’Irak et la Syrie. Comme les combattants d’hier sont devenus militants pour la paix, ils visent à montrer à travers leurs témoignages et leurs expériences aux combattants actuels qu’il leur est possible de trouver des voies pour sortir du cercle vicieux de la violence dans lequel ils sont enfermés, et trouver la paix intérieure qui leur permettra de pacifier leurs sociétés.
L’action de cette association dont l’objectif est de bâtir la paix, la cohésion sociale et la réconciliation se fait sur six axes :
- La visite des écoles et des camps de réfugiés ainsi que d’autres établissements pour organiser des débats et des échanges directs.
- La création d’un musée électronique regroupant les témoignages des anciens combattants et contribuant ainsi à forger une mémoire collective.
- L’établissement de contacts directs avec les collectivités locales à travers une participation à des activités choisies.
- La mise en place d’un espace sûr de réflexion, de méditation, de soutien moral et social aux anciens combattants.
- Offrir des formations autour de la construction de la paix et de la réconciliation.
- Établir des contacts avec d’anciens ou d’actuels combattants dans d’autres pays.

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