La jeunesse palestinienne au Liban : quelqu’un sonnera-t-il le tocsin ?

salam wa kalam website logo
trending Tendance
Posté sur déc. 01 2016 9 minutes de lecture
Qu’un jeune palestinien de 20 ans, aveugle, en arrive à essayer d’émigrer d’une manière illégale en s’aventurant dans un voyage risqué en dit long sur la détresse et l’impasse dans laquelle se trouvent les jeunes palestiniens réfugiés au Liban.
L’handicap de Chadi Saïd, qui est un obstacle supplémentaire, ne le pousse pourtant pas à renoncer à l’idée d’émigrer. Pour lui, « tout est mieux que de vivre dans l’enfer libanais ».
Chadi a été diplômé de l’Université libanaise de Saïda en 2012. Aussitôt, il s’est mis à la recherche d’un emploi. Ni son handicap ni son statut de réfugié palestinien ne pouvaient constituer un frein à ses ambitions. Mais rapidement, les déceptions se sont succédé, d’autant qu’il ne trouvait pas de travail.
Malgré cela, le jeune homme n’a pas baissé les bras. Il a essayé de monter un projet modeste en dehors des frontières du camp de Aïn el-Héloué où il habite. La hausse des loyers l’a toutefois poussé à abandonner son idée.
Il n’a pas hésité à effectuer plusieurs formations pour qu’il ne reste pas prisonnier de ses conditions difficiles. Il a frappé à toutes les portes à la recherche d’un emploi honnête pour subvenir à ses besoins. En vain.
Chadi n’est pas un cas isolé. Le rêve de nombreux jeunes palestiniens au Liban se réduit aujourd’hui à l’émigration vers n’importe quel pays qui leur garantisse une vie digne.
Selon une étude menée par la Fondation palestinienne pour les droits de l’homme (Chahed)(1), 70,3 % des jeunes âgés entre 18 et 20 ans émigreront si l’opportunité se présentait. En discutant avec les jeunes palestiniens du Liban, on peut déceler de la colère et de l’amertume. Ces derniers estiment que depuis le premier exode de 1948, ils paient le prix de lois libanaises iniques qui les privent de la majorité de leurs droits civils.
Ces jeunes ont hérité de leurs parents un legs difficile à porter qui les empêche d’exercer plus de 72 métiers et professions, d’être propriétaires au Liban ou même de construire dans les camps. Un legs qui limite leurs déplacements que ce soit à travers les barrages dressés à l’entrée de leurs camps ou à travers le contrôle continu de leurs pièces d’identité, ce qui les marginalise sur les plans social et économique.
De plus, la xénophobie exercée à leur encontre par les Libanais et le sentiment d’infériorité renforcent leur isolement au sein de leur communauté.
Les lois, les décisions et les décrets libanais arbitraires ont un impact direct sur la jeunesse, d’autant que la moitié de la population palestinienne au Liban a moins de 25 ans. La majorité d’entre eux ont confié – d’après un échantillon interrogé pour les besoins de cet article – que leur principale angoisse reste le manque d’opportunités de travail quel que soit leur niveau d’éducation. À cela s’ajoute l’exploitation professionnelle dont ils sont souvent victimes quand ils trouvent un emploi, comme le fait de leur accorder de bas salaires ou de les priver de la sécurité sociale et sanitaire dont bénificient les Libanais.
Le taux de chômage élevé des jeunes et le niveau de pauvreté qui atteint 65 %, selon une étude réalisée par l’Université américaine de Beyrouth et l’Unrwa(2), favorisent la prolifération de fléaux sociaux au sein des camps, lesquels se transforment au fil du temps de creuset de l’identité palestinienne en un milieu réceptif aux conflits et autres turbulences, comme le fanatisme religieux, la prolifération des armes et de la drogue, la violence domestique, la pédophilie…
Malgré les chiffres contradictoires concernant le décrochage scolaire dans les écoles relevant de l’Unrwa, celui-ci constitue un phénomène répandu et inquiétant qui reflète la déprime face à l’absence d’opportunités ressentie par l’élève lorsqu’il voit ses aînés au chômage ou en train d’exercer de petits travaux qui n’ont aucun lien avec leur spécialisation.
Les jeunes sont unanimes : l’État libanais est en grande partie responsable de la situation difficile dans laquelle ils se trouvent, laquelle s’est aggravée avec le déplacement des Palestiniens de Syrie au Liban et ses retombées économiques et sociales. Ils affirment toutefois que l’autorité officielle palestinienne se dérobe elle aussi à ses responsabilités vis-à-vis des jeunes palestiniens et ne leur accorde pas un rôle actif au sein de la société locale ni ne les implique dans la prise de décision. Au contraire, elle œuvre souvent à exploiter les énergies des jeunes pour alimenter les dissenssions entre les organisations présentes dans le camp.
Les jeunes ne se privent pas de pointer du doigt l’Unrwa, pour « avoir failli à remplir le rôle pour lequel elle a été créée », plus précisément à l’ombre de la réduction continue et croissante de ses services.
« Être réfugiée ne signifie pas être un cadavre », dit Rouba al-Hamad qui estime que son statut de réfugiée constitue pour elle une source de force et de défi pour aller de l’avant malgré toutes les difficultés qu’elle rencontre.
Malgré cette situation assombrie, de nombreux jeunes palestiniens essaient de trouver un meilleur horizon pour une vie digne. Cela s’est traduit récemment par de nombreuses initiatives organisées dans les camps, et les rassemblements avec pour objectif d’améliorer la situation des jeunes, renforcer leurs capacités et leurs talents, consolider leurs capacités dans différents domaines et leur trouver des opportunités de travail.
Les jeunes misent sur ce genre d’initiatives qui, bien qu’elles soient modestes, constituent une échapattoire. Ils appellent les associations de la société civile à soutenir de telles démarches et à investir dans les jeunes à travers des projets qu’ils réaliseraient pour renforcer leurs capacités et leur trouver des débouchés.
Les rêves des jeunes palestiniens au Liban sont modestes comparés à leurs camarades d’autres nationalités. Ils varient en fait entre l’enseignement, le travail et la fondation d’une famille. Des rêves qui paraissent normaux, mais qui sont impossibles à réaliser au Liban même pour les plus optimistes d’entre eux. « Pour que le regard des jeunes ne soient pas pointé vers la mer », comme le souligne Hiba Yassine, il faudrait que toutes les parties concernées remédient à cette triste réalité avant que « cette bombe à retardement n’explose, parce que lorsqu’on a faim, on devient irrationnel », comme l’affirme Moaz Khalil.
Les responsables peuvent ignorer cette réalité douloureuse sur le court terme, mais à long terme, ils vont certainement faire face à des conséquences irrémédiables.
Les success story des jeunes palestiniens au Liban paraissent différentes comparées à celles de leurs semblables d’autres nationalités, vu les circonstances difficiles dans lesquelles ils vivent. Ils n’en reste pas moins qu’il s’agit d’histoires de défi et de persévérance pour un lendemain meilleur… En voici deux exemples :

Rouba Rahmé
C’est une jeune palestinienne déplacée du camp de Yarmouk en Syrie, qui a laissé son empreinte sur ses semblables du camp de Aïn el-Héloué. Rouba, la souriante et l’optimiste, a consacré son temps et ses efforts au service des jeunes en essayant de les sortir de leur désarroi.
Rouba a créé une troupe artistique pour enseigner la dabké, le théâtre et le chant, accueillant différents talents jeunes. Pour s’entraîner, ceux-ci se déplaçaient entre la maison de Rouba dans le camp et la corniche maritime de Saïda, avant de s’installer dans l’Association pour le développement de l’homme et de l’environnement où travaille Rouba en tant que volontaire.
Rouba cherche à trouver un financement pour sa troupe, dans une tentative de sauver le plus grand nombre de jeunes. L’énergie de Rouba et son attitude positive ont contribué à améliorer la vie de plusieurs jeunes hommes et femmes. D’aucuns ont remplacé le canif dont ils ne se séparent pas par le dialogue. D’autres ont arrêté de fumer. Les familles de certains de ces jeunes demandent à Rouba de les aider à résoudre les problèmes de leurs enfants.
Bien que la famille de Rouba ait émigré, cette dernière se charge financièrement, non seulement de son petit frère, mais aussi des frais d’enseignement de l’un des jeunes inscrit à l’école technique de Saïda, parce que comme elle le souligne, elle veut que les jeunes comptent sur eux-mêmes. Aujourd’hui, elle cherche, avec un groupe, à créer un espace de liberté pour les jeunes de Aïn el-Héloué, loin des divisions, qui se substituerait au forum relevant de l’Association pour le développement et regroupant des forces vives culturelles et artistiques. Elle rêve d’aider le plus grand nombre possible de jeunes avant de réaliser son rêve le plus grand : se réunir avec sa famille sous un même toit.
 
Rouba Rahmé devant une fresque qu’elle a peinte lors du forum à l’Association pour le développement de l’homme et de l’environnement à Saïda.

Ahmad Halabi

Ahmed Halabi, habitant le camp de Chatila, nous accueille dans son salon de coiffure situé derrière la Cité sportive. Il affiche un large sourire qui en dit long sur la fierté qu’il ressent face à son exploit. Cet homme a pris son destin en main pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Son parcours difficile a commencé lorsque sa mère l’a abandonné avec sa sœur et son père, alors qu’il n’avait pas encore ses 3 ans.
Privé de l’attention de ses parents, Ahmed a abandonné l’école alors qu’il était en classe de neuvième. Il s’est lancé dans la vie active se déplaçant entre plusieurs salons de coiffure dans différentes régions de Beyrouth. Son périple était jalonné de délinquance, de prison, d’alcool et de drogue. Jeune homme, il ne s’est résout à quitter les dédalles de cet univers sombre qu’après le choc qu’il a subi avec la mort de son amie par overdose. Il s’est mis alors à écrire et à chanter des airs de rap pour s’exprimer, tout en continuant à améliorer ses talents dans le domaine de la coiffure. Il y a près de deux mois, il a inauguré le salon Moody.
Ahmed a choisi de rester en dehors du camp pour fuir, comme il le confie, l’atmosphère qui pourrait l’amener à replonger. Surnommé le pharaon du rap, il est devenu un exemple à suivre pour de nombreux enfants de la région où il habite, que ce soit à travers son répertoire musical ou son travail en tant que coiffeur… « Je veux rêver comme le reste des gens, je veux améliorer le salon Moody et ouvrir des branches, je veux retourner à l’école pour apprendre à lire et à écrire l’arabe et je veux avoir ma chance dans le monde du rap », nous lance Ahmed en guise d’au revoir.
 
Ahmed devant le salon Moody, derrière la Cité sportive.
A+
A-
share
Voir également
mai 07, 2020 par Nour Melli, Coordinateur médiatique au Laboratoire Médiatique SHADDA
mai 07, 2020
par Nour Melli, Coordinateur médiatique au Laboratoire Médiatique SHADDA
mai 07, 2020 par Nathalie Rosa Bucher, Écrivain et Chercheuse
mai 07, 2020
par Nathalie Rosa Bucher, Écrivain et Chercheuse
mars 24, 2021 par Iman Abed, Journaliste
mars 24, 2021
par Iman Abed, Journaliste
Les plus vues ce mois-ci
décembre 10, 2024 par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 10, 2024
par Zahraa Ayyad, Journaliste
décembre 07, 2024 par Naya Fajloun, Journaliste
décembre 07, 2024
par Naya Fajloun, Journaliste
Charger plus