Les enfants mineurs au Liban : abus et violations pour détruire la protection

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Posté sur déc. 01 2016 9 minutes de lecture
L’enfant mineur couvert par la loi (la loi sur la protection des mineurs délinquants ou soumis à un danger) est celui qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans au moment où il commet un crime puni par la loi, ou au moment où il est soumis à un danger.
Wassim (il s’agit d’un nom d’emprunt) a pris l’habitude de vendre des mouchoirs en papier à un croisement principal à Beyrouth. Ce job modeste ne l’empêche pas pourtant d’être menacé par le propriétaire d’une échoppe voisine. « Si tu restes là, je vais t’envoyer en prison ! », lui disait-il en permanence. Mais l’enfant qui avait trouvé que ce lieu lui permettait de vendre plus de mouchoirs ne voulait pas tenir compte de cette menace.
Un jour, Wassim a vu arriver sur les lieux un agent des Forces de sécurité intérieure. Il a compris que celui-ci venait mettre en pratique la menace du commerçant. Il a voulu prendre la fuite, mais le policier a été plus rapide que lui. Le garçon venait à peine de réaliser ce qui lui arrivait qu’une gifle violente le faisait tomber. Le policier l’a aussitôt relevé et le prenant par le cou l’a entraîné dans une rue adjacente. « Je vais t’emmener au commissariat espèce de voleur ! », lui a-t-il dit avant de l’insulter et de lui donner une seconde gifle. Puis il est parti en hurlant à l’adresse du garçon : « Si je te revois ici je te fous en prison ».
A partir de l’histoire de Wassim, on peut facilement imaginer un scénario dans lequel le policier emmène le garçon au commissariat pour l’interroger sur la base d’une accusation quelconque. Le garçon serait ensuite déféré devant le tribunal et il serait condamné à une peine de prison qu’il purgerait soit dans l’aile réservée aux mineurs à la prison de Roumié, soit dans le centre de redressement de Fanar. Il se peut aussi que le juge décide de mesures qui ne priveraient pas le garçon de la liberté. Pourtant, le magistrat aurait pu aussi estimer que l’enfant mineur subit des menaces et donc est soumis à un danger et il aurait pu décider de mesures de protection.
Le mineur arrêté passe donc au Liban par plusieurs situations dans différentes directions, définies par la loi 422 que le législateur a voulu intituler : la loi pour la protection des mineurs, qu’ils soient en infraction ou soumis à des dangers. Toutefois, ces voies empruntées sont sujettes à des abus et des violations, dont certains sont contraires à la loi, d’autres cas exigent qu’on leur mette un terme et d’autres encore nécessitent des amendements et de nouvelles mesures.
 
 

Au commissariat…

« Le mineur en infraction avec la loi doit bénéficier d’un traitement juste et humain… Les mineurs ne peuvent pas être détenus avec les adultes ».
Les mesures prises à l’encontre d’un mineur en infraction avec la loi commencent par le commissariat, menottes aux poignets. Cette démarche est toutefois en contradiction avec la Convention sur les droits de l’Enfant, selon l’ancienne ministre Mona Affeiche, qui est aussi la présidente de l’association « Père Afif Osseirane ». Cette association contribue à réhabiliter les mineurs emprisonnés à Roumié. Mais les abus ne se limitent pas à cela. Lors de son arrestation, le mineur reçoit une volée de coups et même plus, dans la rue ou au commissariat, selon le président de la commission des mineurs et des droits de l’enfant à l’Ordre des avocats, Omar Iskandarani. Ce dernier affirme que les dispositions de la loi 422 s’appliquent à tous les mineurs au Liban, indépendamment de leur nationalité. Mais une activiste qui répertorie les exactions contre les réfugiés syriens affirme, au contraire, que certains abus touchent les mineurs syriens arrêtés. L’enfant mineur syrien est donc traité comme le maillon faible, d’abord par le policier qui l’arrête puis par ses codétenus en prison.
Au commissariat, la loi interdit l’interrogatoire du mineur sans la présence d’un assistant social, pour le protéger des tentatives de violences ou d’intimidation. La loi donne aussi un délai de six heures au maximum pour la convocation de l’assistant social. En attendant l’arrivée de celui-ci, le mineur est emmené dans la chambre de détention où se trouvent aussi des adultes arrêtées pour de multiples raisons, bien que la loi interdise un tel mélange, selon Me Iskandarani. Les violations de la loi ne se limitent pas à cela. Selon Mme Affeiche, il arrive que les assistants sociaux ne viennent pas dans les six heures prévues légalement en raison de leur nombre réduit. Dans ce cas, il arrive que le responsable de l’enquête décide de ne pas appliquer la loi et entame l’interrogatoire du mineur seul. Mais selon l’ancienne ministre, le nombre réduit d’assistants sociaux ne justifie pas cette violation de la loi, puisque celle-ci précise dans l’article 47 du Code de procédure pénale que chaque personne arrêtée a le droit de contacter un membre de sa famille et de choisir un avocat pour qu’il assiste à l’interrogatoire. Selon les procédures normales, dès que le juge achève l’interrogatoire, il doit contacter le procureur général. Mais l’absence de procureurs spécialisés dans les affaires des mineurs signifie encore plus de retard dans les mesures. Il faut encore signaler le fait que la loi n’exige pas la présence d’un assistant social à cette étape de la procédure, alors que les associations pour la protection des mineurs l’exigent.

Au palais de justice…

« Les mesures pour la poursuite de l’enfant mineur, son interrogatoire et son procès sont soumises à des règles spéciales visant à éviter autant que possible les procédures judiciaires ».
Le mineur est emmené du commissariat au palais de justice, si le procureur le décide. Il est alors placé en détention provisoire. Celle-ci est fixée par la loi à 48 heures, renouvelables pour 48h aussi, si un complément d’enquête est décidé. A cette étape, le mineur est détenu avec les adultes, dans une salle bondée de prisonniers accusés de crimes divers. Il s’agit encore d’une violation de la loi, qui peut s’aggraver encore plus lorsque la période de détention provisoire est dépassée, selon Mona Affeiche.
L’étape suivante entraîne le mineur devant le juge d’instruction. Selon la loi, tout détenu a droit à un avocat à cette étape de la procédure. Si la famille du détenu ne parvient pas à en assurer un, le juge doit en commettre un d’office, sans avoir à respecter la spécialisation. Pour cette raison, la commission de la protection des mineurs et celle du soutien juridique au sein de l’Ordre des avocats élaborent des listes d’avocats spécialisés et les remettent aux juges.
Mais en réalité, depuis son arrestation jusqu’à son arrivée devant le juge, en passant par l’étape de l’interrogatoire préliminaire au commissariat, jusqu’au soutien d’avocats non spécialisés ou choisis à la hâte, le mineur est soumis à des mesures prises par des personnes non qualifiées ou débordées. Cette étape s’achève par son transfert devant le juge des mineurs, sachant que dans certains cas précis, notamment lorsque le mineur participe à une infraction avec des adultes, c’est la justice ordinaire qui tranche. D’ailleurs, ce type de cas traîne longtemps avant qu’une décision ne soit prise. Ces cas soulèvent beaucoup de débats et violent finalement le principe du secret de l’instruction. Mona Affeiche déclare ainsi : « L’adulte peut réclamer que le procès soit public et le tribunal est obligé d’accepter sa demande. Par conséquent, le principe du secret de la procédure pour le mineur peut ne pas être respecté. Ce qui constitue une violation flagrante de la loi.
 
En prison…
Au bâtiment consacré aux mineurs à la prison de Roumié, les détenus sont divisés en deux : ceux qui ont été jugés et ceux qui attendent leurs condamnations. Le retard dans les procès couvre aussi ceux mettant en cause des mineurs, selon Me Iskandarani. Mais le retard a des conséquences plus graves sur les enfants mineurs, alors que l’esprit de la loi est de chercher à les protéger. Avec l’augmentation du nombre de détenus, surtout en 2016, 15 mineurs sont enfermés dans une salle dans de mauvaises conditions humaines. Bien que les rapports sur ce sujet n’aient pas encore été établis, Mme Affeiche estime que la hausse des arrestations est due aux Syriens. L’augmentation du nombre de détenus syriens au cours des dernières années reste dans les généralités et n’évoque pas la diversité des accusations et les différences dans les dossiers. Dans un relevé classé selon les accusations, qui figure sur le site du ministère de la Justice, les dossiers présentés en 2014 s’élèvent à 2.882, dont 550 portent sur les papiers d’identité, 50 sur les vols, 152 concernent une présence illégale, 83 des troubles à l’ordre public, 46 le nettoyage des chaussures, 128 la vente illégale dans la rue, etc.
Au bâtiment des mineurs à Roumié, aucune distinction n’est faite entre les toxicomanes et ceux qui sont poursuivis pour vol ou encore pour meurtre. Ce qui est en contradiction avec le principe de la nécessité de tenir compte de l’intérêt de l’enfant pour le protéger des déviations.
En principe, selon la loi, les détenus doivent suivre des sessions de réhabilitation sociale, sous la supervision d’équipes spécialisées. Mais cette activité est limitée dans le temps et s’arrête chaque jour à midi. Selon Mona Affeiche, les équipes spécialisées chargées de cette mission sont soumises aux règlements de la prison de Roumié et elles doivent donc quitter les lieux à midi pile ! Une fois les équipes spécialisées parties, la responsabilité des mineurs détenus revient aux FSI. Me Iskandarani affirme que le bâtiment des mineurs est désormais utilisé comme un lieu normal de détention en raison de l’étroitesse des lieux consacrés aux prisonniers adultes. Mais Mme Affeiche dément cela. Entre ces deux positions, nous avons recueilli des éléments qui confirment la violation de la loi :
Dans la matinée, durant la présence des équipes d’assistance sociale, un groupe « de prisonniers réhabilités » est aussi présent. Il est chargé par l’administration carcérale de veiller sur les mineurs. Après 12h, lorsque les équipes sociales s’en vont, « les prisonniers réhabilités » restent avec les mineurs. Ce qui pourrait favoriser de nombreuses violations de la loi, dont notamment les frictions entre les adultes et les mineurs et peut-être le viol sur mineur ! L’ancienne ministre ne reconnaît pas ouvertement l’existence de ces viols présumés, et se contente de poser des questions qui vont dans ce sens. Elle demande ainsi qui garantit le fait que la cellule des adultes reste fermée la nuit et qui surveille le comportement des détenus ? Est-il d’ailleurs permis qu’un prisonnier adulte surveille un mineur ?
Face aux réserves de Mme Affeiche, Me Iskandarani confirme l’existence de situations de viols sur mineurs et de violences exercées contre eux par des détenus adultes. Il s’appuie dans ses affirmations sur des déclarations d’un juge spécialisé dans les dossiers des mineurs…

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