Y contribue aussi le désagrégement familial et social qui accompagne les situations de guerre. De surcroît, l’exil marginalise les réfugiés et pousse beaucoup d’entre eux à préférer, à la poursuite de leur séjour dans un pays d’accueil devenu hostile, l’aventure d’une traversée en mer vers des rivages plus sûrs, matériellement et moralement.
Il ne fait pas de doute que le racisme dont certains Libanais font preuve à l’égard des Syriens réfugiés dans leur pays, et la discrimination qui les frappe dans tous les domaines, engendre en eux une espèce d’aversion du pays d’accueil, sans parler d’une certaine méfiance réciproque allant jusqu’à l’hostilité.
Scène de la vie des camps de la Békaa :
• Mona (15 ans) vient d’Idlib. Sa mère, qui s’est remariée, l’a abandonnée avec ses demi-frères adultes. Ces derniers l’ont déjà mariée plus d’une fois, pour toucher sa dot (mahr), la forçant pour ainsi dire à cohabiter avec des quasi-inconnus. Elle a depuis réintégré le camp. Son cas a été soumis à une ONG défendant la femme des violences domestiques. L’association a accepté de l’accueillir deux mois durant dans un foyer, mais s’est heurtée à un obstacle : la nécessité d’obtenir une autorisation légale pour pénétrer dans le camp et assurer un suivi.
• Raja (16 ans) vient d’Alep. Laissée à elle-même par sa mère contrainte de travailler en dehors du camp, elle succombe avec d’autres camarades de son âge à la tentation de la drogue, laquelle lui est fournie par un « pusher » libanais. Sur plainte de la mère auprès du président de la municipalité de la localité où se trouve le camp, l’homme est arrêté et passe un mois en prison. La mère de l’adolescente, par prudence, la force à l’accompagner sur son lieu de travail, où elle la séquestre dans une salle. Mais il est trop tard pour la malheureuse Raja, qui pique d’effroyables crises de manque. À l’initiative de travailleurs sociaux, Raja est aujourd’hui dans un foyer pour toxicomanes, mais ses défenses sont fragiles et rien ne garantît qu’à l’issue de sa cure, elle ne flanchera pas devant de nouvelles sollicitations.
• Un incendie a détruit, un jour, une partie d’un grand camp de la Békaa-Ouest. Nous avons donc décidé d’organiser un chantier de travail pour des enfants sous le choc, dans le centre scolaire du camp. Le matin du premier jour, en attendant l’arrivée du gardien, une centaine de jeunes s’attroupent et quelques-uns d’entre eux, tout à leur inconscience d’enfants, grimpent sur le grillage bordant le centre. Ils en seront chassés à coups de bâton. Au terme d’une discussion animée, le gardien nous chasse à notre tour, sans autre forme de procès. Nous choisissons de nous retrouver dans le camp de Bar Élias. Toutefois, nous nous sommes officiellement plaints, photos à l’appui, de la rigueur et de l’arbitraire du gardien, mais en général, ses collègues n’ont pas de compte à rendre et l’on est à la merci de leur humeur du moment.
• Mohand (5 ans), va pour la première fois à l’école du camp. Il porte fièrement son cartable. Mais une fois rentré sous sa tente, ses voisins entendent sa mère le rabrouer durement et le frapper. À une de ses voisines, institutrice de classe élémentaire qui lui demande ce qui ne va pas, la mère répond : « Cela fait deux heures que j’essaie de lui faire rentrer la leçon dans sa tête, en vain ». Vérification faite, la bonne voisine constate que l’institutrice du camp lui avait donné à retenir, au premier jour de classe, la moitié des lettres de l’alphabet ! Indignée, elle explique à sa mère qu’elle n’a le droit ni de battre son fils, ni de lui demander de retenir sa leçon. Elle prend contact ensuite avec le directeur de l’école du camp, pour lui demander de vérifier les aptitudes pédagogiques de l’institutrice.
La franchise avec laquelle l’Onu reconnaît l’insuffisante attention qu’elle accorde aux réfugiés est peut-être une vertu de plus dans son bilan d’action humanitaire, mais cet état de fait exige d’être analysé avec plus de profondeur. Certaines situations frisent l’inhumain et doivent faire l’objet d’un suivi personnel. Elles ne sauraient être abordées dans un esprit purement fonctionnel, par le biais de rapports secs transmis à la hiérarchie. Car la bureaucratie peut vider les secours humanitaire de leur sens, et par là même, trahir les idéaux des Nations Unies.
Nawal Mdallaly: Activiste Libanaise des droits de l’homme
Mohammad Hassan: Journaliste et activiste syrien des droits de l’homme