La présence syrienne au Liban : ce que les chiffres ne disent pas

salam wa kalam website logo
trending Tendance
Posté sur oct. 01 2015 7 minutes de lecture
La présence syrienne au Liban : ce que les  chiffres ne disent pas
À la fin des années 90, le conflit entre représentants du régime syrien au Liban et forces politiques hostiles à la présence armée syrienne était à son paroxysme. Dans ce contexte, le chiffre d’« un million et demi d’ouvriers syriens au Liban » servait de slogan et d’argument dans la guerre de mobilisation de l’opinion publique contre la présence syrienne.
En ce temps-là, ce chiffre était devenu une constante politique pour de nombreuses parties, qui exprimaient leur crainte des répercussions sur l’identité du Liban et sur son équilibre confessionnel. Certains journaux avaient même consacré leurs gros titres au fait qu’« il se trouve, sur le territoire libanais, un Syrien pour chaque deux Libanais ». Il était difficile, à l’époque, de déclarer qu’il fallait faire la différence entre le régime syrien et le peuple syrien, qu’il était nécessaire de vérifier l’exactitude de ces chiffres astronomiques, tout en les maintenant à l’écart des tiraillements politiques, et en gardant le dossier des ouvriers syriens loin des surenchères.
L’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, en 2005, suivi du retrait des troupes syriennes, puis de la guerre de 2006, entraîna un repositionnement politique sur la scène libanaise. La question du nombre d’ouvriers syriens sur le territoire libanais fut retirée momentanément du débat politique. Il a fallu attendre l’avènement de la révolution syrienne, et le très large flux de réfugiés syriens vers le Liban – fuyant l’oppression barbare exercée par le régime de Damas et la militarisation du conflit – pour que ce dossier soit rouvert, de manière encore plus pressante que par le passé. Les chiffres relatifs à la présence syrienne au Liban ont alors recommencé à nourrir les tiraillements politiques.
Actuellement, le gouvernement libanais et nombre d’organisations internationales actives au Liban (Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés – UNHCR, Escwa, Programme des Nations Unies pour le développement – Pnud) s’accordent à dire que, suivant les estimations des cas enregistrés, il y aurait un peu plus d’un million de réfugiés syriens au Liban. Certains chiffres parlent globalement d’un million et demi de Syriens résidant dans ce pays. Ces chiffres figurent dans les rapports des organisations internationales et de la Banque mondiale, dans les couloirs de l’Onu, dans les réunions entre les représentants du gouvernement libanais et les donateurs internationaux, et dans la gestion du dossier des réfugiés de manière générale. Ils servent d’épouvantail à ceux qui tiennent un discours catastrophiste, un épouvantail bien utile lorsqu’on veut trouver des fonds qui sont par ailleurs indispensables pour soutenir le Liban dans la gestion du dossier des réfugiés syriens sur son territoire.
De Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, à Antonio Guterres, Haut- commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, en passant par la majorité des hommes politiques internationaux et libanais, on est désormais d’accord sur l’estimation suivant laquelle un quart des habitants actuels du Liban seraient des citoyens syriens.
Nous ne voulons pas mettre en doute ces chiffres, bien que leur fiabilité puisse être mise en doute du fait du caractère incertain des mécanismes de calculs et de statistiques relatifs à l’enregistrement des Syriens qui entrent au Liban et ceux qui sont enregistrés sur les listes du Haut commissariat de l’Onu, tout en prenant en compte en compte ceux qui en sortent et qui fuient vers la Turquie et l’Europe, ou encore ceux qui rentrent en Syrie. Cela, alors même que le Liban est devenu un passage obligé, vers la Turquie et l’Europe pour les réfugiés syriens issus des régions contrôlées par le régime. Sans compter qu’un certain nombre de ces réfugiés sont soucieux de ne pas voir leurs noms rayés des listes du UNHCR.
Ce qui nous intéresse dans ces chiffres, indépendamment de leur degré d’exactitude, est l’usage politique et médiatique injuste qu’on en fait sur la scène libanaise, sous un angle invariablement négatif et catastrophiste. Tant et si bien que ces chiffres sont devenus indissociables, au regard des tiraillements politiques et des tensions partisanes et médiatiques, des crises de l’économie, de l’électricité, de l’éducation, de l’insécurité, et qu’ils nourrissent désormais des craintes diverses et des sentiments de haine et de rejet à l’encontre des Syriens.
Le caractère absolu conféré à ces chiffres, et le lien qu’on établit inévitablement avec les répercussions négatives sur la vie des Libanais, compromettent toute tentative de bousculer les idées préconçues autour de la présence syrienne au Liban. Il devient par conséquent quasi-impossible d’introduire, dans le débat général, des données et des chiffres qui révèlent l’apport bénéfique de cette présence.
Ainsi, l’un des principaux arguments avancés par les opposants à la présence des ouvriers syriens au Liban, dans les années d’avant la révolution, soulignait la faible consommation des ces ouvriers qui, de fait, envoyaient la quasi-totalité de leur revenu à leurs familles demeurées en Syrie. Or donc, les Syriens consomment massivement au Liban désormais, du fait de la réunification de nombreuses familles. Certains d’entre eux ont même placé toute leur épargne dans les banques libanaises. Pourtant, il est rare d’entendre dire que la présence syrienne a des effets bénéfiques sur l’économie libanaise.
L’on voit par là que la présence syrienne au Liban est un sujet complexe qui ne saurait être réduit à la question des réfugiés et l’assistance dont ils ont besoin. La main d’œuvre syrienne a toujours été recherché au Liban dans les secteurs agricole, industriel ou du bâtiment, aussi bien avant qu’après la révolution. Or cette main d’œuvre contribue à l’économie libanaise autant qu’elle en profite. Sur un autre plan, des fortunes syriennes et des dépôts bancaires, estimés à des milliards de dollars, sont placés dans des banques libanaises, et contribuent à l’économie – malheureusement, la Banque du Liban refuse de donner des chiffres précis concernant ces dépôts. Sans compter que des dizaines de milliers de particuliers, appartenant à la classe aisée syrienne, vivent, consomment et louent des domiciles au Liban. De nouvelles mesures prises par la Sûreté générale permettent à ces Syriens d’obtenir un permis de séjour d’un an, renouvelable, au cas où ils bloquent une somme équivalant à 40 000 dollars en livres libanaises. Certains de ces Syriens ont même été qualifiés par le ministère du Tourisme de « touristes forcés », étant donné qu’ils ont sauvé la saison de tourisme dans les hôtels et les restaurants durant les trois dernières années, marquées par l’absence de la clientèle du Golfe. Au niveau des échanges commerciaux, le Liban exporte désormais des produits pétroliers, des denrées alimentaires, des équipements et des produits de consommation ou de luxe, vers Damas et les régions toujours contrôlées par le régime syrien, après que celui-ci a perdu le contrôle de tous ces postes-frontières à l’exception des frontières avec le Liban.
Il est incontestable que des expressions comme « les Syriens constituent le quart des habitants du Liban » pèse dorénavant sur une bonne partie des relations humaines, sociales et personnelles qu’entretiennent des individus et des groupes appartenant aux deux parties. Toutefois, en contrepartie de la « phobie » des chiffres et de leur exploitation abusive dans les discours politiques et médiatiques, la société civile libanaise a fait preuve d’une capacité extraordinaire à gérer, à se solidariser et à s’adapter à la présence syrienne, qu’elle soit antérieure ou ultérieure à la révolution. De nombreux membres de communautés locales ou d’associations sont parvenus à partager avec les Syriens leurs soucis et leurs problèmes, et à profiter, en même temps, de leur potentiel, dans l’intérêt bien compris des deux sociétés. Cet état de fait aura très certainement un impact déterminant sur l’avenir des relations fraternelles entre les deux peuples, qui résistent et s’approfondissent, quelles que soient les vicissitudes de la politique.
A+
A-
share
oct. 2015
Les plus vues ce mois-ci
janvier 27, 2025 par Rabih Younes et Ali Zalzali
janvier 27, 2025
par Rabih Younes et Ali Zalzali
janvier 09, 2025 par Jad Fakih, Journalist
janvier 09, 2025
par Jad Fakih, Journalist
Charger plus