L’inquiétude, compagnon des réfugiés dans le nord de la Békaa

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Posté sur oct. 01 2015 7 minutes de lecture
L’inquiétude, compagnon des réfugiés dans le nord de la Békaa
« J'ai travaillé pendant plusieurs jours sans être par la suite rémunérée, soit parce que l'intermédiaire qui nous assure généralement un travail a encaissé la somme qui nous est due et a nié l'avoir fait, soit parce que le propriétaire terrien a subi des pertes dans son opération commerciale et a refusé de verser les montants requis, sachant que nul d'entre nous n'ose déposer plainte contre lui parce qu'il fait partie d'une famille bénéficiant d'une large notoriété alors que nous, nous sommes de simples gens ».
« Le soldat posté au barrage de contrôle a demandé au conducteur de se garer en bordure de la route. Nous étions une trentaine de femmes et de jeunes filles entassées à l'arrière d'un petit camion envoyé par le propriétaire d'une plantation d'abricotiers, afin de nous conduire à sa terre pour récolter ses fruits, en mai dernier. Nous sommes restées trois heures durant sous le soleil sans que quiconque ne s’enquière de nous. Au terme de cette attente, le militaire a fait signe au conducteur de rebrousser chemin. Le même scénario s'est répété le lendemain sans que nous puissions en comprendre la cause. Le troisième jour, nous avons refusé de monter dans le camion. Au bout d'une heure, le propriétaire terrien nous a rejoints et nous avons eu droit de sa part à un flot d'insultes et de menaces ».
Tel est un petit aperçu des épreuves rapportées par une réfugiée syrienne du nord de la Békaa, qui a été contrainte, sous le poids des conditions de vie difficiles, de se livrer, elle et ses enfants, à un travail de récolte, à raison d'un dollar par heure de travail. Elle a insisté à garder l'anonymat et demandé que ne soit rapporté aucun indice susceptible de dévoiler son identité car depuis quelque temps, elle vit dans la hantise des exactions et des perquisitions effectuées par les forces de sécurité. Elle conclut son récit, en soupirant, par ces termes: « Vous ne me croirez peut-être pas, mais ces jours-ci, je ne dors que d'un seul œil ».
La plupart des réfugiés syriens dans le nord de la Békaa ne se réveillent pas en toute quiétude. Leurs soucis s'accumulent chaque matin, et la terre dont les habitants étaient bien connus de certains de ces réfugiés, du fait du voisinage ou du travail accompli lors du bon vieux temps, n'est plus la même. Cela s'applique à la localité de Laboué ainsi qu'aux villages de Nabi Osmane, el-Aïn, Jdeidé, el-Faqiha, Ras Baalbeck, el-Qaa, jusqu'au Hermel et ses frontières nord, au niveau de la localité el-Qasr, où certains de ces réfugiés ont trouvé refuge dans les habitations et les terres. Mais la plupart des camps de réfugiés sont répartis dans la région dite "les projets de Qaa", de part et d'autre de la route reliant le Liban à la Syrie, alors qu'un nombre restreint de camps a été réparti aux frontières Nord, dans le secteur du Hermel et dans le périmètre des localités de Ras Baalbeck et d'el-Faqiha.
D'année en année, la situation des habitants de ces camps se dégrade à tous les niveaux, de même que fondent comme neige au soleil leurs espoirs de retourner à leur terre où ils ont grandi et vécu. Et dans le même temps, leurs épreuves ne font qu'augmenter, en raison des facteurs suivants :
- Le sentiment xénophobe des Libanais qui augmente de jour en jour. Les Libanais se montrent gênés par leur présence dans une région dont les forces politiques dominantes soutiennent le régime syrien alors que les réfugiés sont classés dans le camp de l'opposition syrienne, conformément au tri confessionnel qui caractérise la guerre en Syrie. Ce sentiment de rejet de la présence des réfugiés s'est accru après l'enlèvement des soldats libanais à Ersal. Des éléments armés syriens étaient alors sortis, avec leur arsenal militaire, des camps établis dans cette région. Cela a eu pour conséquence un accroissement des opérations de contrôle. Les forces de sécurité libanaises sont entrées en jeu, et les descentes nocturnes se sont multipliées, prenant pour cible nombre de réfugiés dans les camps et les habitations. Même les bergers n'ont pas été épargnés.
- Les atteintes à leurs droits, à chaque fois qu'ils se rendent dans une administration publique. Il est devenu courant de voir des Syriens assis sous le soleil dans l'attente qu'un fonctionnaire dans les administrations publiques, notamment sécuritaires, s'occupe d'eux. Un tel comportement se produit en l'absence de tout contrôle, loin de toute reddition de compte. Cela confirme les rapports des associations de défense des droits de l'homme qui accusent le Liban de porter atteinte aux droits des étrangers sur son territoire.
- La décision des Nations Unies de réduire les allocations dans une proportion de 55 pour cent, si bien que l'aide reçue par le réfugié inscrit sur les registres de l'Onu s'élève à 13 dollars par mois pour couvrir ses frais d'alimentation et d'habillement, sachant que ce réfugié n'a pas droit au travail, conformément à la législation libanaise.
- La politique pédagogique erronée suivie par le Liban et les organisations internationales. Une telle politique a pour conséquence de priver les enfants des réfugiés de scolarisation, ce qui ne manquera pas de provoquer une nouvelle catastrophe sociale dans un proche avenir du fait que la situation de ces réfugiés empire de jour en jour à plus d'un niveau.
- L'hospitalisation sélective qui ne couvre que 65 pour cent des cas d'urgence, sans compter les factures d'hospitalisation qui sont surévaluées sans aucun contrôle. Les réfugiés sont, d'autre part, privés de soins ou d'analyses médicales périodiques ou à titre préventif.
- Les efforts entrepris actuellement en vue d'établir un camp central regroupant les réfugiés le long de la route reliant Qaa au Hermel. Un tel projet entraîne des appréhensions d'ordre sécuritaire et transmet des signaux selon lesquels la crise syrienne est appelée à se prolonger du fait que son règlement paraît difficile. Ce projet suscite en outre la crainte de voir se répéter le scénario de l'exode palestinien, sachant que la majorité des réfugiés dans ces camps ne seront pas en mesure de retourner facilement à leur terre. Cela leur est en effet interdit dans la localité de Qoussair et les villages voisins. A en croire certaines informations de presse, des études et des travaux sont en cours afin de réhabiliter certaines habitations dans cette région en vue d'y transférer les habitants des villages chiites assiégés actuellement dans le rif d'Alep et d'Edleb. Un tel transfert de population aurait lieu dans le cadre d'un marché qui serait conclu avec les éléments armés de l'opposition dans la localité de Zabadani. Par ailleurs, le retour au Nord de la Syrie est impossible du fait de la présence de l'organisation Daech, sachant que les réfugiés sont originaires des régions en question.
- Les possibilités d'emploi diminuent de jour en jour, plus particulièrement dans le secteur agricole qui subit chaque année des pertes sans cesse croissantes du fait que l'exportation de la production par voie de terre vers les pays du Golfe est devenue impossible.
- La législation en rapport avec le droit de séjour. Les lois en vigueur ne permettent pas en effet aux exilés qui n'étaient pas munis, lors de leur exode, de papiers d'identité de régulariser leur situation. Des permis de séjour provisoires de six mois sont accordés à ces réfugiés dont la situation n'est pas régulière, mais à condition que l'exilé retourne en Syrie au terme de cette période transitoire, ce qui est pratiquement impossible.
* * *
L'État libanais a ainsi effectivement appliqué une politique de distanciation et a réussi à s'abstenir de tout rôle humanitaire susceptible d'atténuer les épreuves endurées par ceux qui ont trouvé refuge au Liban pour fuir l'enfer de la guerre syrienne.
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