« Sans l’aide d’associations caritatives libanaises et d’organisations des Nations Unies, ma famille et moi serions morts de faim, de pauvreté et de désespoir. Tel un leitmotiv, Fathiyé, âgée de 45 ans, répète cette phrase. À travers elle, elle souhaite mettre en relief l’importance de la solidarité humaine dans une société universelle qui, pour reprendre ses propres termes, ne s’est pas encore dépouillée de son humanité, en dépit de tout ce qui se dit à ce sujet.
A l’intérieur de sa tente dans les prés du secteur frontalier-sud de Wazzani, la dame raconte son histoire : « Deux ans plus tôt, j’ai fui avec ma famille la province syrienne de Raqqa où sévissaient la mort et les assassinats à cause des bombardements aériens et de l’oppression de Daech (éponyme de l’État islamique) et d’autres factions armées. Une embolie cérébrale avait cloué mon mari au lit, même s’il avait pu recouvrer sa mémoire et reprendre l’usage de la parole. Lorsque nous sommes arrivés au poste frontalier de Masnaa, nous avons été pris en charge par une association humanitaire libanaise. Des organisations humanitaires nous ont ensuite conduits au camp de réfugiés syriens de Wazzani ».
Les femmes syriennes travaillent dans les champs, une activité que Fathiyé ne peut pas entreprendre à cause de son asthme. Ses enfants en revanche sont des ouvriers agricoles journaliers. Sa fierté et sa dignité l’empêchaient de solliciter l’aide d’autrui, même si elle assure que « les ONG internationales et les habitants des villages voisins nous ont toujours soutenus et ont pourvu à nos besoins. Ils nous ont fait toujours sentir que nous étions des leurs ».
Fathyé a participé à une session de couture organisée par une ONG libanaise qui apprend la couture et la broderie à des femmes libanaises et syriennes. Elle a capté rapidement les bases et les secrets du métier. Elle a tout aussi rapidement mis en application ses connaissances en s’achetant une machine à coudre après avoir emprunté la somme de 200.000 livres. Elle s’est aussitôt mise au travail pour subvenir aux besoins de sa famille et pour éviter à son mari malade le sentiment de honte ou d’embarras.
La crise des réfugiés se complique de jour en jour, mais les organisations onusiennes et les ONG locales essaient sans relâche de surmonter les difficultés qui entravent leur action humanitaire. Durant notre visite à Fathiyé, nous avons vu des délégués d’une ONG libanaise ausculter des réfugiés du camp.
Derrière sa machine à coudre installée dans sa tente qui ressemble désormais à une salle d’exposition de robes, cette réfugiée s’attelle à confectionner des jupes longues destinées aux Libanaises et aux Syriennes qui cultivent le tabac et les fruits. Au rythme des aiguilles mécaniques piquant le tissu, Fathiyé entonne des chants traditionnels pour une paix qu’elle espère, au même titre que plusieurs autres réfugiés syriens. Elle essaie de cacher ses larmes et se remet à parler de son nouveau métier : « Plusieurs filles de tribus travaillent dans les champs. Elles doivent cacher leurs formes. Elles m’amènent le tissu et je confectionne le vêtement (une jupe qui descend de la taille jusqu’à la cheville ou une robe longue ample qui cache les formes féminines durant le travail).
Fathiyé encaisse 5.000 livres par robe… Elle éclate de rire en racontant : « Le choix est contraignant. La fille ne peut pas choisir des modèles à la mode. Elle doit accepter celui que je lui offre. Le modèle et la coupe sont toujours les mêmes. Seule la couleur diffère, mais il arrive qu’un groupe de filles porte la même couleur ». Elle travaille dix heures par jour pour préparer trois robes. Elle gagne 10 dollars la journée et parfois 5 dollars seulement parce des clientes se contentent de rapiécer les leurs.
Veux-tu coudre des habits pour hommes ? Fathiyé répond du tac au tac : « Il n’en n’est pas question». Ce qu’elle refuse tout aussi catégoriquement, c’est de mendier. « Mon mari était robuste et travaillait sans relâche, mais la volonté de Dieu a fait qu’il a été handicapé. J’ai dû m’occuper moi-même de la famille. Grâce à mon travail et à celui de mon fils et de ma famille, nous mangeons à notre faim et nous remboursons la somme empruntée pour l’achat de la machine à coudre ».
Le calvaire et les difficultés nés de l’exode n’entament en rien les rêves de Fathiyé de devenir une excellente coutière, étant donné l’argent qu’elle pourra gagner. Mais elle commente en riant : « Il est évident que je n’aurai pas des stars ou des femmes célèbres parmi mes clientes. Il est juste important de compter sur soi-même ».