Le citoyen syrien se replie sur le refuge libanais à la recherche d'un cadre de paix, mais il se retrouve victime d'une série d'atteintes à sa personne dues aux épreuves endurées du fait des mesures officielles appliquées à l'égard des réfugiés syriens. Le citoyen syrien finit ainsi par avoir le sentiment qu'il est "sanctionné" pour avoir trouvé refuge au Liban, comme si l'exode était un séjour d'agrément.
Pour clarifier ce que l'on entend par la "sanction libanaise", il suffit d'exposer un aperçu des expériences vécues par les réfugiés syriens avec la direction générale de la Sûreté générale, le corps judiciaire (la police et les magistrats), sans compter les bandes d'escrocs qui les happent comme s'ils étaient une planche à la dérive dans un océan. A cela vient s'ajouter leur exploitation par le patronat libanais alors que le ministère du Travail s'abstient de leur assurer la moindre protection.
La Magistrature : préserver la sécurité en contrepartie de l'application de la justice
Certains jugements émis par la Justice libanaise sont louables, en ce sens qu'ils appliquent la loi aux Syriens en leur qualité de réfugiés, en prenant en considération les impératifs humanitaires ainsi que la Déclaration universelle des droits de l'homme et d'autres engagements internationaux pris par le Liban, le but de ces jugements étant d'acquitter les personnes appréhendées sous le chef d'inculpation d'"entrée clandestine" dans le pays, de "faux" et "usage de faux". Mais parallèlement à ces jugements louables, il existe des cas où la loi est appliquée de manière réductrice, occultant la dimension humaine en rapport avec l'acte qui fait l'objet du jugement, afin de rendre des jugements condamnant les réfugiés arrêtés sur base des accusations précitées en leur imposant des peines de prison allant d'un mois à six mois et des amendes s'élevant, dans la plupart des cas, entre 200 et 400 dollars américains. Force est de relever que la plupart des personnes arrêtées et poursuivies pour de telles accusations sont des réfugiés qui ont été contraints d'avoir recours à des intermédiaires (roublards) afin d'obtenir, en contrepartie de fortes sommes, des papiers d'identité de Syrie, ou pour renouveler ces papiers ou aussi accélérer les formalités d'entrée au Liban par le biais des postes-frontières encombrés.
En outre, les prisons libanaises, et plus particulièrement la prison de Roumieh, regorgent aujourd'hui de centaines de réfugiés syriens qui ont été arrêtés sans qu'aucune preuve n'ait été apportée de leur implication dans un quelconque crime dans les régions qui ont été le théâtre de problèmes sécuritaires au Liban. La plupart d'entre eux ont été déférés devant le tribunal militaire après avoir été soumis à de durs interrogatoires de la part des Renseignements de l'armée (certains d'entre eux ont fait état de mauvais traitements auxquels ils ont été soumis, indiquant qu'ils ont été contraints de signer, les yeux bandés, des dépositions dont ils ignorent la teneur). Ils sont aujourd'hui accusés de terrorisme sans preuves suffisantes, dans la plupart des cas. Nombre d'entre eux attendent depuis plus d'un an qu'un acte d'accusation soit publié à leur encontre par le tribunal militaire afin que leur procès puisse être entamé. Un grand nombre d'entre eux sont des opposants syriens (laïcs) qui ont trouvé refuge au Liban sous la contrainte, après la chute de régions syriennes frontalières aux mains de l'armée syrienne régulière ou de groupes syriens armés extrémistes, en 2014.
Ces réfugiés se sont établis avec leurs familles dans la région de Ersal et de la Békaa Ouest, en espérant se rendre d'une façon ou d'une autre dans les pays d'accueil occidentaux. Parmi ces réfugiés, des enfants âgés de moins de 14 ans (accusés de terrorisme) ont également été arrêtés. Il ressort des dépositions recueillies que tout Syrien qui est appréhendé est susceptible d'être accusé de terrorisme à l'ombre des incidents sécuritaires qui se produisent. Il est connu sur ce plan que de tels chefs d'accusation privent l'accusé, dans la plupart des cas, de la possibilité d'être remis en liberté avant que le verdict soit rendu, sachant que les procès sont très lents et peuvent durer souvent plusieurs années.
De surcroît, et en raison de la rapidité avec laquelle les services de sécurité appréhendent les Syriens dès le moindre soupçon, le réfugié syrien craint désormais de s'adresser à la justice pour réclamer son droit, de peur d'être mis en prison pour une quelconque raison, valable ou fallacieuse, surtout s'il n'est pas en mesure d'assurer les conditions d'un séjour légal au Liban. Du fait de cette situation, les réfugiés sont devenus une proie facile pour les réseaux d'escrocs qui exploitent la hantise sécuritaire qui s'est emparée de ces réfugiés. Ces escrocs menacent ainsi ces derniers de lancer des accusations contre eux s'ils s'adressent à la justice au cas où ils seraient victimes d'une injustice. De nombreuses bandes d'escrocs sont ainsi apparues, soutirant aux réfugiés syriens le peu d'économies qu'ils avaient en leur promettant de leur assurer un moyen d'émigrer, ou un passeport, ou un visa, ou même un moyen d'accomplir les formalités problématiques de la Sûreté générale. Certaines de ces bandes d'escrocs ont souvent recours à des réfugiés syriens pour exécuter leur opération d'escroquerie et ils en font des boucs émissaires si l'une des victimes a l'audace d'essayer de récupérer son droit par le biais de la justice libanaise.
La Sûreté générale : des charges urgentes qui dépassent les ressources actuelles
Conformément au décret législatif numéro 139 daté du 12/6/1959, la Sûreté générale (S.G.) au Liban est devenue une direction générale relevant directement du ministre de l'Intérieur. Elle est dirigée par un directeur général. Ses prérogatives englobent, entre autres : "le contrôle des étrangers pour tout ce qui a trait à leur entrée au Liban, leur séjour dans le pays, leur sortie du pays, le contrôle de leurs déplacements, et leur protection", "la préparation des notes officielles et des poursuites se rapportant aux avis de recherche, à l'interdiction de voyager, et à l'interdiction d'entrée sur le territoire". A cela s'ajoute une mission sécuritaire qui consiste à "rassembler des informations pour le compte du gouvernement, notamment des informations à caractère politique, économique et social". Ces prérogatives confèrent de ce fait à la direction générale de la S.G. un pouvoir quasi absolu au niveau du contrôle de la situation juridique et sécuritaire des Syriens au Liban. Ainsi, aucun Syrien ne peut pénétrer en territoire libanais sans être passé au préalable par la direction ou l'une des branches de la Sûreté générale, et sans qu'un dossier n'ait été préparé sur sa situation personnelle.
En outre, aucun Syrien ne saurait passer en jugement sans être d'abord interrogé par la branche des renseignements relevant de la Sûreté générale, suivant une procédure variablement souple ou dure, en fonction de la gravité des soupçons sécuritaires qui pèsent sur la personne mise aux arrêts. De même, aucun condamné ayant purgé sa peine ne saurait être remis en liberté sans être transféré au préalable à la cellule de la direction générale de la Sûreté générale à Beyrouth afin d'être soumis à un ultime interrogatoire. En outre, aucun Syrien qui n'a pas réussi à remplir les conditions requises pour un séjour légal au Liban n'est autorisé à quitter le pays sans avoir obtenu au préalable un permis de sortie de la Sûreté générale, ce qui nécessite des formalités rendues pénibles par une mauvaise gestion administrative, ces formalités s'étalant le plus souvent sur plusieurs mois.
Depuis le début de l'année 2015, la Sûreté générale a imposé aux Syriens de nouvelles conditions à leur entrée et leur séjour au Liban ou même à leur sortie du pays. Nombre de ces réfugiés ont acquis la conviction que la principale cause de ces conditions n'est pas la sauvegarde de la sécurité mais plutôt la volonté de leur rendre la vie difficile et de les pousser à quitter le refuge libanais à la première occasion. Parallèlement à la taxe relativement élevée (200 dollars américains) imposée annuellement par la direction de la SG à tout citoyen syrien adulte, même au sein d'une même famille, et parallèlement aussi aux pénalités pour entrée illégale (entre 400 et 633 dollars américains), la Sûreté générale impose à tout réfugié syrien de trouver une famille ou un patron libanais qui se porte garant de lui. La SG impose également au réfugié syrien de trouver un propriétaire de bien-fonds qui s'engage à le loger afin de régulariser, conformément à la loi, son séjour au Liban. A défaut, le réfugié syrien est mis aux arrêts et un mandat lui interdisant l'entrée au Liban est émis à son encontre (alors qu'il est encore au Liban !).
Le réfugié syrien bénéficie parfois d'une certaine souplesse dans l'application de ces conditions en fonction de son âge (s'il a plus de 60 ans) ou de son lieu de résidence (Ersal). Par ailleurs, contrairement aux dispositions prévues par la loi, la plupart des branches de la Sûreté générale refusent depuis la moitié de l'année en cours les formulaires d'inscription au Haut commissariat des Nations Unies pour les affaires des réfugiés, comme substitut au garant, sachant que le Haut commissariat s'abstient depuis plusieurs mois d'inscrire de nouveaux réfugiés.
Les cellules de la direction et des branches de la Sûreté générale grouillent de Syriens arrêtés qui sont détenus par milliers, chaque mois, dans ces cellules où ils sont incarcérés dans des conditions humaines et sanitaires déplorables, dans l'attente que soit prise la décision de les traduire en justice ou de les libérer. Les avocats ne sont pas autorisés à les rencontrer ou à prendre leur défense durant toute la phase des interrogatoires (banche des Renseignements). En raison de cette surcharge carcérale, la Sûreté générale se trouve contrainte de retarder pendant plusieurs semaines le transfert des personnes arrêtées et des prisonniers à partir des cellules, même lorsque l'arrestation est confirmée ou que la peine de prison a été purgée.
A cela s'ajoutent les épreuves endurées du fait des longues queues qu'il faut faire pendant des heures devant la direction et les branches de la Sûreté générale afin de suivre une formalité qui n'est achevée qu'au terme de plusieurs visites et, le plus souvent, après des tergiversations bureaucratiques. Il ne fait pas de doute que le nombre relativement considérable de réfugiés syriens au Liban (plus d'un million, représentant plus de 25 % du nombre de Libanais résidents, selon les dernière statistiques du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) s'est répercuté sur le comportement de la Sûreté générale en tant qu'institution qui a des moyens et des ressources humaines et financières limitées et qui est, dans le même temps, chargée de suivre de près les mouvements des réfugiés sur le territoire libanais. La forte pression que subit cette institution se traduit par son incapacité à appliquer convenablement les nombreuses circulaires qu'elle rend publiques et qu'elle modifie chaque deux mois, ou presque, si bien que des formalités simples - telles que des demandes portant sur la "restitution d'une formalité", la "révision d'une décision d'expulsion", la "régularisation du séjour" ou la "restitution de documents d'identité" - nécessitent des mois d'attente. De surcroît, il arrive souvent que se perdent dans les tiroirs de la Sûreté générale les numéros des procès verbaux en base desquels sont transférés aux tribunaux concernés les papiers d'identité des Syriens qui sont remis en liberté.
En réalité, la direction de la Sûreté générale a déployé des efforts afin de se conformer à ses engagements en ce qui concerne les formalités de séjour, de départ et d'autres formalités relatives plus spécifiquement aux réfugiés syriens. La direction de la S.G. a réussi au cours des derniers mois à réduire la pression sur ses centres principaux et régionaux en permettant à la majorité des réfugiés dont le séjour avait expiré d'effectuer les formalités de départ directement aux postes frontières terrestres, maritimes ou aérien. De même, elle a accordé à ceux qui rentrent clandestinement dans le pays la possibilité de régulariser leur situation, pour rester ou quitter, dans des délais relativement acceptables.
Il faudrait admettre une autre réalité encore plus importante, en l'occurrence que la direction de la S.G. ne sera pas en mesure, à l'ombre de la crise syrienne actuelle, d'assurer un bon service pour accomplir toutes les missions qui lui sont confiées sans accroître et développer ses ressources humaines et administratives. Il s'agit là d'une demande pressante que les responsables concernés ne devraient pas négliger. Une telle évolution serait susceptible d'atténuer les épreuves des réfugiés syriens au Liban et de diminuer les charges supportées par les fonctionnaires de la S.G. qui sont parfois contraints de travailler durant les congés hebdomadaires et officiels du fait de la pression continue due aux formalités des réfugiés.
A cela vient s'ajouter l'exploitation des réfugiés syriens par le patronat, sachant que le ministère du Travail s'abstient d'accorder des permis de travail aux réfugiés, ce qui les prive de la protection assurée par la loi libanaise sur le Travail. De ce fait, un grand nombre de ces réfugiés sont contraints de travailler dans des conditions inhumaines, de l'aube jusqu'au crépuscule, avec comme seule rémunération les pourboires uniquement ( ! ) afin d'assurer leurs moyens de subsistance.
Il y a beaucoup à dire sur la situation juridique déplorable des réfugiés syriens au Liban. Il est nécessaire de mettre l'accent dans ce cadre sur le fait que le présent article expose exclusivement cette situation juridique telle qu'elle est apparue de l'expérience vécue avec les instances sécuritaires et judiciaires. L'article n'a donc pas pour but d'aborder la situation des réfugiés pour ce qui a trait, à titre d'exemple, à l'aide humanitaire accordée, ou aussi, entre autres, les programmes d'aides médicale, pédagogique et scolaire. Il est également difficile d'étendre notre exposé aux épreuves que les réfugiés endurent au sujet d'autres questions vitales, comme les formalités portant sur le statut personnel (naissance, divorce et autres) auprès des instances libanaises et syriennes, ou l'obtention d'un passeport syrien (même après la publication du décret législatif syrien No. 17 daté d'avril dernier).
Il y a beaucoup à dire, et ce qui précède n'est qu'une petite partie de la réalité. En l'absence de la volonté politique requise, le Liban continuera de se comporter vis-à-vis de l'exode des Syriens sur son territoire comme s'il s'agissait d'un choix qu'il fait et non d'un droit naturel reconnu par toutes les chartes des droits de l'homme.