Saisir les occasions en vue d’une éducation multiculturelle

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Posté sur déc. 01 2016 7 minutes de lecture
« Nous ne croyons plus ce qui se dit à propos des Syriens »
martèle un jeune libanais du Akkar, en parlant des petits réfugiés syriens inscrits dans son école. Il poursuit sur sa lancée, en racontant qu'il y a quelques années encore, il avait une image complètement différente de ces derniers, une image négative nourrie par ce qu’il entendait chez lui, au sein de sa famille.

Ce changement au niveau de la perception que les Libanais ont des Syriens a été expliqué dans une étude qualitative réalisée par les auteurs au cours de l'été 2015, pour le compte d'International Alert, une organisation internationale qui œuvre pour l’édification de la paix et qui est basée au Liban.
Les auteurs de l’étude ont réuni leurs données dans deux régions, l'une rurale (le Akkar) et l'autre urbaine (Bourj Hammoud) à partir d’un échantillon de 99 personnes, composé de Libanais et de réfugiés syriens âgés de 10 à 15 ans, de leurs parents, de leurs instituteurs, des directeurs de leurs écoles ainsi que des assistants humanitaires.
L'objectif de l’étude était de voir comment le système scolaire a pu avoir une influence sur les relations entre les écoliers syriens et libanais, ainsi que la perception que les élèves ont les uns des autres, que les écoles soient mixtes, c’est-à-dire accueillant des jeunes libanais et des enfants syriens réfugiés ou que les deux groupes soient inscrits chacun dans une école différente.
L'étude a permis d’identifier une meilleure cohésion dans les écoles où enfants libanais et syriens suivent les mêmes cours du matin. Leurs relations étaient meilleures. Les deux groupes avaient une meilleure perception les uns des autres et ils étaient en outre capables de combattre les stéréotypes.
En revanche, les élèves qui n’assistaient pas aux mêmes cours, avaient malheureusement des perceptions négatives les uns des autres. Ils étaient plus facilement perméables aux observations négatives formulées respectivement à leur sujet.
 
Au cours de leur interview, les écoliers libanais qui suivent les cours du matin avec leurs camarades syriens ont affirmé avoir entendu des propos selon lesquels « les Syriens kidnappent et violent les Libanais », précisant toutefois que leur opinion concernant ces derniers a changé au fur et à mesure que le temps passait et qu’ils interagissaient avec eux.
L'étude a aussi montré que les écoliers libanais avaient cessé de se référer à leurs camarades par leur nationalité, à savoir, « le Syrien », comme si celle-ci était leur seule identité. Grâce à leur contact quotidien et à leur interaction régulière, les petits syriens et libanais ont fini par avoir leur propre perception de l’autre et à contester les stéréotypes négatifs.
Les interviews menées avec des écoliers syriens – toujours dans le Akkar et à Bourj Hammoud – priés de préciser l’impression que leurs camarades libanais leurs donnent ont également permis de mettre en relief l’impact positif des cours partagés. Les jeunes syriens ont ainsi présenté leurs camarades de classe libanais comme étant « d’un grand soutien et très serviables ». Certains ont été jusqu’à révéler que leurs amis ou voisins libanais les défendaient ainsi que leurs familles respectives, au moindre incident.
Cela dit, même si les jeunes libanais et syriens s’étendent sur leur amitié au sein de leurs écoles, il semble que celle-ci reste le plus souvent confinée au cadre scolaire. Seule une minorité a reconnu voir ses amis d’une autre nationalité en dehors du cadre scolaire ou durant les fêtes et les vacances.
Les relations entre écoliers libanais et syrien et la perception qu’ils ont les uns des autres sont en revanche moins positives dans les écoles séparées. Aussi, des jeunes Syriens qui suivent les cours de l’après-midi dans les deux régions concernées ont exprimé du ressentiment à l’égard de leurs camarades libanais. Certains leur en veulent carrément. Ils prétendent que des Libanais leur avaient adressé des insultes qu’ils n’avaient jamais entendues auparavant.
D’autres ont affirmé redouter les Libanais de manière générale, partant du principe que si jamais des incidents survenaient, ces derniers peuvent se défendre en ayant recours à la police qui s’empresse, toujours selon eux, d’effectuer des perquisitions dans les habitations des Syriens, terrorisant les familles.
Des écoliers syriens ont raconté que lorsqu’ils étaient arrivés au Liban, ils avaient cru au départ que les Libanais avaient « bon cœur », avant de déchanter, ont-ils ajouté. Selon eux, les Libanais les regardaient avec mépris. « Ils nous prennent pour leurs serviteurs », ont-ils commenté. D’autres Syriens ont affirmé « ignorer pourquoi les Libanais ne les aimaient pas » et d’autres encore ont été jusqu’à expliquer ce comportement par le fait que ces derniers « ont le sentiment que nous leur avons pris leur pays ». Il n’en demeure pas moins qu’ils essaient de se montrer rationnels et soutiennent, en justifiant ce comportement, que les Libanais considèrent que les Syriens ont spolié leurs droits et qu’ils reçoivent une assistance qui aurait dû leur revenir.
Ils sont parvenus à cette conclusion, parce que, selon eux, de jeunes Libanais leurs avaient directement adressé cette accusation : « Vous avez porté préjudice à notre pays ».
Les écoliers libanais interviewés dans les établissements scolaires publics où ils ne partagent pas les bancs de classe avec des jeunes syriens, ont corroboré ces dires en qualifiant les réfugiés syriens de « sales » et de « criminels ». Ils les ont considérés comme étant la principale cause du préjudice porté aux régions où ils se sont établis.
Sur environ 160 000 écoliers syriens âgés de 3 à 17 ans et qui suivent le cursus scolaire traditionnel (chiffres de janvier 2016), près de 60 % vont aux cours de l'après-midi dans les écoles publiques. Le ministère libanais de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur avait institué ces cours en décembre 2014, pour répondre à une demande croissante. Ils sont exclusivement destinés aux non-Libanais, notamment les réfugiés syriens et irakiens, et ont été également justifiés par la différence de niveau académique entre les écoliers libanais et leurs camarades réfugiés fraîchement inscrits dans les écoles libanaises.
Cet arrangement a été utile pour les enseignants qui ont ainsi pu adapter les programmes scolaires aux besoins spéciaux des petits réfugiés syriens.
Suivant une étude précédente menée en 2014, des directeurs et des responsables d’écoles avaient avancé d’autres raisons à cette ségrégation, affirmant vouloir protéger les petits réfugiés contre d’éventuels harcèlements ou discrimination ou encore les empêcher d'être en contact avec différents milieux socio-économiques libanais.
Bien que cette étude soit plutôt limitée, ses résultats restent révélateurs et commandent un examen plus approfondi, non seulement des relations entre les enfants syriens et libanais et leurs communautés, mais aussi du type d'éducation et du milieu pédagogique que nous cherchons à encourager au niveau du système éducatif libanais.
Conformément à des études menées à travers le monde, il existerait un lien – sachant que la relation de cause à effet n’est pas établie clairement – entre la ségrégation au niveau du système scolaire et les tensions et les conflits au sein de groupes amenés à cohabiter ensemble. Cela a été notamment le cas en Bosnie-Herzégovine, au Guatemala, au Mozambique, en Irlande du Nord, au Rwanda et au Sri Lanka, où les structures institutionnelles, tout comme au Liban, reflétaient les divisions politiques et sociales qui caractérisent la société concernée et qui accentuent les clivages existant.
Au cours des 25 dernières années, le Liban n’a épargné aucun effort pour améliorer son système éducatif, de manière notamment à renforcer la cohésion sociale et la réconciliation dans un pays affecté par plusieurs années de guerre civile et qui continue de subir ses séquelles. Le soutien assuré aux écoliers syriens au niveau de l’éducation traditionnelle, représente ainsi pour le Liban une occasion en or qu’il peut saisir, en employant les recettes financières qu’il reçoit des donateurs aux fins d’améliorer son système éducatif, au profit des écoliers syriens et libanais.
Plus important encore, le fait de favoriser la diversité dans les salles de classe et de cultiver un environnement multiculturel dans les écoles, donne aux écoliers libanais la possibilité d’apprendre ce qu’est l’empathie et de combattre les stéréotypes, deux éléments fondamentaux sur la voie difficile de réconciliation nationale.

Zeina Abla * Chercheuse en développement
Muzna al-Masri ** Chercheuse et consultante

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