L’impact de la marginalisation de la cohésion sociale sur les orientations politiques et sociales des élèves au Liban

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Posté sur sept. 01 2016 9 minutes de lecture
Les débats se sont multipliés au Liban sur l’importance de consolider la cohésion sociale après la guerre civile. Ils ont aussi porté sur la nécessité d’introduire les valeurs démocratiques et les droits de l’homme dans les programmes scolaires officiels. L’accord de Taëf, conclu en 1989, a mis l’accent sur l’importance de l’éducation dans le renforcement de la cohésion sociale.

Le Centre éducatif pour la recherche et le développement (CERD) a élaboré dans ce sillage un nouveau programme officiel scolaire en 1997, basé sur le développement de l’unité nationale et le renforcement de l’appartenance nationale, ainsi que sur l’ouverture  culturelle et religieuse, dans le cadre d’une nouvelle matière appelée « l’éducation nationale ». Le CERD a aussi appelé, dans l’étude qu’il a publiée en 1997, à l’unification des manuels scolaires. Pour atteindre cet objectif, l’État a rédigé de nouveaux manuels unifiés pour toutes les matières, sauf l’histoire. En même temps, l’enseignement religieux est devenu  facultatif, laissé à la discrétion de la direction des écoles. A ce sujet, il faut noter que l’accord de Taëf, et les politiques éducatives qui s’en sont inspirées, insistent sur le rôle du confessionnalisme comme un des principaux facteurs de la guerre, alors qu’ils évoquent rarement le rôle de la justice sociale ainsi que la situation économique et la division des classes  comme facteurs de stabilité sociale. C’est ce qui nous amène à examiner de plus près la notion de cohésion sociale.

"Je ne comprends pas pourquoi on s’entre-tue" - © Illustration par l'artiste libanaise Nadine Feghaly

Les académiciens sont d’accord pour dire que la cohésion sociale est représentée par l’existence d’un lien qui relie les membres d’une société et influe sur leur comportement. En dépit de cette définition générale, les académiciens ne sont pas d’accord sur les composantes de la cohésion sociale. Selon une première tendance, la cohésion sociale est basée sur les valeurs communes et la réduction des différences dans les fortunes et dans les revenus. La cohésion sociale est aussi un processus pour faire évoluer la société en lui fixant des défis communs. Dans ce contexte, la justice sociale est un facteur essentiel pour cette cohésion. Selon une autre tendance, l’existence de valeurs communes n’est pas un facteur déterminant pour la cohésion sociale, car elle pourrait aboutir à traiter injustement les parties marginalisées et les minorités qui ne partagent pas forcément ces mêmes  valeurs avec les autres composantes de la société. Cette seconde tendance préfère miser sur la justice sociale comme facteur principal de la cohésion sociale.

Pour en revenir au Liban, 20 ans après cette expérience, il est temps de se pencher sur le rôle des écoles dans le renforcement de la cohésion sociale et sur l’influence qu’elles ont sur les orientations des élèves. C’est dans ce cadre que cette étude a été effectuée pour définir «  les conséquences de la marginalisation de la cohésion sociale dans les écoles secondaires sur les orientations politiques, sociales et civiles des élèves au Liban ». Elle a été réalisée en 2010 par le Centre d’études libanaises et cet article se propose d’en résumer les principaux points. Il est donc possible de revenir au rapport complet en consultant le site électronique du Centre. L’étude a voulu  s’enquérir des différentes approches  suivies par les écoles secondaires du Liban pour renforcer la cohésion sociale. Il a fallu ainsi étudier ces approches des écoles et leurs conséquences  possibles sur les orientations des élèves, au niveau des choix politiques, du confessionnalisme et des valeurs sociales. Pour cela, l’enquête a été menée auprès de 24 écoles secondaires publiques et privées, de différentes compositions   confessionnelles et religieuses. Des entretiens ont été effectués avec des élèves, des enseignants et des directeurs et un vaste état des lieux a été établi après avoir sondé les élèves sur leurs orientations politiques et pour connaître leurs valeurs, leurs positions et leurs compétences.

Méthodologie de la recherche

L’enquête a été faite auprès de 24 directeurs, 62 enseignants et 900 élèves de la classe de première, dans 24 écoles (14 publiques et 10 privées), certaines laïques et d’autres religieuses. Les écoles choisies représentent l’ensemble du panorama politique et religieux libanais. Les enseignants interrogés sont en charge des matières suivantes : l’éducation nationale,  le développement civil, l’histoire et les sciences sociales. L’objectif est de voir comment les écoles secondaires abordent ces matières, ainsi que les méthodes suivies pour l’enseignement, l’environnement scolaire, les activités d’été, les relations entre l’école et la société et l’étendue de la participation des élèves, des enseignants et des parents à l’activité scolaire. De même, les élèves ont été sondés au sujet  de leurs valeurs, de leurs compétences civiles, de  la pédagogie actuelle et de l’environnement scolaire pour pouvoir déterminer leur rôle et leur influence sur les positions politiques et sociales des jeunes et sur la manière dont ils forgent leurs opinions.

Les approches de la cohésion sociale suivies par les écoles secondaires au Liban

Cinq approches ont pu être définies par le biais de cette étude. Elles sont classées de la manière suivante : une approche passive, une autre d’évitement, une approche extracurriculaire, une approche globale et multidimensionnelle et une approche contradictoire.

Neuf des 24 établissements scolaires sondés adoptent l’approche passive. Cette approche consiste à ne pas accorder de l’importance à la cohésion sociale, en raison de l’appartenance de la plupart des élèves à une même confession, selon les directeurs eux-mêmes. Cette approche montre ainsi une compréhension étroite de la cohésion sociale qui la limite au conflit confessionnel et écarte les autres aspects  qui portent sur l’égalité et la justice. La priorité des écoles qui adoptent cette approche est dans l’obtention de pourcentages élevés de réussite dans les examens officiels. La cohésion sociale se limite donc, pour ces écoles, à l’enseignement  de la matière qui porte sur le concept de citoyenneté. Quant à la méthode d’enseignement utilisée elle repose sur la mémoire et l’accumulation de données à retenir chez les élèves. Le lien entre l’école et l’environnement local est limité, voire inexistant.

Par contre, les écoles dont les élèves sont mixtes adoptent l’approche d’évitement. Autrement dit, elles ont choisi d’occulter  le sujet de la cohésion sociale et pour éviter les conflits entre les élèves, elles ont interdit  les débats dans les classes et dans les cours de récréation. De même, la pédagogie de l’enseignement des matières sociales se base sur la mémoire et ce qu’on appelle « le par cœur ».

Les écoles qui adoptent l’approche extracurriculaire se basent sur l’organisation d’activités extrascolaires pour inculquer aux élèves le principe de la cohésion sociale. Elles organisent ainsi des visites dans toutes les régions du pays, dans les clubs et auprès des services sociaux. Malgré l’aspect positif de ces initiatives, elles comportent des lacunes, car elles apparaissent souvent désordonnées, sans objectifs précis et surtout sans suivi. De plus, la pédagogie adoptée pour l’enseignement de l’éducation civile et des sciences sociales ressemble à celle utilisée dans les écoles qui pratiquent l’approche d’évitement. Elle est donc basée sur la mémoire, alors que la priorité des directions est d’obtenir des résultats positifs dans les examens officiels.

Trois écoles  sur les 24 consultées adoptent l’approche globale axée sur l’égalité comme principe de base de la cohésion sociale. La politique de ces écoles est d’accepter des élèves de toutes les classes sociales, tout en ayant un système de bourses scolaires  pour les plus démunis. Ces écoles appliquent  aussi une politique d’intégration totale pour les élèves à besoins spéciaux. Elles multiplient aussi les activités extracurriculaires et favorisent la culture démocratique à travers  l’élection de conseils des élèves. Elles jettent ainsi la base d’une relation entre l’école et l’environnement social pour propager le principe de la cohésion sociale. La pédagogie adoptée  pour l’enseignement des matières sociales  est analytique, même si elle mise aussi un peu sur la mémoire. Ces écoles prônent la démocratie et la participation en donnant aux élèves la possibilité d’exprimer leur avis et elles adoptent l’approche globale comme une stratégie pour moderniser leur mode d’enseignement.

Restent les écoles qui adoptent l’approche contradictoire. Elles sont religieuses, leurs élèves et leurs enseignants appartiennent à une même confession. Ce qui signifie que les élèves n’ont aucune possibilité  de se mêler à ceux appartenant à d’autres confessions que la leur. Ces écoles insistent sur la cohésion sociale  au sein d’une même communauté. Elles axent  leurs programmes pour le développement des compétences des élèves, sur le plan civil notamment, à travers l’organisation d’activités extrascolaires qui généralement sont basées sur la mémoire.

L’impact de ces méthodes sur les opinions politiques et sociales des élèves

Après avoir classé et étudié les différentes approches des établissements scolaires au sujet de la cohésion sociale, les élèves ont été sondés sur le sujet. Il est ainsi apparu que les élèves des écoles ayant adopté l’approche passive avaient plus tendance que les autres à avoir une attitude confessionnelle et à être réfractaires à la mixité et à la diversité. Ces élèves ont aussi montré une tendance à appuyer les dirigeants appartenant à leur confession  et à intégrer les partis appartenant aussi à la même confession. Par contre, les élèves des écoles ayant adopté l’approche extracurriculaire et globale ont montré une tendance plus laïque, hésitant à intégrer les partis confessionnels. Il faut noter à ce sujet qu’aucune différence dans les résultats n’est apparue entre les établissements scolaires publics et privés. Il faut toutefois préciser  que l’approche passive  a été la plus largement adoptée dans les établissements publics alors que l’approche contradictoire a été plus souvent adoptée dans les écoles secondaires privées.

Conclusion

L’étude effectuée montre que la plupart des enseignants ont une compréhension étroite du principe de la cohésion sociale, car pour eux, il reste limité à la relation entre la diversité confessionnelle et la citoyenneté, sans couvrir le principe de justice. Elle montre aussi que les approches adoptées par les écoles ont une incidence sur les positions politiques et sociales des élèves. Les écoles ayant adopté l’approche passive et qui sont basées sur le respect de la hiérarchie produisent généralement des élèves peu soucieux de renforcer  la cohésion sociale, avec une tendance confessionnelle marquée et une allégeance facile aux partis et aux leaders qui sont de la même confession qu’eux. Dans les écoles ayant adopté l’approche globale et  extracurriculaire, où règne une atmosphère plus démocratique qui favorise le développement intellectuel des élèves, ceux-ci ont plus de possibilités pour remettre en cause l’héritage confessionnel dans leur environnement et peuvent donc mieux chercher à renforcer la cohésion sociale.

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