Georges est arrivé au Liban en 2015 fuyant les actes de violence qui avaient commencé en 2013 dans les villages assyriens riverains du Khabour, dans la province syrienne de Hassaké.
À l’époque, il travaillait encore en Irak. Lorsque l’organisation État islamique avait envahi son village, et que les enlèvements et la profanation de symboles religieux chrétiens s’étaient multipliés, associés à d’autres actes de violence, il s’était réfugié avec sa famille pour un certain temps à Hassaké, avant de décider de quitter définitivement la Syrie pour venir s’installer au Liban. C’était à la mi-2015.
Les défis auxquels il est le plus confrontés ici, raconte-t-il, sont d’ordre matériel et s’expriment par des difficultés à assurer une vie digne à sa famille et à lui-même. Ils avaient tout perdu en Syrie et ils étaient obligés de repartir de zéro dans un pays réputé pour sa cherté, selon ses propres mots.
© Alia Haju
Georges s’est installé à Bourj Hammoud, un des quartiers résidentiels les plus cosmopolites de la banlieue de Beyrouth. Habité majoritairement par des Libanais arméniens, le secteur est également peuplé de familles appartenant à diverses communautés religieuses. Il accueille dans le même temps un grand nombre des Syriens qui avaient commencé à affluer au Liban à partir de 2011, ainsi que des travailleurs éthiopiens, soudanais, égyptiens et d’autres nationalités asiatiques.
« La société hôte porte un regard global sur le réfugié syrien. Un Syrien reste à ses yeux tout simplement un Syrien, quelle que soit sa religion ». C’est en ces termes que Georges décrit la situation de ses compatriotes réfugiés au Liban, toutes appartenances communautaires et ethniques confondues. Il souligne les privilèges et le soutien obtenus à travers certaines associations et églises. Georges a pu ainsi saisir une opportunité de travail qui s’était présentée à lui et qui lui a permis de devenir professeur d’anglais dans une école du quartier. Cet emploi l’a aidé à subvenir aux besoins de sa famille, en attendant la date de son départ pour le Canada, où il compte s’installer en tant qu’immigré.
Il serait utile de préciser dans ce contexte que près de 1.300 familles assyriennes ont trouvé refuge au Liban depuis le début de la crise en Syrie, mais que pour beaucoup d’entre elles, ce pays n’est qu’une station provisoire avant leur départ pour le Canada, l’Australie et l’Europe, selon le responsable de la communauté assyrienne au Liban, le cor-évêque Yakroum Koliana.
Un pays de minorités qui en accueille davantage
Les Assyriens syriens n’étaient pas seuls à trouver refuge dans les pays voisins de la Syrie ou aux quatre coins du monde. Des dizaines de milliers de Kurdes, d’Arméniens, de Syriaques, ainsi que d’autres minorités ethniques avaient été contraints de fuir les hostilités et les faits accomplis imposés à leurs villes et villages.
« Les explosions qui se sont produites près de ma demeure, dans la ville de Kamichli, et l’enlèvement de mon fils pour quelques heures, la peur et la terreur que nous avions vécues, nous ont poussés à décider de trouver un abri dans un lieu plus sûr », raconte Johnny Azra, un jeune Syrien de la communauté syriaque réfugié au Liban depuis 2014.
Avec son épouse et son fils de huit ans, Johnny s’est installé dans le quartier de Nabaa, qui relève de la municipalité de Bourj Hammoud. Il s’agit d’un quartier tout aussi diversifié au plan démographique, peuplé de Libanais appartenant à différentes communautés, ainsi que de réfugiés syriens et irakiens et de travailleurs africains et asiatiques. « Le travail a posé problème. Les loyers sont élevés et certains problèmes se produisent ici. Je ne suis pas psychologiquement tranquille, mais nous nous débrouillons ». Par ces mots, Johnny, résume son quotidien au Liban où il n’a pu obtenir aucun soutien des ONG ou des églises. Ses efforts pour que son fils soit admis gratuitement à l’école sont restés également vains, se plaint-il, avant de poursuivre son récit. Il n’a plus de papiers valides, depuis que les autorités libanaises ont imposé aux Syriens en 2015 des règles très strictes, les obligeant à avoir un garant libanais et à payer plus de 200 dollars afin de pouvoir renouveler leurs titres de séjour. L’absence de papiers en règle est donc son problème principal. Il limite ses déplacements et s’expose au danger d’être arrêté ou même d’être exploité par ses employeurs lorsqu’il lui arrive de trouver un emploi.
Soulignons que les réfugiés assyriens et syriaques se concentrent principalement à Sad el-Bauchrieh (quartier des Assyriens), à Sabtié et à Achrafieh.
Un nouvel exode pour les Arméniens de Syrie
Force est de constater que la situation des réfugiés appartenant aux minorités religieuses et ethniques syriennes ne diffère pas trop du reste des réfugiés syriens, à la seule différence peut-être que les premiers bénéficient de l’aide que les minorités libanaises essaient de leur apporter à travers des ONG ou des associations de la société civile. Dans certains cas, ces minorités sont bien assimilées au sein des communautés hôtes avec qui elles partagent les mêmes racines. Cela s’applique notamment aux Arméniens que les autorités ottomanes avaient chassés de leurs terres, il y a 100 ans et déplacés vers la Syrie. Aujourd’hui, ils sont victimes d’un nouvel exode, qui les a menés vers le Liban cette fois, à cause du conflit dans leur pays.
Tony, un jeune arménien venu en 2013 du secteur de Sleimaniyé, à Alep, explique ainsi que les facteurs de langue et d’héritage culturel commun ont facilité son intégration au sein de son nouveau milieu à Bourj Hammoud. Sa famille, poursuit-il, a bénéficié de la même hospitalité dans le village de Anjar, à majorité arménienne, dans la Békaa.
Selon des sources informées, depuis le début de la crise syrienne, près de 10 000 Syriens arméniens ont trouvé refuge au Liban mais 40 % d’entre eux sont partis vers l’Europe, le Canada ou l’Australie, alors que d’autres ont préféré retourner en Arménie, leur mère-patrie. La plupart des Arméniens se Syrie sont venus d’Alep, mais d’autres groupes sont arrivés de Homs, du littoral syrien et des villages situés à la frontière syro-turque.
À l’instar des autres réfugiés syriens, ils sont répartis sur l’ensemble du territoire libanais, mais avec une importante concentration populaire à Bourj Hammoud et dans les villages du Metn-Nord.
La composante kurde
Avant 2011, les Syriens kurdes représentaient une part importante de la main d’œuvre syrienne au Liban, mais avec l’exacerbation de la crise en Syrie et l’intensification des combats dans les régions kurdes, entre les Unités de protection du peuple kurde et l’organisation État islamique (Daech), nombreux sont ceux qui parmi eux, ont dû se réfugier dans les régions kurdes en Irak. Des dizaines de milliers d’autres ont traversé la frontière vers le Liban.
La voix brisée par le chagrin, Sabah égrène ses souvenirs : « Nous vivions en paix à Alep. Nous planifions un bel avenir pour nos enfants et puis, un jour, tout a disparu subitement… Maudit soit celui qui a été la cause de tout cela ! ».
Sabah a grandi dans un des villages kurdes à la frontière syro-turque. Une fois mariée, elle s’est installée avec son époux dans le quartier aleppin Cheikh Maksoud. Lorsque les combats ont commencé chez eux, ils ont plié bagage et se sont retrouvés réfugiés au Liban.
« Les Kurdes syriens se débrouillent seuls ici. Nous n’avons pas le sentiment d’être les bienvenus parmi les Kurdes du Liban », observe Sabah, confiant ne pas bénéficier du soutien des ONG kurdes locales, hormis quelques aides obtenues de temps à autres à travers le Haut-commissariat des réfugiés (HCR).
Sabah compte les jours en attendant que son mari, qui a quitté le Liban il y a un an et demi pour l’Allemagne, termine les formalités qui doivent permettre à la famille de se réunir à nouveau.
Il y a lieu de préciser que les Kurdes sont principalement concentrés à Bourj Hammoud, Nabaa et Bourj Brajneh ainsi que dans d’autres régions libanaises.
Des chiffres et des statistiques
Selon les rapports les plus récents du HCR, 1,1 million de réfugiés syriens sont inscrits au Liban, alors que de sources officielles, on fait état de plus de 1,5 million.
Selon une source qui suit de près le dossier à la municipalité de Bourj Hammoud, il est extrêmement difficile d’obtenir des statistiques précises sur le nombre des minorités syriennes. Certains réfugiés font partie de la classe aisée en Syrie et d’autres ont été accueillis par leurs proches libanais. Aussi, n’ont-ils sollicité aucune aide ou songé à s’enregistrer auprès du HCR ou des ONG.
D’autres encore sont entrés de manière illégale au Liban, sans oublier ceux qui étaient installés dans le pays bien avant le début de la crise syrienne pour des raisons liées au travail.
Parallèlement, de nombreux individus et familles quittent le Liban pour s’installer à l’étranger. Par voie de conséquence, les nombres fluctuent en permanence.
Réfugiés mais jusqu’à quand ?
De nombreux Syriens réfugiés dans les pays voisins, dont le Liban, essaient de se rendre dans des plus plus développés et stables afin d’y commencer une nouvelle vie et construire un avenir meilleur, loin des hostilités en Syrie et des pressions auxquelles ils sont exposés chez leurs voisins.
La Turquie représentait la voie d’accès principale à tous ceux qui rêvaient de se rendre en Europe, mais les rêves des Syriens réfugiés au Liban d’aller dans ce pays de passage vers le vieux continent, se sont estompés depuis que le gouvernement turc a adopté en 2015, une série de résolutions limitant l’entrée de Syriens sur son territoire, à moins qu’ils ne soient munis de visas, obtenus auprès de leurs ambassades qui, soit dit en passant, les leur refuse souvent.
Pour pouvoir émigrer, les réfugiés n’ont plus d’autre choix que de présenter des demandes de visas auprès des ambassades des pays occidentaux souhaités ou de solliciter le HCR qui relocalise chaque année un certain nombre de réfugiés inscrits sur sa liste, en coordination avec les États qui doivent les accueillir.
Les minorités ethniques syriennes au Liban restent cependant plus privilégiées que leurs compatriotes à ce niveau. Le propriétaire d’un bureau qui effectue les formalités d’émigration pour les réfugiés syriens explique ainsi que les demandes de visas présentées par les chrétiens ont plus de chances d’être acceptées que celles présentées par des réfugiés d’autres communautés. L’émission d’un certificat de baptême, associé à la demande d’émigration, est devenue pratiquement nécessaire pour renforcer les chances d’acceptation des demandes, présentées principalement pour l’Australie et le Canada. Selon lui, ce sont les Assyriens et les Syriaques qui sont les plus favorisés.