« Dans la crise du Printemps arabe, il est difficile de gratifier d’un label d’innocence les médias arabes et les exonérer de leur responsabilité dans la diffusion du discours de haine, puisque la majorité d’entre eux sont complices dans leur pratique ou dans leur silence », avait écrit le président du CDFJ, Nidal Mansour, dans la préface du livre (page 9).
Le rapport creuse les études de cas sur le discours de haine en Jordanie, tel qu’il s’est manifesté contre les réfugiés syriens. Mais il aurait pu tout aussi bien aborder le problème au Liban, où il existe plusieurs similitudes.
Mais revenons à 2016, où règne un climat d’hostilité de plus en plus marqué à l’égard des réfugiés syriens, fuyant vers le Liban voisin un conflit sanglant et interminable dans leur pays.
Une situation qui a poussé des organisations, comme la Campagne de l’observatoire sur le racisme (Racism Observatory Campaign – RAC) à relater des cas de violations de droits de l’homme et autres transgressions contre les réfugiés syriens et les déplacés à travers le pays.
La page Facebook de RAC regorge d’images, de vidéos et de messages sur la manière dont les libanais réagissent à la présence syrienne grandissante au Liban.
Les prétextes de xénophobie telles qu’expliquées par les personnes concernées sont innombrables, dans un pays à l’économie instable et dont l’infrastructure croule sous le poids de quelque 1,5 million de syriens, selon les différentes statistiques que chacun peut estimer.
Le gouvernement, les agences d’aide locales et internationales semblent diverger sur les chiffres exacts puisqu’un nombre incalculable de réfugiés et de déplacés ne sont pas enregistrés auprès de ces organisations et ne sont pas détectés.
Ce qui est en cause va au-delà des problèmes supplémentaires d’eau, d’électricité, de produits alimentaires et de soins de santé, pour englober le traitement des eaux usées et des ordures, la concurrence à l’emploi, les préoccupations sécuritaires et la hausse du taux de criminalité que de nombreux libanais imputent à la présence étrangère massive.
Les habitants de plusieurs villes et villages ont imposé des couvre-feux aux réfugiés syriens pour prévenir les dangers causés par « des maraudeurs étrangers », affirment-ils.
Dans certaines régions, les habitants se sont armés à la suite d’une vague d’effractions, de vols, d’agressions, de viols et de meurtres.
Une autre préoccupation majeure soulevée par plusieurs libanais reste le fait que les syriens, qui ont tendance à avoir un taux de natalité élevé, comme avant eux les réfugiés palestiniens, pourraient faire du Liban un lieu de résidence permanente et pourraient éventuellement être naturalisés.
Cela entraînerait le déséquilibre d’une équation démographique, précaire à la base, en transformant le Liban en un « dépôt pour les réfugiés de guerre », avait titré le quotidien al-Joumhouria.
Cela a poussé le patriarche maronite Béchara Raï à appeler à une relocalisation des réfugiés vers des zones protégées en Syrie jusqu’à ce que la guerre, qui est à sa cinquième année, se termine.
« Il devrait y avoir un autre moyen de leur trouver des zones sûres en Syrie », avait écrit le Daily Star, le quotidien libanais en langue anglaise, en citant Mgr Raï.
Dans un blog, Stéphanie Matar – qui n’est plus en ligne – avait attribué le discours de haine au Liban à plusieurs raisons : culturelles (des produits de consommation aux labels racistes) ; socio-environnementales (racisme inné); juridiques (lois racistes et misogynes) ; extérieures (un reflet de la région et des pays voisins) ; financières (les liens étroits et malsains des médias avec la politique) ; et les médias sociaux (les politiciens et d’autres personnes s’abonnent à différents sites pour fustiger les médias et se malmener les uns les autres).
Ce qui pose la question de savoir qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier ? Qui provoque en premier et déclenche ainsi de violentes réactions ? Pourquoi n’existe-t-il pas un discours rationnel et pourquoi la logique est-elle si absente ?
Il ne s’agit pas uniquement de l’absence d’institutions d’État crédibles et efficaces, comme la vacance présidentielle qui dure depuis plus de deux ans, un taux record de corruption générale dans le pays et au sein des institutions d’état et privées, ou les interminables histoires de violence et d’agressions armées, mais de la manière dont les enfants reflètent leur environnement familial et la façon dont ils ont été élevés à l’ombre d’un régime persistant fait de grabuge, comme si cela était normal et acceptable.
Selon le Dr. Nassim el-Khoury, professeur de médias à l’Université libanaise, la provocation et la sédition à travers les médias, notamment les instruments audiovisuels, ont transformés ces derniers en plateformes d’insultes, de dénigrement, d’incitation à la peur et au brouillage des faits.
Il s’agit probablement d’un héritage de la guerre civile libanaise de 1975-90, ainsi que de l’amnésie collective et du déni qui saisissent nombre de Libanais qui continuent de qualifier ce conflit, par euphémisme, d’« événements » ou d’« incidents ».
Le fait que les académiciens du pays semblent incapables, ou peu disposés, à s’entendre sur un livre scolaire crédible décrivant l’histoire contemporaine des conflits au Liban, est une preuve de leur inefficacité et impuissance intellectuelle.
Le Dr. Guita Hourani, directrice du Centre libanais de recherche sur l’émigration et professeure adjointe à la faculté de droit et de sciences politiques à l’Université Notre-Dame, m’a dit l’année dernière que la couverture des médias libanais et étrangers a contribué à stéréotyper à la fois les réfugiés et le pays hôte, le Liban.
Ses commentaires ont constitué une partie d’un chapitre que j’ai écrit sur le Liban dans « Histoires émouvantes : revue internationale sur la manière dont les médias ont couvert la migration », dans lequel je détaille des études de cas sur le comportement journalistique outrageant.
Alors, y a-t-il une lumière au bout du tunnel ?
Dans son blogue, Stéphanie Matar a recommandé ce qui suit :
La mise en jour des textes caducs, notamment la loi libanaise sur les imprimés, de sorte que les réseaux sociaux établissent des standards humanitaires.
La diffusion de la culture des droits de l’homme pour sensibiliser les citoyens à leurs droits dans les médias sociaux et dans toutes les formes de communications.
La compréhension de la culture légale humanitaire internationale.
La réconciliation de la société libanaise avec elle-même.
Entre-temps, les défenseurs d’un « journalisme constructif» recommandent :
Des articles qui mettent l’accent sur les solutions.
Une perspective productive concernant l’avenir et notre capacité à y parvenir.
Être critique, mais jamais cynique.
Poser de nouvelles questions aux autorités (gouvernement et officiels), aux prétendus victimes et experts, s’enquérir des ressources, collaborations et solutions de problèmes à signification sociétale élevée.
Recourir aux bases de données pour créer des infographies et autres images tangibles pour expliquer l’actualité, vu la courte capacité de concentration des gens.
Engager et responsabiliser le public et créer avec lui.
Les journalistes qui couvrent les histoires des réfugiés et des migrations feraient bien de lire les « Recommandations pour l’application de la Charte de Rome : un outil de travail pour une couverture médiatique précise de la migration et la demande d’asile ».
L’ironie veut que Hanan al-Houroub – dont le nom de famille signifie guerres en langue arabe – mère palestinienne et enseignante d’al-Bireh, est devenue le symbole du pardon et a gagné le prix 2016 du « Meilleur enseignant dans le monde » pour ses méthodes d’enseignement pacifiques contre l’occupation et la machine de guerre israéliennes.
Saferworld, une association dédiée à la prévention des conflits violents et l’amélioration des conditions de vie, a lancé une campagne pour promouvoir la paix et la coexistence au Yémen, un autre pays frappé par la guerre.
Son initiative comprend une vidéo intitulée « Coexistons », et en août 2016, elle a annoncé qu’elle pourrait piloter une formation à distance sur l’édification de la paix à l’intention d’activistes au Yémen, en recourant à l’application mobile populaire « Whatsapp ».
Elle a également publié des documents utiles intitulés «La crise des réfugiés syriens : comprendre et répondre aux tensions et conflits en Jordanie, au Liban et en Turquie», les trois pays qui accueillent le plus grand nombre de Syriens fuyant la guerre.
Des efforts concertés pour promouvoir l’initiation aux médias et la maîtrise de l’information constituent un élément-clé dans la lutte contre l’extrémisme et l’ignorance. Je le préconise (et le pratique) depuis près de deux décennies.
Les moyens innovateurs et dynamiques ne manquent pas pour contrer la violence, le discours de haine, la xénophobie, le racisme et autres tribulations affectant le Liban. Des gens de bonne volonté travaillent déjà avec ardeur pour inverser ou ralentir ces manifestations.
Mais il s’agit d’une tâche difficile qui nécessite la coopération des médias, un engagement positif à tous les niveaux et de la persévérance. Les solutions les plus simples sont généralement celles qui marchent le mieux.
© Freedom Artwork by Lebanese illustrator Rodrigue Harb