Ainsi, il s’avère que des secteurs libanais essentiels souffrent du manque de main d’œuvre syrienne qualifiée, qui préfère désormais émigrer vers l’Europe, les États-Unis ou le Canada, où elle est très demandée, et où les conditions de travail sont bien meilleures. De plus, un grand nombre d’ouvriers syriens préfèrent désormais rester en Syrie plutôt que de retourner au Liban, où la vie est trop chère pour eux.
Cette situation découle principalement de la décision du ministre libanais du Travail d’imposer des visas d’entrée et des permis de travail aux Syriens. Ce sont les ouvriers qui s’acquittent de la plus grande part des coûts occasionnés par ces formalités, étant donné que la plupart des patrons refusent de le faire, ainsi que l’a souligné le ministre du Travail Sejaan Azzi dans plus d’une déclaration.
En outre, le rapport annuel publié par le ministère du Travail pour l’année 2015 montre que 1 102 nouveaux permis de travail ont été accordés à des Syriens l’an dernier, sur un total de 60 814 nouveaux permis. Le nombre de permis renouvelés à des Syriens est de 1 048, sur un total de 148 860. Ces deux chiffres sont minimes par-rapport au nombre réel d’ouvriers syriens au Liban, une indication que l’objectif de cette mesure n’a pas été atteint.
La grande crise de l’agriculture
Le président de l’Association des agriculteurs, Antoine Hoyek, estime que « la crise syrienne a entraîné de grands problèmes dans le secteur agricole libanais, notamment au niveau de la main d’œuvre, étant donné que certains ouvriers syriens ne sont plus retournés de Syrie après un séjour dans leur pays pour visiter leur famille. »
Il ajoute : « Depuis la crise, les réfugiés ont grossi les rangs des ouvriers syriens au Liban. Ils étaient prêts à travailler dans n’importe quel domaine afin de répondre aux besoins de la vie quotidienne, alors même que le nombre d’ouvriers qualifiés dans le secteur agricole diminuait considérablement. »
Le nombre d’ouvriers agricoles a ainsi diminué de plus de la moitié au cours des cinq dernières années, a-t-il précisé. Les raisons ? Selon lui, la garantie et le permis de travail imposés désormais aux ouvriers syriens « sont vécus comme des obstacles, surtout par la main d’œuvre saisonnière qui est la plus répandue et la plus demandée ». Il s’explique : « La plupart du temps, on a besoin de ces ouvriers pour quelques mois, alors que la garantie est payée par année. »
M. Hoyek ajoute que quelque 70 % des ouvriers qualifiés travaillent illégalement, ce qui limite leur capacité à se déplacer entre les régions sans permis de travail, de peur des arrestations. Il indique que « le nombre des Syriens qui recherchent du travail dans l’agriculture a baissé aussi parce que ce sont les mêmes qui travaillent dans le bâtiment, ce qui a contribué à augmenter le niveau des salaires dans tout le secteur. Sans compter que de plus en plus de Syriens sont actifs dans les métiers artisanaux ».
Antoine Hoyek déplore également le fait que « le coût de production agricole ait augmenté de quelque 50 % durant les dernières années, un phénomène aggravé par le blocage des exportations par voie terrestre et la cherté de l’exportation par voie maritime, d’où des pertes substantielles dans la production ». Le secteur de manière générale (exportations et revenus) a régressé de 37 %, fin 2015, par rapport à 2014, conclut-il.
Situation satisfaisante dans le secteur de l’archéologie
La carence observée dans l’agriculture n’affecte pas l’archéologie, qui dépend aussi en grande partie de la main d’œuvre syrienne.
Une source du ministère de la Culture précise que le nombre d’ouvriers syriens reste très élevé dans le secteur. Elle ajoute que la Direction générale des antiquités (DGA) encourage les ouvriers syriens à s’enrôler dans un domaine, où ils viennent juste après les ouvriers libanais par ordre d’importance, et où ils ont même la préférence en comparaison avec les ouvriers d’autres nationalités.
Selon cette source, le travail dans l’archéologie se divise en deux parties principales : les fouilles ordinaires et les fouilles spécialisées. Le secteur ne souffre cependant d’aucun manquement dans ces deux domaines.
Cette même source souligne que même en l’absence de statistiques, il est possible de dire que la situation reste très acceptable. Elle ajoute que le nombre de travailleurs dans l’archéologie ne se compare pas à celui des ouvriers agricoles, puisqu’il se compte par dizaines, non par milliers.
Industrie : étape de transit pour la main d’œuvre spécialisée
Pour sa part, Fadi Abboud, ancien ministre et ancien président de l’Association des industriels, dément qu’il y ait de manière générale une crise au niveau des ouvriers non spécialisés dans les domaines du bâtiment, de l’agriculture et de l’industrie, étant donné le nombre élevé de candidats à ces emplois. C’est au niveau des ouvriers industriels spécialisés dans le maniement des machines (notamment des fraises) que l’insuffisance commence à se faire ressentir, précise-t-il.
M. Abboud affirme que les portes de l’émigration sont davantage ouvertes aux ouvriers qualifiés qu’aux autres, précisant qu’une grande partie de ceux-là, notamment les ingénieurs, ont émigré en Europe, spécialement en Allemagne, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada.
L’ancien ministre fait remarquer qu’il y a une forte demande mondiale pour les ouvriers qualifiés dans la fabrication des moules industriels. Dans ce domaine, les travailleurs considèrent désormais le Liban comme une étape de quelques mois sur la route de l’émigration, en attendant de terminer leurs papiers dans l’une ou l’autre des ambassades.
Fadi Abboud insiste aussi sur la hausse de la moyenne des salaires des techniciens, ce qui contribue à l’augmentation du coût de production. Il précise que ce manque ne se limite pas aux ouvriers syriens, mais aux techniciens libanais également.
Partant du principe que les conditions du secteur industriel diffèrent de celles des autres corps de métier, il précise que la pénurie se situe surtout au niveau de l’industrie mécanique, notamment la création de moules.
Il ne néglige pas cependant d’évoquer « les répercussions positives de la crise syrienne sur certaines industries », rappelant le proverbe selon lequel « le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Le principal point positif, selon lui, réside dans la demande locale accrue pour les produits libanais depuis l’augmentation du nombre de résidents, ainsi que dans les pays arabes en général, vu la baisse de la compétition que représentaient les industries syriennes.
« Toutefois, poursuit-il, les politiques gouvernementales ont neutralisé certains de ces points positifs, notamment à travers le coût élevé du transport maritime des marchandises, qui a augmenté de 50 % les coûts par rapport au transport par voie terrestre. » Pour lui, il ne fait pas de doute que la cause est « la corruption qui sévit au port ».