Une ou plusieurs identités ?

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Posté sur sept. 01 2016 11 minutes de lecture
Une ou plusieurs identités ?
La période actuelle est marquée par la multiplication des guerres, des conflits et des problèmes politiques, sociaux et culturels. Des massacres et des génocides sont accomplis au nom des identités religieuses, nationales ou ethniques. Ces crimes provoquent des changements démographiques par le biais des politiques de naturalisation, ou de « transfert », ou encore en chassant les propriétaires de leurs terres. Ce qui place le concept identitaire au cœur des débats beaucoup plus qu’il ne l’a jamais été.

L’identité individuelle

L’identité d’un individu est relative à ce qu’il a de spécial et à ses particularités. Elle englobe des concepts comme la conscience de soi et sa concrétisation, ainsi que ce qui est stable et unique chez lui et le distingue d’un autre.

Mon identité est donc tout ce qui fait que je ne ressemble pas à aucun autre. Elle est le résultat d’une combinaison mentale. C’est une opération consciente et parfois inconsciente, liée à l’histoire d’une personne et à ses expériences.

L’identité sociale

L’identité sociale est un concept dynamique qui englobe à son tour celui de l’identité individuelle. Elle se définit par la conscience d’un individu de son appartenance à un groupe historique. Ce groupe  lui assure un cadre qui satisfait son besoin de sécurité psychologique et il lui sert de référence pour son système de valeurs et sa culture, qui est à la base de sa perception du monde, de son rôle et de son évaluation de celui-ci. Tout cela s’accompagne du souci d’atteindre des objectifs communs, sans que ce soit en contradiction avec ses buts personnels.

Dans ce contexte, l’identité sociale devient le résultat des expériences communes et du mode de vie commun des membres de ce groupe historique. Mais en plus du fait qu’ils ont un passé glorieux commun et une volonté de vivre ensemble dans le présent, il y a aussi de grandes réalisations communes et la volonté de vivre ensemble dans le futur.

L’identité, la confession et la violence

La psychologie de l’identité blessée

Nous entendons beaucoup parler des peuples libanais ou syriens ou iraquiens et du fait que chez eux, l’identité confessionnelle prend le pas sur l’identité nationale. Que signifient ces qualificatifs ?

Le violent conflit politique en Irak a éclaté après son occupation sur des bases confessionnelles, communautaires et ethniques. En Syrie, le conflit a éclaté après la révolution contre le mode de gouvernement et le monopole du pouvoir par la communauté alaouite par des groupes opposants et des organisations appartenant pour la plupart à la communauté sunnite. Ce qui a transformé le conflit en affrontement d’identités confessionnelles et ethniques. Des millions de Syriens ont été contraints de quitter leurs maisons et des factions sociales entières ont été marginalisées au sein de la société et classées sous l’étiquette « cas d’exception ». Ce qui les a poussées à se sentir menacées à cause de leur appartenance confessionnelle.

Depuis la guerre de 2006, le Liban est confronté à une division verticale aiguë qui a pris une coloration confessionnelle. C’est un des aspects du violent conflit régional et, en même temps, il est dû à la participation de composantes essentielles libanaises à la guerre en Syrie.

Dans ces situations, le souci de l’individu et son existence se concentrent sur la composante visée ou prise pour cible. Lorsqu’il y a des conflits identitaires, les individus s’identifient par rapport à l’appartenance le plus attaqué, qu’ils l’adoptent publiquement ou non. Cette appartenance, qu’il s’agisse de la couleur de la peau, la religion, la langue ou la classe sociale, se met à primer sur tous les autres et envahie notre identité. Ceux qui le partagent éprouvent un sentiment de solidarité. Ils se retrouvent, se mobilisent, s’incitant les uns les autres à attaquer ceux qui les affrontent. De la sorte, l’affirmation d’une identité devient une affaire de courage et de libération.

Il est inutile de préciser qu’au départ, ce qui définit l’appartenance d’un individu à un groupe particulier, c’est son désir de lui ressembler et d’obtenir l’approbation et l’amour de ses membres. Il tombe ainsi sous l’influence de ses proches, de son groupe, de ses coreligionnaires qui cherchent à le contrôler. En même temps, il est aussi influencé, même négativement, par ceux qui l’attaquent, car ils cherchent à l’éliminer.

C’est de là que viennent les blessures identitaires, car dans ce contexte les autres font sentir à cet individu qu’il est différent et cette différence est perçue comme un stigmate et un facteur d’isolement qui le poussent à s’accrocher encore plus à son appartenance identitaire.

Les blessures qui en résultent dictent les positions des individus au sujet de leurs appartenances à chaque étape de leur vie et précisent aussi la hiérarchie de ces mêmes appartenances.

Le plus curieux dans cette approche est qu’elle ne prend pas en considération le fait que cette appartenance exclusive est aussi changeante et revêt plusieurs visages. L’allégeance doit aller à la patrie, mais aux yeux de certains, elle va à la religion, à l’ethnie ou à la langue. Ce qui montre que la notion d’allégeance identitaire est, elle aussi, relative. Lorsque la menace touche la langue mère, ou le groupe ethnique, les individus n’hésitent pas à se lancer dans un affrontement violent avec leurs coreligionnaires eux-mêmes, comme c’est le cas entre les Turcs et les Kurdes, tous deux musulmans. Ou même encore entre les Arabes eux-mêmes, notamment le conflit récent entre les sunnites et les chiites. Il faut rappeler toutefois que, souvent, notre identité affichée est copiée négativement sur celle de notre adversaire…

L’identité libanaise menacée

Récemment, de nombreux indices ont montré que la majorité des Libanais sont attachés plus que jamais à leur identité libanaise. Ces indices sont, par exemple, l’exigence de l’édification d’un État, l’attachement au drapeau et au cèdre, l’appui à l’armée libanaise qui indique, entre autres, la volonté de donner à l’armée et à l’État le monopole de la défense de la patrie.

Chibli Talhami a réalisé un sondage en plusieurs étapes qui montre, selon lui, que le pourcentage de ceux qui se considèrent « d’abord Libanais » a augmenté depuis 2011. Il en a conclu qu’il s’agit d’un phénomène normal, parce que l’on s’attache davantage à l’identité menacée. Le plus probable est donc que Liban menacé dans son existence pousse les Libanais à s’attacher plus que jamais à lui.

On peut dire en général qu’il y a de nombreuses particularités qui montrent l’existence d’une identité, d’un esprit libanais, qui se manifestent à travers un mode vie précis. Ils se manifestent aussi à travers l’art, le folklore, le patrimoine politique, la cuisine, «l’humour», les dialectes et la tendance vers la liberté et l’ouverture. Cela s’applique aussi à l’identité syrienne mais avec un autre contenu. Ce qui aboutit à la conclusion qu’il y a une identité sociale et nationale libanaise et d’autres syrienne, irakienne, palestinienne, égyptienne…

Malgré cela, la question qui est sur toutes les lèvres reste la suivante : quel est l’avenir de ces identités à l’ombre, de la division, du fanatisme et de la violence civile que nous vivons actuellement ?

Il faut noter, à cet égard, que les évenements politiques sont rapides et changeants, alors que la psychologie humaine est profonde et lente. Autrement dit, la psychologie humaine ne change pas au même rythme que les développements politiques. De même, l’identité sociale d’un individu n’est pas forcément conforme au cadre politique de l’espace géographique dans lequel il vit. Les Arabes, par exemple, vivent dans plusieurs États et pays dont les cadres politiques sont parfois contradictoires. Cela n’a pas empêché la permanence de leur attachement à l’arabité comme un facteur complémentaire de leur personnalité et un élément de leur identité sociale. De même, la dispersion des Kurdes dans plusieurs provinces et États nationaux voisins entre eux, qui ont chacun son régime politique particulier, ne les a pas empêchés de rester solidement attachés à leur identité kurde forgée dans l’histoire. Le même phénomène touche aussi les Palestiniens au sein de l’État occupant israélien. Ils sont devenus encore plus attachés à leur identité palestinienne.

La constellation de la psychologie collective se forge pendant une longue durée et il faut aussi une longue durée pour qu’elle subisse des modifications essentielles. Autrement dit, l’événement politique peut, en raison de sa rapidité, imposer certaines conditions politiques au comportement d’un groupe. Mais il ne s’agit que de changements apparents, qui n’ont pas forcément un impact sur la psychologie interne de ce groupe. L’événement politique (surtout s ;il est impose du dehors) s’inscrit dans le temps beaucoup plus rapidement que l’impact psychologique sur l’individu et le groupe, en dépit du lien dialectique entre les deux. C’est ce qui explique la capacité de nombreux peuples à préserver leur identité nationale et culturelle pendant de longues années d’occupation et malgré le pouvoir des armées coloniales qui ont envahi leurs pays. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir des modifications partielles, ici ou là, qui peuvent menacer l’identité si elles se prolongent pendant une longue durée.

L’investissement voulue de l’exacerbation des sentiments confessionnels, aux dépens de l’identité nationale qui rassemble, est l’indice d’une déplorable détérioration de la santé mentale de la société, surtout chez les élites et les leaderships qui ont une influence sur le développement de sa personnalité sociale.

Mais il est probable que ce groupe en crise sorte de cette situation lorsque les circonstances qui l’entourent changent. C’est ce qui s’est passé avec le peuple allemand avec l’expérience nazie. De même, il n’est pas possible que les particularismes, quelles que soient leurs natures, puissent primer à l’ombre de la globalisation accélérée qui transforme le monde en un village mondial.

A propos des réfugiés syriens et du racisme

A partir de la moitié de 2013, l’exode massif des Syriens vers le Liban a commencé à devenir pesant, surtout avec la crise économique et sociale dangereuse que traverse le pays, reliée aux problèmes internes libanais et au conflit syrien. Cette crise comprend aussi l’effondrement des ressources commerciales, le recul du tourisme et de l’investissement, ainsi que l’augmentation des dépenses publiques, alors que les services publics sont incapables de répondre aux demandes grandissantes.

Cinq ans après le début du conflit ouvert en Syrie, la situation du Liban est devenue catastrophique. Ce pays est celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, en tenant compte du taux des réfugiés par rapport au nombre d’habitants et de la densité des réfugiés sur un espace géographique aussi limité ! Il faut aussi noter l’équilibre social menacé par l’afflux des réfugiés. Cela commence à se faire sentir à travers l’augmentation du taux de violence et de la criminalité. Certains crimes étaient d’ailleurs inconnus jusqu’alors au Liban (comme l’augmentation des assassinats de femmes, la mutilation des corps des victimes et le nombre de cadavres non identifiés).

A la lumière de toutes ces données, on assiste à une effervescence médiatique chaque fois qu’un attentat se produit au Liban. Immédiatement, l’hostilité de certains contre les Syriens se réveille et des doigts accusateurs sont pointés contre les réfugiés. Une vague d’incitation contre ces derniers commence alors, émanant parfois de responsables officiels. Cette vague aboutit à augmenter la haine, le racisme et la discrimination contre les réfugiés en général. Ce qui approfondit les problèmes et les complique au lieu de contribuer à les circonscrire.

Il nous faut mentionner ici une règle  psychologique: mettre en évidence les seuls aspects négatifs et répandre l’idée que le peuple libanais est raciste et qu’il rejette la présence des réfugiés syriens est le meilleur cadeau qu’on puisse faire aux fanatiques et aux racistes, car il leur permet de renforcer leur position et le phénomène d’allégeance basée sur les instincts.

Certes, il faut dénoncer les abus et l’exploitation excessive – qui existe aussi dans les sociétés plus évoluées, et les exemples sont d’ailleurs nombreux – mais sans excès, ni complaisance.

La peur de l’autre et l’exploitation des moins forts font partie des points faibles de l’homme. Ceux qui exploitent les Syriens et les Syriennes, notamment les enfants et les vieux d’entre eux, sont aussi bien des Syriens que des Libanais ou appartiennent à d’autres nationalités.

C’est pourquoi, dans l’intérêt des relations entre les deux peuples, il serait plus utile d’insister sur les points positifs au lieu de dénoncer les excès et d’amplifier les éléments négatifs. L’approche raciste et le verbiage qu’elle entraîne priment aujourd’hui sur l’interaction positive et sur l’acceptation en général des Syriens qui nous entourent, où que nous allions : dans les boutiques, les cafés, les restaurants et les supermarchés, en tant que clients, travailleurs ou professionnels. On constate qu’ils sont traités devons les traiter de façon normale, en dépit des risques de concurrence, de la hausse du chômage et de la détérioration de la qualité de vie pour tous.

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