Devant un tel cas de figure, il est difficile de ne pas penser à l’analyse par feu l’académicien René Girard du mythe d’Œdipe chez les Grecs, ou de celui de Milomaki chez les Indiens yahunas : les deux personnages légendaires sont persécutés et reconnus coupables par la foule des épidémies qui se manifestent au sein de leurs sociétés. Ils sont en fait considérés comme les étrangers qui ont été à l’origine de la rupture de l’ordre social et sociétal qui prévalait avant.
Depuis le début de la tragédie syrienne, les réfugiés sont à leur tour perçus, par une certaine partie de la population dans les pays d’accueils, comme le fléau à l’origine de tous les malheurs. Inutile de préciser, du reste, que cette angoisse existentielle qui accompagne la crise identitaire face à l’arrivée de l’autre, celui qui ne nous ressemble pas, est aujourd’hui exploitée à fond par certains courants politiques et certains responsables, qui ont fait de la de l’intolérance et de la haine leur fonds de commerce électoral et l’assise de leur discours populiste – y compris au Liban.
Jamais en effet le retour aux instincts primaires n’aura été si fort, si bien que c’est l’ensemble de la planète qui est en proie à d’effroyables convulsions identitaires. La récente polémique sur le burkini en France cristallise d’ailleurs cet effarement, mêlé de craintes et de tremblements, face à la boîte de Pandore identitaire déclenchée notamment par la crise syrienne et l’exode massif des réfugiés vers l’Europe. Le monde se trouve plongé dans une crise profonde et essentielle de repères. La progression vers l’universalité des droits de l’homme, construction édifiée sur les ruines du monde post-1945 et en marche depuis la deuxième moitié du XXe siècle, n’a jamais été aussi fragilisée qu’avec l’impuissance de la communauté internationale à mettre fin à la violence qui ravage le territoire syrien.
Cet abcès de fixation, où s’affrontent les extrêmes, n’en est donc plus un. La violence et l’extrémisme sont désormais diffus. Les tumeurs nées en Syrie, et reproduites dans la région, provoquent désormais une réaction mimétique de montée aux extrêmes, autre nom de la crise identitaire, dans le monde entier.
La globalisation est en train d'agoniser sous nos yeux, dans d'atroces et de sanglantes convulsions. Ladite "fin de l'Histoire", prédite avec optimisme par Fukuyama avec la fin de la bipolarité au début de la décennie 90, est en train de vivre la fin de son histoire. Le monde est à réinventer. Certes.
Mais, de grâce, épargnons les réfugiés syriens, qui sont innocents. Ce n’est pas si l’unanimité au sein de la société est menacée et l’unité fissurée, qu’elles se referont nécessairement sur le dos de victimes propitiatoires. Car c’est, à n’en point douter, paver la voie à de nouvelles tragédies que l’on pensait englouties avec le siècle dernier.