Tous les deux ne sont pas encore sortis de l’enfance, tous les deux ont été obligés d’assumer des responsabilités plus lourdes pour leurs frêles épaules, et tous les deux s’inquiètent pour leurs parents.
Mehdi et Mohammed ne se sont jamais croisés. Et pourtant ils ont plein de points communs. Les deux adolescents travaillent, tout en allant à l’école, pour aider leurs familles à joindre les deux bouts. Mehdi est Libanais, Mohammed Syrien.
Mehdi, 14 ans, originaire de Ras el-Aïn, à Baalbeck, s’y rend tous les jours. C’est ici, qu’il vient tous les matins, pour étudier. Il suit des cours informels de mathématiques, d’arabe et d’anglais. Il y a un an, n’ayant pas encore sont brevet, il a quitté l’école. Son père, marchand de journaux le matin et distributeur de cakes l’après-midi et en soirée, s’appauvrissait de jour en jour. Il a décidé donc de retirer ses trois enfants de l’école privée. Et comme il n’avait pas les moyens de payer la dernière scolarité de Mehdi, le petit garçon n’a pas pu avoir une attestation lui permettant d’être admis à l’école publique.
« Ma sœur va toujours à l’école. Mon frère aîné travaille. Il vend des ordinateurs et bricole tout ce qui est électricité », raconte Mehdi, qui donne beaucoup moins que son âge.
Le matin donc, il se rend au centre de Beyond, puis rentre à 13 heures à la maison. De 14 à 19 heures, il travaille dans le salon de coiffure de son cousin. Il est shampouineur. Ensuite, il part aider son père à distribuer des cakes et rentre ensuite à la maison pour dormir.
« Le coiffeur me paie un salaire et les clients des pourboires. Tous les jours je fais en moyenne 10.000 livres, je les donne à ma mère en gardant quelques sous pour moi », raconte Mehdi, qui aime jouer au foot avec ses amis durant ses heures libres.
Beaucoup d’entre eux sont à l’école et ne travaillent pas. L’adolescent ne les envie pas. Acceptant docilement son sort, il soupire, esquissant un sourire : « C’est comme ça ! ». « Je dois aider mon père. Je m’inquiète pour lui. Il ne peut pas subvenir seul à nos besoins. Il est tout le temps fatigué. D’ailleurs mon frère tient à lui trouver un bon métier et moi quand je grandirai je lui offrirai une maison », ajoute-t-il résolu. Que veut-il devenir plus tard ? « Soldat de l’armée libanaise », répond-il.
Quel est son moment préféré de la journée ? « À 13 heures, quand je rentre à la maison pour manger et me reposer un peu avant de partir au travail ». Parfois aussi, il arrive à se ménager des heures de repos et de loisirs avec ses copains quand il a terminé un peu plus tôt.
Les week-ends, il se rend parfois au village. « Je vais me recueillir sur la tombe de mon grand-père maternel. Il est décédé il y a quatre mois. Il m’aimait beaucoup. Moi aussi », ajoute-t-il.
«Prendre l’accent libanais »
Nabaa, rue principale. Mohammed, 15 ans, réfugié syrien, vit avec sa famille dans un petit appartement tout propre, dans ce quartier pauvre de la banlieue-est de Beyrouth.
Mohammed se rend tous les matins à l’école publique Uruguay, à Sin el-Fil. L’après-midi et le soir, il travaille en tant que serveur dans une entreprise qui assure divers services touristiques. On fait appel à lui quand il y a des mariages et des réceptions. L’adolescent à deux sœurs et un frère benjamin qui vont à l’école et ne travaillent pas et un frère aîné, actuellement en difficulté. « Il a arrêté sa scolarisation et ne veut pas travailler. Il dit que le travail ne sert à rien puisqu’on va donner la paie à nos parents. Moi je m’inquiète pour ma famille. Il faut bien que nous payions le loyer. Mon père est journalier, il travaille par intermittence et maintenant il vient de tomber d’une échelle et s’est brisé trois vertèbres au dos », raconte Mohammed, qui rêvait de devenir astronaute avant la guerre en Syrie. Aujourd’hui, tout ce qu’il veut c’est avoir un brevet et apprendre un métier
Originaire d’Alep, le père de Mohammed travaillait au Liban dans le bâtiment avant la guerre de Syrie. Avec les événements toute la famille a déménagé au pays du cèdre.
« Tout a changé pour moi. La langue d’abord, il a fallu apprendre la langue avec le bon accent, se faire de nouveaux amis, s’habituer à un nouveau quartier et surtout se mettre à travailler », dit-il.
La famille de l’adolescent est actuellement aidée par l’association Libami. « Avant de prendre ce nouveau boulot, j’avais un autre rythme de vie. J’allais à l’école le matin. Je me rendais ensuite aux locaux de Libami où je mangeais et où on m’aidait un peu avec mes devoirs et ensuite j’allais au travail. Je préparais les narguilés dans un café situé au dessous des locaux de l’association. Et puis une fois, alors que je dégageais la mobilette du garçon livreur, parce qu’il était en retard et qu’il fallait fermer, les services de renseignements de l’armée m’ont arrêté », raconte-t-il.
Mohammed, âgé à l’époque de 14 ans, a été incarcéré et frappé. Il a aussi perdu son emploi.
« Aujourd’hui, j’encaisse 24 dollars la journée quand il y a des réceptions. C’est une bonne paie. Je dois travailler de 14 heures à 2 heures du matin, parfois les soirées se poursuivent jusqu’au matin. C’est fatigant, mais c’est aussi de l’argent gagné assez rapidement », explique-t-il.
L’adolescent a fait aussi d’autres petits métiers, durant de long mois, il a travaillé à Hamra, portant les sacs des clients d’un supermarché.
Est-ce qu’il a été victime de méchancetés ? « Non, jamais. Les gens sont gentils. Les enfants de mon âge qui venaient avec leurs parents me souriaient et les adultes me donnaient de bons pourboires ». A-t-il jamais envié ces enfants ? La question le surprend, Mohammed répond : « Pas du tout. Ils ont leur vie, j’ai la mienne. La vie est ainsi faite »…
Dessiner, installés à un trottoir de Beyrouth
Nasser et Mohammed-Ali Darwish sont frères. Réfugiés syriens d’Alep, ils sont respectivement âgés de 11 et de 9 ans et ils aiment dessiner. D’ailleurs, le 8 août prochain, ils exposeront leurs cartes postales, aux couleurs éclatantes et aux dessins naïfs, à Venise, en Italie.
Tout a commencé il y a quelques mois, quand les deux garçons, dont la mère est morte en Syrie et dont le père ne travaille pas, ont commencé à dessiner en public en installant une table et deux chaises sur un trottoir de Mar Mikhaël, le quartier bobo de Beyrouth, tous les samedis après-midi, exposant leurs dessins sur une corde à linge entre un arbre et un poteau électrique.
L’idée est celle des deux frères qui ont été encouragés par les propriétaires et les employés des pubs, restaurants et fonds de commerce du quartier. Un libraire a commencé par imprimer leurs dessins en format de carte postale, les propriétaires des restaurants exposent les petits cartons multicolores et les employés des pubs et restaurants leur préparent de quoi manger, que ce soit quand ils dessinent sur leur table en plein air ou quand ils entrent pour solliciter des clients.
Les habitants les connaissent depuis plus de quatre ans. Avant de se mettre au dessin, les enfants mendiaient tous les soirs sur les trottoirs de Mar Mikhaël et de Gemmayzé.
« Même s’ils arpentent le rues pour vendre leurs cartes postales, ces enfants sont protégés par les habitants du quartier qui sont très bienveillants à leur égard », indique le galeriste damascène vivant au Liban, Samer Kozah, grâce à qui ces enfants sont devenus connus.
« C’était un simple "status" Facebook, qui a été repartagé plusieurs milliers de fois », dit-il.
Aujourd’hui, après de nombreux articles dans la presse et divers reportages télé, les enfants sont sponsorisés par une imprimerie du quartier qui reproduira leurs dessins et des artistes ont même proposé de leur enseigner les diverses techniques du dessin et de la peinture.
Ils vont toujours à l’école, et rêvent bien sûr de devenir peintres, des vrais, quand ils seront grands.