C’est par ces mots qu’Oum Mohammad nous accueille à l’arrivée. Je n’étais pas venu pour ça, mais que voulez-vous, l’histoire du Palestinien pourchassé de lieu en lieu, en attendant le retour en Palestine, s’inscrit en filigrane sur tous les récits, toutes les situations. C’est la grande errance dont seules les légendes grecques ont ressemblance ; et les mots se taisent devant l’inexorable vie quotidienne du Palestinien.
Cette histoire, c’est aujourd’hui celle d’Oum Mohammad, qui vient tout droit du camp de Naïrab en Syrie avec une famille de cinq, pour habiter Beyrouth, capitale du Liban. Elle y réside dans ce lieu de rassemblement qu’on appelle « Saïd Ghawache » le Palestinien (situé derrière la Cité Sportive). Un lieu qui n’est pas assimilé légalement ou socialement à un « camp de réfugiés ». Il abritait quelque 255 familles palestiniennes, libanaises et syro-palestiniennes, avant de s’élargir de 17 % environ (chiffre du Pnud et UNHABITAT de 2014), après l’éclatement de la crise syrienne, en accueillant environ cent familles supplémentaires.
C’est sous les bombes et les balles des tireurs embusqués, que la famille a fui, attirée là par le fait que des parents à elle s’y étaient installés, après l’exode de 1948, précise Oum Mohammad. Pour elle, c’était l’endroit le plus sûr, le cocon protecteur. Son récit ressemble à beaucoup d’autres, de Palestiniens ou de Syro-Palestiniens fuyant une crise qui s’aggravait, et considérant qu’auprès de proches, ils trouveraient l’hospitalité indispensable en attendant le fameux retour, en Syrie par exemple. Beaucoup de ces réfugiés n’étaient jamais venus au Liban ; beaucoup même ne savaient pas que certains de leurs proches s’y trouvaient, mais étaient venus là comme un pis-aller. Car finir dans des « rassemblements » n’est pas le plus heureux des sorts. Et l’on se rend compte qu’en termes de misère aussi, il existe des degrés, et que malgré la dureté des conditions de vie qu’on peut y rencontrer, le camp, où un minimum de services sociaux et autres existent, est un petit paradis comparé aux rassemblements.
Ils sont au nombre de 42, répartis sur la capitale et le reste du pays, la Békaa, le Sud, Tripoli. Ils regroupaient quelque 110 000 Palestiniens, avant la crise syrienne, et 30 000 de plus depuis, selon le projet du Pnud « l’amélioration des conditions de vie dans les rassemblements d’accueil palestiniens ». Car, contrairement à ce qui se dit, la crise syrienne les a seulement replacés dans l’actualité. Et c’est peut-être tant mieux, puisqu’ainsi, les conditions de vie de leurs anciens et nouveaux habitants pourrait en être affectée positivement. Sachant par ailleurs que les chances d’une amélioration sont minces, et que l’afflux de réfugiés supplémentaires pourrait s’avérer être une véritable catastrophe.
Selon les chiffres de l’Institut des études internationales appliquées de 2003, il s’agit de « quartiers situés en-dehors des périmètres des camps où résident au moins 35 familles palestiniennes formant de petites collectivités relativement homogènes ». Les premiers rassemblements datent de 1948. D’autres se sont formés durant la guerre civile (1975-1990), sous la pression démographique d’abord, et en raison de la destruction de certains camps. C’est ainsi, par exemple, que se forma le rassemblement Daouk, du nom de Omar Daouk qui, en 1952, mit un bienfonds à la disposition des réfugiés jusqu’à leur retour. (En 1966, ce don fut confirmé par jugement). Mais de toute évidence, le donataire ne pensait pas que cet exil durerait et que 60 ans plus tard, les choses en seraient au même point.
Ces rassemblements ne bénéficient d’aucun programme de développement ou d’aide sociale, ni de l’Unrwa, ni de l’État libanais. Pour l’Unrwa, ils ne sont pas assimilables à des camps. Pour l’État, il s’agit de zones urbaines particulières avec lesquelles il faut traiter avec réserve. Les municipalités desquelles dépendent ces rassemblement invoquent souvent le manque de moyens, et l’on est en droit de s’étonner qu’en 2016, des quartiers d’une ville qui se veut le « phare » du Moyen-Orient en terme de développement et de civilisation, soient privés d’eau, d’électricité et de services de voierie ; et où il n’existe même pas de poteaux électriques dont on pourrait drainer du courant. Sommes-nous dans la fable ?
Mais non, une visite aux rassemblements de Daouk, Saïd Ghawache ou Immeuble Gaza suffit à en prouver l’existence, sans compter que des rassemblements abritent, outre les réfugiés de Palestine et de Syrie, des familles asiatiques venues du Bangladesh et du Sri-Lanka, attirées là par la modicité des loyers – proche de celle des camps – sans compter les prix des denrées de première nécessité qui sont plus abordables que dans les autres voisinages.
Cela dit, il existe un project « d’amélioration des conditions de vie dans les rassemblements d’accueil palestiniens ». Ce projet, qui relève du Pnud, avec le support financier des gouvernements allemand, japonais, suisse et américain, s’inscrit dans le cadre du « programme de stabilisation des conditions des rassemblements affectés par la crise syrienne » mis en place en 2013, après l’afflux massif de réfugiés fuyant la guerre en Syrie. Couvrant des besoins qu’aucun autre programme n’assure, ces services ont été bien accueillis par les populations des rassemblements, ainsi incitées à s’occuper plus « humainement » d’eux-mêmes.
Grâce à ce programme, et selon les chiffrés officiels, plus de 63 projets d’infrastructure ont été lancés, ainsi que la réhabilitation de 600 logements (reliés aux réseaux de distribution d’eau et d’égouts), dans 30 des 42 lieux de rassemblements répertoriés au Liban. En outre, plus de 350 emplois ont été assurés à des Palestiniens de Syrie. Enfin, un programme d’éveil à l’hygiène a été mis en place, qui a permis la distribution de plus de 5 000 unités d’hygiène. En dépit de ce gigantesque effort de l’Onu, les besoins restent immenses et, en définitive, c’est d’un règlement international durable que ces populations ont vraiment besoin. Il est en effet parfaitement évident que ces rassemblements ne sauraient accueillir toutes les familles qui s’y dirigent, d’autant que cet afflux est appelé à durer, voire à s’aggraver, dans une crise syrienne dont on ne voit pas la fin.